Depuis le 3 février 2023, les vingt écoles nationales supérieures d’architecture (ENSA) sont en grève : enseignants, administration, étudiants multiplient les grèves et manifestations pour faire entendre leur détresse. Depuis les premières alertes dès 2020, ces écoles d’excellence forment de futures architectes et concepteurs paysagistes pour doter notre pays de compétences en matière architecturale et d’aménagement du territoire. Malheureusement, la perte massive des moyens financiers et en personnel les empêchent d’assumer cette formation. Et ils sont arrivés au bout du « bricolage » et du « sacrifice » pour former le futur corps d’architectes en France. Ils réclament haut et fort le minimum pour réaliser ce qui est leur fonction.

UN COLLECTIF « ENSA EN LUTTE »

22 écoles sont reconnues par l’État et l’Ordre des architectes : les ENSA, une école privée (école spéciale d’architecture) à Paris et une école d’ingénieurs publique, l’INSA (Institut national des sciences appliquées) à Strasbourg.

Un peu partout en France, des assemblées générales, suivies de manifestations, ont été organisées, lundi 13 mars, dans la plupart des 20 Écoles nationales supérieures d’architecture (ENSA), dont l’ENSAS à Strasbourg, pour dénoncer un manque de moyens humains et financiers.
Dès 2020, la contestation s’est développée devant un manque de moyens humains et financiers symbolisé, entre autres, par des locaux insalubres et une précarisation croissante des étudiants. Elle a trouvé un nouveau souffle le 6 février de cette année, lorsque l’ENSA de Normandie a été contrainte de supprimer deux semaines d’enseignements en raison d’un manque de personnels.

Un collectif national s’est dès lors constitué, « Ensa en lutte », regroupant 16 des 20 Écoles nationales supérieures d’architectures. Ce collectif qui rassemble des étudiants, des enseignants, des chercheurs et des personnels administratifs et techniques des ENSA a lancé lundi 13 mars dans toute la France une journée de manifestations.

Toutes les écoles ont décidé de se mettre en mouvement et l’ENSAS de Strasbourg a défilé en ville ce même jour. Les étudiants de l’ENSAP de Lille (qui forme également des paysagistes) se sont emparés de la Grand Place de Lille en organisant un « die in » pour symboliser la mort annoncée des écoles d’art et d’architecture, victimes d’un manque de budget chronique. Chacune des écoles s’est dotée d’un collectif « Ensa en lutte » et l’objectif est de faire connaître leur situation dans une période où le pays est surtout mobilisé contre la réforme des retraites.

DÉPENDANTES DE MINISTÈRE DE LA CULTURE

Depuis la loi du 3 janvier 1977, les écoles nationales d’architecture sont sous la double tutelle du ministère de la Culture et de celui de l’Enseignement supérieure. Elles forment aux mêmes diplômes et leur fonctionnement est identique aux autres grandes écoles. Néanmoins, c’est le budget du Ministère de la Culture qui finance, car « l’article 1er de la loi rappelle que l’architecture est une expression de la culture et que ses interventions sont d’intérêt public. »

Cette originalité a pour conséquence des discriminations dans le traitement des personnels et le conflit actuel soulève entre autres la question des enseignants-chercheurs. Un syndicaliste nous raconte : « Nous recevons des injonctions pour une recherche qualitative, mais le statut des enseignants-chercheurs des École d’architecture n’est pas aligné sur le statut des enseignants-chercheurs qui dépendent de l’Enseignement supérieur. Ils effectuent moins d’heures, ils sont moins bien rémunérés et sont souvent obligés d’exercer une deuxième activité en parallèle. »
Pire, un autre syndicaliste dénonce « les manques de moyens alloués par le ministère de la Culture à notre filière. Actuellement, en France, l’État dépense 10 500 euros par mois pour un étudiant à la Fac, 14 000 euros pour un étudiant en prépa ou en écoles d’ingénieur et seulement 8 500 euros pour un étudiant en école d’architecture ». Les conséquences sont imaginables !

Des étudiants de l’ENSA de Champs-sur-Marne ont calculé qu’un « étudiant de l’Ensa à Champs-sur-Marne dépense en moyenne 900 euros par mois pour ses études. Ces 900 euros comprennent le loyer, la nourriture, mais aussi le matériel essentiel au suivi de nos cours. Nous avons aussi l’achat d’ordinateurs puissants avec une bonne carte graphique. Le prix de ces ordinateurs dépasse les 1200 euros »
S’ajoute à cela la prise en charge, par l’étudiant, des séjours à l’étranger, pourtant imposé par le cursus d’architecte, que les écoles ne peuvent plus financer.

Un étudiant de Champs-sur-Marne ajoute : « On nous demande de penser le territoire de demain, mais l’État ne nous donne pas les moyens. On nous demande de construire dans un monde où il faut préserver l’environnement et cesser de construire, on nous demande de réfléchir à d’autres façons de penser l’aménagement urbain, mais on ne nous donne ni les moyens financier et matériel de pousser cette réflexion ».

UNE PROFESSION EN CRISE

Le mouvement obtient le soutien le plus fervent de toute la profession. Ainsi, l’Ordre des Architectes appuie le mouvement et soutien une réforme de l’enseignement des architectes. Car la France est le mauvais élève de l’Europe en la matière.
Lors d’une audition devant la commission de la Culture, de l’éducation et de la Communication du Sénat, un élu du Conseil National de l’Ordre des Architectes et le président du collège des directeurs des ENSA, ont pointé, notamment « la faiblesse du nombre d’architectes en France par rapport aux autres pays européens et le risque de voir se créer très prochainement des déserts architecturaux dans certains département ruraux. » Ils ont mis en garde « contre l’existence d’un « numerus clausus de fait », lié aux moyens limités des écoles qui bride les effectifs. » Par manque de moyens faut-il ajouter car seuls 6% des lycéens qui choisissent l’architecture pour l’enseignement supérieur peuvent accéder à une des ENSA !

Les 20 présidentes et présidents des Conseils d’administration d’ENSA, regroupés en Conférence des présidents d’ENSA, avaient adressé à leurs ministère de tutelle, une lettre dans laquelle ils énonçaient déjà toute la problématique et demandaient d’être reçus pour trouver des solutions à la crise.

En 2023, de toute évidence, rien n’est réglé ! L’intérêt du Sénat pour la question permettra-t-il de déboucher sur les solutions nécessaires et que tout le monde connaît. La forte mobilisation de toute une filière est en tout cas indispensable pour que l’intérêt général passe avant une rigueur budgétaire dont on mesure les dégâts dans toutes les strates de la société !