J’ai failli. Je l’a­voue, l’autre jour j’ai failli !

Du moins, l’ai-je res­sen­ti ainsi.

Cela se pas­sait dans le tram­way. Un petit groupe de jeunes disons qua­trième, troi­sième acquies­çait au pro­pos de l’un d’entre-eux qui ayant repé­ré sur le pan­neau publi­ci­taire devant la CCI, un nous sommes Char­lie tagué, s’est excla­mé : «Char­lie, c’est des enfoirés».

C’est là que j’ai failli. Pour­tant, cela ne me dérange pas d’ha­bi­tude de leur rap­pe­ler que le tram­way n’est pas une salle de gym ou une dis­co­thèque. Le plus sou­vent, ça marche. Cela fait long­temps que j’ai éprou­vé que ce qui leur manque ce sont des adultes qui se com­portent en adultes.

J’ai failli pour­tant parce que j’au­rais dû enga­ger la conver­sa­tion. Je ne sau­rais pas si elle aurait été possible .

Mais tu leur aurais dit quoi, me suis-je deman­dé après coup ?

D’a­bord qu’ils ont le droit de dire que Char­lie c’est des enfoi­rés mais que c’est une mau­vaise critique.

Les Char­lies auraient défen­du, défendent cette liber­té-là. Elle était aus­si la leur, celle d’être inso­lents, imper­ti­nents. La liber­té c’est aus­si celle de croire ou de ne pas croire. Quant à la cri­tique, elle est mau­vaise parce qu’elle glo­ba­lise. Toute cri­tique doit être concrète et pré­cise. Il est arri­vé qu’une bande des­si­née de Char­lie Heb­do ait été bête et igno­rante et res­sen­tie comme une insulte envers les Alsa­ciens qui le leur ont fait savoir.

Qu’au­rais-je pu leur dire encore ?

Bien sûr, leur deman­der s’ils savent ce qu’é­tait Char­lie Heb­do. Il est pro­bable qu’ils l’i­gnorent et qu’ils ne le trou­ve­ront pas dans la biblio­thèque du col­lège. Qu’au­rais-je pu leur dire, moi qui ne le lit guère ? Que c’é­tait sim­ple­ment un groupe de per­sonnes qui avaient – si j’ose dire – fait vœu de se moquer de tout c’est à dire aus­si de toutes les reli­gions, qui se réunis­saient toutes les semaines pour décon­ner ensemble et faire un jour­nal qui fera rire ses lecteurs.

J’ai­mais les des­sins de cer­tains, d’autres moins. Je connais­sais sur­tout les des­sins de ceux qui tra­vaillaient pour le Canard Enchaî­né . Celui-là pour le coup je le lis régulièrement.

Bon, le Canard enchaî­né, vous ne connais­sez pas non plus ! On ne vous a bien sûr jamais dit qu’il y avait dans la culture fran­çaise un esprit liber­taire. Qu’il n’y a pas que La Fontaine !

Bon mais ce que je veux dire c’est que Char­lie, c’est pas des méchants. Il faut ne jamais avoir vu un des­sin de Cabu pour assas­si­ner Grand Duduche.

Auraient-ils répli­qué en me trai­tant de vieux con repré­sen­tant d’un monde hypo­crite qui ne leur offre aucun avenir ?

Je leur aurait répon­du qu’en ce qui me concerne, s’ils veulent le trans­for­mer, ce monde, sans se trom­per d’ad­ver­saire, je suis de tout cœur avec eux, que si la Répu­blique ne les satis­fait pas, moi non plus elle ne me convient pas et qu’on ne peut oppo­ser aux actes ter­ro­ristes que nous venons de vivre une Répu­blique immuable dans une ima­ge­rie pétri­fiée mais une Répu­blique trans­for­mable, aux sym­boles renou­ve­lés, vivante, ce qu’elle a ces­sé d’être.

Ces jeunes-gens sont le pro­duit d’une «guerre» sociale et idéo­lo­gique que l’on veut trans­for­mer en guerre de reli­gion avec la com­pli­ci­té de groupes sans foi ni loi qui portent le masque de Maho­met. C’est ce faux nez qui est cari­ca­tu­ré et non le pro­phète lui-même.

Pro­mis, la pro­chaine fois je leur parlerai.

Enfin j’es­saye­rai

Ber­nard Umbrecht