Coup de tonnerre en pleine cérémonie de vœux, le jeudi 15 janvier 2015 au Palais des Sports de Mulhouse.
Devant une salle fascinée, adoptant d’emblée un air sèchement martial qu’il s’est efforcé de bricoler à partir d’un profil naturellement patelin, le maire nous a appris que « nous sommes en guerre ». Lui, en tout cas, veut donner l’impression qu’il a déclaré la guerre. Sans oser dire clairement à qui. Et en fuyant quand l’ennemi est particulièrement redoutable.
S’il ne s’agissait que d’une fanfaronnade d’un tartarin de meeting, on pourrait se contenter de porter une appréciation sur la qualité de la prestation sonore et visuelle, soigneusement étudiée. Mais, compte tenu du contexte et des effets recherchés, le numéro rottnérien mérite d’être pris davantage au sérieux : Les propos étaient certainement en phase avec l’idéologie spontanée de la quasi totalité des quelque 3000 ouailles rassemblées le 15 janvier. Et ils ont sans doute séduits bien au-delà de cette salle conquise d’avance.
L’ennemi principal : « oublié »
Quel est donc cet ennemi dont on soupçonne la férocité au ton grave de l’orateur, mais qui n’est pas franchement identifié, sinon à travers une espèce de charade guerrière où « mon premier » nous amènerait insidieusement « à nous justifier pour exposer des crèches à Noël », tandis que « mon deuxième » est doté d’une sournoise capacité à nous faire « accepter le port du voile dans l’espace public ». S’il restait quelques esprits réticents à deviner l’innommable « mon tout », il est lourdement précisé que « mon troisième » est en lien avec ces « djihadistes présumés », dont le maire exige d’être systématiquement informé de la présence sur le ban de sa commune… Parce que tous ces anti-crèches, pro-voile et autres djihadistes présumés, notre chef de guerre en fait son affaire. Si vous séjournez sur le territoire qu’il défend, vous pouvez être rassurés, braves gens : M. le maire saura vous protéger.
Le lundi 19 janvier 2015, lors du conseil municipal qui a suivi la cérémonie des vœux, la représentante du FN a fait savoir avec moins de lyrisme, mais davantage de conviction, qu’elle aussi est en guerre. Pas de longs détours ni de charade tortueuse dans son propos : elle est en guerre contre l’immigration. Voilà tout. Il est probable que si la loi le lui permettait, elle serait encore plus directe. Le maire devait l’envier, lui qui renonce, pour l’instant, à pareilles facilités dans la désignation de boucs-émissaires. Peut-être parce qu’il est encore un peu Charlie ?…
« Je ne laisserai pas tout faire ici à Mulhouse » a martelé crânement Jean Rottner dans son discours polémologique du 15 janvier au Palais des Sports(1). Pour se contenter ensuite de simplement dénoncer la « taxe Hollande » qui permet de « rançonner les collectivités en réduisant de manière drastique leurs moyens pour les trois prochaines années », sans rien proposer d’autre que la résignation.
On se ferait rançonner ? Mais oui M. le maire ! Là, vous mettez dans le mille ! Les rapaces de la finance nous rançonnent, ici, à Mulhouse, et vous laissez faire ! Pire, vous vous dérobez sur cette question, au point qu’on ne sait plus très bien dans quel camp vous vous situez : celui des rançonnés ou celui des rançonneurs ? On peut poser la même question à la quasi totalité de votre « opposition », d’ailleurs, dont le comportement n’est pas plus glorieux que celui de F. Hollande dont la déclaration de guerre à la finance n’aura duré que le temps d’une campagne électorale.
Pourtant, la plus dure bataille à mener, est là ; le vrai courage politique, sinon militaire, commencerait par une identification claire du pire des adversaires : il n’y a pas réellement de différence, M. le maire, entre ce que vous appelez la « taxe Hollande » et la « rançon » exigée par la finance !
Elus rançonnés et terrorisés
Oui, l’Etat se fait rançonner et le Président de la République l’accepte. Pour pouvoir payer la rançon, « Hollande » rançonne ensuite les collectivités locales, qui acceptent également(2). Quand elles-même se font directement rançonner, elles acceptent encore. Pour rançonner ensuite ceux d’en bas. Sans le dire, bien sûr : le processus est nié, garantissant une belle protection et de belles victoires aux rançonneurs, sans cesse à l’offensive.
Dans cette bataille permanente, nos édiles ont toujours capitulé, sans jamais vraiment mener le combat. Ils consacrent l’essentiel de leur énergie à cacher qu’ils sont en déroute, honteux et paniqués à la fois. Jean Rottner et son équipe ne font hélas pas exception, comme l’illustre, une nouvelle fois, un épisode du conseil municipal du 19 janvier dernier à Mulhouse.
Le « DEXIA DUAL »
L’adjoint aux finances n’a pas pu, en effet, éviter d’évoquer devant les conseillers municipaux l’envolée du franc suisse qui va faire exploser les annuités de remboursement d’au moins un des emprunts toxiques de la ville de Mulhouse. Un emprunt dont on n’aurait sans doute jamais entendu parler si la Chambre Régionale des Comptes (CRC) ne l’avait pas signalé dans un rapport de mars 2012 où on apprend, par exemple, que pour avoir le droit de rembourser cet emprunt « DEXIA DUAL » par anticipation le 31 décembre 2010, la ville aurait dû payer à une banque de contrepartie(3) une soulte (indemnisation) de plus de 13 millions d’euros ; en sus du capitalrestant dû, de 13 millions, lui aussi.
On n’a jamais entendu les élus mulhousiens protester contre cette rançon exigée par les délinquants de la finance. Tétanisés, nos élus n’ont jamais osé répondre lorsque le CP68(4) les a sollicités il y a quelques mois au moment où Hollande et Bartolone ont réussi à faire voter en procédure accélérée une loi scélérate d’amnistie partielle visant à effacer un certain nombre de délits bancaires commis à l’encontre des collectivités locales. Le sénateur Jean-Marie Bockel, qui avait pourtant voté contre cette loi, n’a jamais répondu à la lettre ouverte que lui a adressé le CP68 en juin dernier pour lui proposer d’aller plus loin dans sa démarche « citoyenne ». Mais il est vrai qu’il était le maire quand la ville de Mulhouse a souscrit des emprunts toxiques, comme ce fameux « DEXIA DUAL » (2007)… Des députés alsaciens (dont Arlette Grosskost), qui avaient voté contre cette loi d’amnistie et avaient même déposé un recours devant le Conseil Constitutionnel, se sont débinés, comme Jean-Marie Bockel quelques semaines plus tôt, lorsque le CP68 leur a proposé d’organiser une riposte collective(5) pour qu’une certaine forme de morale retrouve ses droits et que le contribuable ne soit plus arnaqué par d’insupportables rançons.
Renoncements, voire capitulations systématiques ; on retrouve cela à tous les niveaux dans ce type de dossiers où l’enjeu est capital. Quasiment tous nos « responsables » locaux, départementaux, régionaux et nationaux sont en déroute.
Le bruit fait par quelques militants autour des « toxiques » de la ville de Mulhouse a tout de même amené les élus à « communiquer » plusieurs fois sur le sujet. A les entendre, le problème était quasiment réglé. Bravaches, ils faisaient croire qu’ils étaient en train d’imposer aux banques prêteuses une renégociation des produits toxiques qui allait tourner à l’avantage du contribuable. Dans sa toute récente conférence de presse du 9 Janvier 2015, J. Rottner n’hésitait pas à affirmer que les toxiques mulhousiens sont « liquidés » au deux tiers et laissait entendre que la « liquidation » n’allait pas tarder pour le dernier tiers, en « discussion ».
Quelques jours plus tard, au conseil municipal du 19 janvier, son adjoint aux finances a fait part de la mauvaise nouvelle venant de Suisse. Mais P. Maitreau n’est pas du genre à se laisser démonter pour si peu. S’il a laissé entendre que l’envolée de la monnaie helvète va peser sur les finances de la ville, ce ne sera pas avant 2016, a‑t-il assuré, presque triomphant. En se gardant bien de donner des détails sur les termes exacts du contrat de ce fameux « DEXIA DUAL », lié au franc suisse. Mais, vu l’évaluation du montant de la soulte en décembre 2010, on peut se douter que le contribuable va devoir sévèrement douiller pour engraisser substantiellement la banque de contrepartie(3)…
NOUS SOMMES TOUS MORATOIRE
… A moins que la rhétorique guerrière du maire de Mulhouse se transforme enfin en un salutaire affrontement avec les créanciers de la dette de la ville ?…
On en est loin, puisque sur un « territoire » pourtant « hautement citoyen », même la simple transparence n’a pas cours sur ce sujet : les « renégociations » autour du « DEXIA DUAL », par exemple, restent secrètes ; les termes exacts du contrat initial ne sont pas rappelés aux conseillers municipaux (qui ne les demandent pas, c’est vrai…) ou au public ; les sommes payées en intérêts et capital restent dans l’ombre ; le 19 janvier, P. Maitreau s’est bien gardé d’estimer les montants des pertes auxquelles il faut s’attendre après l’envolée du franc suisse.
On en est loin, puisque même à gauche de la gauche la proposition d’un moratoire immédiat sur les dettes publiques avancée par le CP68 réveillent des culpabilités paralysantes (« die Schuld » associée à « la dette » serait-elle en cause ?…). Une pétition, lancée à Mulhouse, que l’on peut signer en ligne sous l’intitulé « Pour les jeunes contre la finance »(6) n’a recueilli, depuis quelques mois, que très peu de signatures. Elle illustre pourtant de manière concrète tous les avantages qu’apporterait un moratoire sur les dettes publiques qui desserrerait l’étau de la finance, qui nous asphyxie économiquement, socialement et démocratiquement.
On en est loin, puisque même au niveau national la revendication de moratoire n’est, pour l’instant, que timidement portée. Un militant de SUD BPCE se dévoue à cette cause, cependant : c’est Patrick Saurin. Son travail remarquable a inspiré une partie des interventions du CP68 en Alsace ces derniers mois. Il vient encore de produire une analyse sur les effets de l’envolée du franc suisse sur un certain nombre d’emprunts toxiques, qu’il conseille de ne plus rembourser.
Rêvons un instant : si tous les « CHARLIE » qui sont descendus dans la rue le dimanche 11 janvier réitèrent leur performance, mais cette fois derrière la banderole « NOUS SOMMES TOUS MORATOIRE », la bataille serait gagnée et les comportements changeraient vite. L’hypothèse d’une présence, derrière la banderole, en tête de manif, comme le 11 janvier, du maire de Mulhouse, ne serait plus totalement à exclure. De même qu’un carillonnement d’allégresse au départ de la manif Place de la Réunion : les religions n’ont-elles pas su condamner l’usure dans l’Histoire ?…
Plus sérieusement : la revendication du moratoire portée par la gauche, solidement et activement, ici et maintenant, serait sans doute la meilleure des façons de soutenir ces prochains jours les camarades de Syriza qui pourraient être amenés à transcrire cette revendication dans la réalité, et dans l’adversité. Mais c’est une autre histoire, à suivre.
Bernard Schaeffer
(membre du CP68)
Le 22 janvier 2015
(1) Coïncidence ? C’est dans le même Palais des Sports, en novembre dernier, que le maire de Mulhouse avait accueilli N. Sarkozy, lui aussi en guerre depuis peu.
(2) Les collectivités locales se résignent face aux rançonneurs, tout en prétendant le contraire, en votant, par exemple, la motion AMF, (Association des Maires de France) pleine de contradictions, pour donner le change.
(3) La banque de contrepartie est en l’occurrence la banque BARCLAYS. C’est sans doute elle qui va profiter le plus de l’augmentation de la rançon extorquée au contribuable, sans qu’on sache exactement dans quelle proportion elle va en bénéficier. Il est probable que les collectivités locales victimes de l’arnaque ne le savent pas non plus. De toute façon, elles font tout pour garder cela pour elles… C’est grâce à une fuite qu’on a appris en 2011 un certain nombre de choses concernant les toxiques Dexia, notamment les noms des banques de contrepartie : pour les découvrir, pour tous les toxiques DEXIA alsaciens, cliquez ici (mis en ligne par le CP68 sur le site www.acontrecourant.org ).
(4) CP68 : Conseil Populaire 68 pour l’abolition des dettes publiques. Pour prendre connaissance de sa charte et de ses activités depuis plus de 3 ans, rendez-vous sur le site www.acontrecourant.org, catégorie « dette publique ».
(5) Cette lettre ouverte à des députés alsaciens a fait l’objet d’un article paru dans le journal L’Alsace, fin août. Silence complet de la part de ces élus, d’habitude si prompts à réagir quand leur action et leur « honneur » sont mis en cause dans la presse régionale…
(6) Dans son discours au Palais des Sports, le maire a réaffirmé que l’éducation reste une de ses priorités. Qu’attend-il donc pour inciter à signer la pétition du CP68 ?!