Fin de non recevoir de la part de l’exécutif mulhousien pour un débat citoyen sur la technologie 5G

Le noyau poli­tique de « l’an O1 », ce film bouillon­nant et jovial de Jacques Doillon d’après la bande des­si­née de Gébé, se résu­me­rait à l’an­tienne : « on arrête tout, on fait un pas de côté, et c’est pas triste ».

Elle est bien loin­taine l’utopie active du début des années 70, ger­mant au sein d’une socié­té opti­miste et pros­père, qui aimait à ques­tion­ner sa nature, son allure et sa destination.

Dans le pro­saïque d’un quo­ti­dien sus­pen­du à des menaces cli­ma­tiques et pan­dé­miques, l’exécutif mul­hou­sien, à l’instar de nom­breux autres exé­cu­tifs muni­ci­paux, estime qu’il est inop­por­tun d’in­ter­ro­ger tant soi peu notre consen­te­ment à l’aveuglement tech­no­lo­giste, et plus encore de pen­ser la logique du monde, ou le sens de sa dyna­mique effré­née, au risque de man­quer le « train du futur ».

Le vœu du groupe « Mul­house cause com­mune », de pro­po­ser un mora­toire sur la 5G, a fait immé­dia­te­ment l’objet de raille­ries, sinon de déni­gre­ments, et pas néces­sai­re­ment de la part de l’exécutif.

Il ne s’agissait pour­tant que d’en réflé­chir les usages, non de la ban­nir (dis­po­si­tion d’ailleurs inter­dite à toute muni­ci­pa­li­té), et de le faire en s’appuyant sur des col­lec­tifs citoyens, à l’égal des tra­vaux issus de la conven­tion citoyenne pour le cli­mat.

Sans récu­ser l’utilité objec­tive des nou­velles tech­no­lo­gies, il est pour­tant impé­ra­tif de veiller à en limi­ter l’emprise sur nos vies, dont notam­ment l’extraordinaire infla­tion de don­nées qui va inévi­ta­ble­ment s’ensuivre, à cor­ré­ler sans doute avec une sur­con­som­ma­tion éner­gé­tique évi­dente, compte tenu la mul­ti­pli­ca­tion expo­nen­tielle et pré­vi­sible des pro­duits connectables.

La délé­guée à l’in­no­va­tion et le numé­rique, Marie Hot­tin­ger, ouvre alors le bal des récri­mi­na­tions de manière fort ins­pi­rée, par un texte que l’on devine soi­gneu­se­ment ouvra­gé toute l’a­près-midi. En somme, le train de l’in­no­va­tion ne sau­rait être man­qué. Embar­quons tous, et demain sera vrai­ment demain.

Fort heu­reu­se­ment, le conseiller Sas­si Annouar, membre du groupe « M Mul­house » tira lui aus­si à bou­lettes rouges. Railleur, il fit d’a­bord état du « génie » dis­cur­sif de ses homo­logues de gauche, en plai­dant l’inanité d’un tel mora­toire, selon le même syl­lo­gisme rhé­to­rique inepte dont use habi­tuel­le­ment le haut-fonc­tion­naire-uro­logue-affai­riste Laurent Alexandre : « si on ne le fait pas, les autres le feront ». Mais par quel mys­tère cet homme est-il (aus­si) urologue ? 

Annouar se mit enfin à gon­fler la bau­druche jusqu’à affir­mer que « nos enfants ne nous par­don­ne­ront pas d’avoir man­qué ce train ». Quant au sort de l’écosystème dans lequel « nos enfants » s’ébattent imman­qua­ble­ment ? Il atten­dra encore un peu en gare.

Enfin, Jean Rott­ner, tou­jours égal à lui-même, pour le bon­heur des petits et des grands, se lan­ça dans une démons­tra­tion macro-éco­no­mique à air ven­ti­lé, dont il conserve jalou­se­ment la qua­li­té de brassage.

On peut d’ailleurs retrou­ver un échan­tillon de son épais­seur, dans les articles que nous consa­crons à sa pré­si­dence du conseil de sur­veillance du GHRMSA, durant le pro­ces­sus de fer­me­ture des mater­ni­tés d’Altkirch et de Thann en 2018–2019.  

Bran­dis­sant son télé­phone à la manière d’une torche, il déclame : « on ne peut plus s’en pas­ser ! », puis confon­dant déli­bé­ré­ment les infra­struc­tures avec les usages, il assi­mi­la la tech­no­lo­gie du très haut débit fibré avec la 5G, laquelle char­rie­ra natu­rel­le­ment, selon lui, de l’emploi, de la télé­mé­de­cine, et des objets connec­tés en veux-tu en voi­là, pour le plai­sir de tous.

Bien sûr, concé­da-t-il, il s’agirait bien que le sec­teur public prenne toute sa place au milieu de la jungle des opé­ra­teurs pri­vés. Voi­là qui chan­ge­rait bien la donne !

Rai­son pour laquelle, après être inter­ve­nu seul sur le sujet (sa voi­sine, mutique, et acces­soi­re­ment maire de Mul­house, avait fort à faire avec son sty­lo-bille), il décré­ta qu’il ne vote­rait pas la motion au motif qu’elle était « trop sélec­tive, et trop orientée ».

Sa volon­té fut immé­dia­te­ment et qua­si-una­ni­me­ment (à l’exception de Hen­ri Metz­ger, pour qui le débat est légi­time) mise à exé­cu­tion au vote.

Au reste, Mul­house est-il autre chose qu’un écrou dans le grand rouage de la moder­ni­té en lutte contre les sec­ta­teurs de la bou­gie à la cire d’a­beille, du moins tant qu’il res­te­ra quelques hymé­no­ptères en état d’en produire. 

Non, elle est plus que cela, c’est une cité indus­trielle qui vaut bien la 5G, voire la 6G, dont Jean Rott­ner est convain­cu qu’elle nous fonce déjà dessus ! 

A pro­pos de clair­voyance, dont le binôme de pre­miers magis­trats mul­hou­siens semble dépour­vu, le jour­nal « Le Monde » a publié hier une entre­vue fort éclai­rante de Robert Boyer, un éco­no­miste issu de « l’école de la régu­la­tion », actuel­le­ment direc­teur de l’EHESS, pour qui « Le capi­ta­lisme sort consi­dé­ra­ble­ment ren­for­cé par cette pan­dé­mie », et notam­ment les pla­te­formes issues de l’internet, les­quelles se com­portent comme des pré­da­trices, et garan­tissent le déclas­se­ment géné­ra­li­sé des pro­chaines géné­ra­tions de tra­vailleurs, si rien n’est fait contre elles.

Son entre­vue s’achève ainsi :

« La crise du Covid-19, en nous fai­sant prendre conscience de la fra­gi­li­té de la vie humaine, pour­rait chan­ger les prio­ri­tés que nous nous don­nons : pour­quoi accu­mu­ler du capi­tal ? Pour­quoi consom­mer de plus en plus d’objets à renou­ve­ler sans cesse ? A quoi sert un « pro­grès tech­nique » qui épuise les res­sources de la pla­nète ? Comme le pro­po­sait Keynes dans sa Lettre à nos petits-enfants (1930), pour­quoi une socié­té où, la pau­vre­té ayant été vain­cue, une vie en bonne san­té ouverte sur la culture et la for­ma­tion des talents ne serait-elle pas atti­rante et réa­li­sable ? Puisque nous com­men­çons à peine à prendre conscience que « les dépenses de pro­duc­tion de l’humain » sont deve­nues la part majeure des éco­no­mies déve­lop­pées ; le Covid-19 a don­né pour prio­ri­té à l’Etat la pro­tec­tion du vivant et l’a contraint à inves­tir pour cela, enga­geant de fait une « bio­po­li­tique », d’abord contrainte mais demain choisie.

Mais il fau­drait une coa­li­tion poli­tique puis des ins­ti­tu­tions nou­velles pour faire de ce constat un pro­jet. Il est mal­heu­reu­se­ment pos­sible que d’autres coa­li­tions – au ser­vice d’une socié­té de sur­veillance, incar­née dans un capi­ta­lisme de plate-forme ou dans des capi­ta­lismes d’Etat sou­ve­rains – l’emportent. L’histoire le dira ».

En clô­tu­rant, aus­si­tôt le vote effec­tué, la séance du conseil muni­ci­pal du 24 sep­tembre 2020, Michèle Lutz, maire offi­cielle de Mul­house, sou­hai­tait une bonne soi­rée à son audience.

Un film de George Cloo­ney sor­ti en 2005, relate le com­bat mené par le jour­na­liste Edward R. Mur­row, pré­sen­ta­teur du jour­nal télé­vi­sé durant les années 1950, et le pro­duc­teur Fred Friend­ly, pour mettre fin à la car­rière du séna­teur Joseph McCar­thy et sa chasse aux sor­cières anti-communiste.

Il ponc­tuait cha­cune de ses pré­sen­ta­tions par un sonore « Good Night and Good Luck » (Bonne soi­rée et bonne chance), comme une sorte de man­tra protecteur.

Les sor­cières ont trans­hu­mé depuis fort long­temps du côté capi­ta­liste, et les gri­moires dans les­quels les élus puisent leurs idées sur la moder­ni­té ne sont pas à même de leur des­siller les yeux. Aus­si fau­dra-t-il, de la même manière que dans le film, sou­hai­ter bonne chance aux pas­sa­gers volon­taires, ou non, du train du pro­grès, que l’on juge fra­cas­sant, en par­tance vers un futur tech­no-dys­to­pique qui risque de nous ser­vir de terminus.

Le texte de la motion reje­tée : Page 1, Page 2

Un vrai – faux sur la 5G, par les jour­na­listes de la rubrique « Les déco­deurs » du quo­ti­dien Le Monde.

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