Le tract que L’Alterpresse68 a distribué aux élus, le lundi 29 juin devant la salle du conseil municipal de Mulhouse (et mis en ligne sur le site de L’Alterpresse68), s’appuyait bien sur des informations fiables. Au point 8 de l’ordre du jour figurait, en effet, l’examen du projet de « Protocole transactionnel avec la Caisse française de financement local, la Société de financement local et DEXIA crédit local ». Nous pouvions avoir des doutes : comment mettre à l’ordre du jour du conseil municipal – et sans huis clos – l’analyse d’un document qui devait, selon l’une de ses clauses, « conserver un caractère strictement confidentiel » ?
C’est une des questions soulevée par ce dossier. Pour y répondre, et à d’autres qui restent à poser, la transparence et la mobilisation de tous seront nécessaires. Nous mettons donc nos lectrices et lecteurs dans le coup, en leur fournissant tous les éléments dont nous disposons.
Deux articles sont déjà en ligne sur le sujet : Dette et démocratie : L’Alterpresse68 interpelle les élus mulhousiens (article rédigé à partir du tract distribué aux élus le 29 juin) et : Prêts toxiques : des « banksters » tentent de braquer 20 millions d’euros aux Mulhousiens (une description synthétique du toxique, de son historique et de ses effets probables).
Les conseillers municipaux savaient quoi ?
Ils ont reçu le projet de protocole en question qui a été fourni à tous les conseillers municipaux ainsi qu’à tous les journalistes de la presse locale présents dans la salle. L’un d’eux a même eu l’amabilité de fournir un exemplaire à L’Alterpresse 68 ! Il est vrai que cet exemplaire ne contenait pas les annexes 1 et 2 – pourtant annoncées dans le texte principal – où doivent figurer des informations essentielles : notamment le montant probable du butin si le braquage devait réussir. Mais les journalistes ont-ils reçus ces annexes 1 et 2 ?…
Et les conseillers municipaux ? On peut supposer, charitablement, qu’ils en ont été destinataires, puisqu’ils n’ont rien réclamé en séance. Des esprits taquins (on en trouve à L’Alterpresse68, si, si !) émettront l’hypothèse que les élus n’ont pas forcément remarqué qu’il y avait des documents manquants, puisqu’ils ne lisent que superficiellement les textes et les données fournis, c’est vrai, en grande quantité. Et qui, souvent, il faut bien le reconnaître, ne sont pas d’une lecture attrayante et facile. Oui mais, – ajoutent les mêmes esprits taquins – s’efforcer de n’y rien comprendre est un choix que peuvent faire certains élus qui s’évitent ainsi divers tourments ; dont ceux qui pourraient naître d’un éventuel désaccord avec le maire…
Les conseillers municipaux ont-ils eu connaissance du tableau d’amortissement du nouveau contrat de prêt (qui devrait figurer dans l’annexe 1) de 54 millions qui pouvait leur donner une idée du montant total des intérêts payés sur une vingtaine d’années ? Et surtout ont-ils eu connaissance du montant indicatif de l’indemnité de remboursement anticipé qui devrait figurer dans l’annexe 2 avec le nom de l’heureux bénéficiaire du butin (que L’Alterpresse68 évalue, avec les données dont on dispose aujourd’hui, à une vingtaine de millions d’euros) ?
Ont-ils reçu cette annexe 2 début mars dernier, où la municipalité a dû la produire pour commencer ses démarches de demande d’aide auprès du fonds de soutien gouvernemental ? Ont-ils seulement été informés de l’engagement de ces démarches début mars ? Ou ont-ils été mis devant le fait accompli, priés de croire que la Ville va faire une bonne affaire comme le laisse entendre l’adjoint aux finances Philipe Maitreau : « cette restructuration permettra de réaliser en moyenne 540 000 euros d’économie par an sur les annuités (… et en plus…) la ville devrait recevoir une aide de 8,7 millions d’euros » ? (cité dans L’Alsace du 30 juin 2015, page locale Mulhouse).
Ont-ils été informés des liens qu’il pourrait y avoir entre la restructuration du Dexia de la Ville de Mulhouse et celle, probable, du Dexia M2A (M2A = agglo mulhousienne) ? Et celle, certaine, du Dexia du SIVOM ? (Pour ce dernier, toujours d’après L’Alsace du 30 juin 2015, le capital restant dû serait bien plus élevé : 17,6 millions d’€, alors que pour le Dexia-Ville il n’était plus que de 10 millions d’€).
Dexia-Ville + Dexia-SIVOM + Dexia M2A !… Les conseillers municipaux ont-ils vraiment pris conscience de l’énormité de l’opération et de ses conséquences sur le remboursement des dettes, dès l’an prochain, pour ces organismes qui concernent, tous les trois, les Mulhousiens ? Sûrement pas, car quelque chose nous dit que, là-dessus, Philippe Maitreau a oublié de communiquer.
Vous avez dit confidentiel ?
Quoi qu’il en soit, la diffusion du document principal du protocole au conseil municipal de Mulhouse est tout de même paradoxale quand on sait que la clause de confidentialité incluse exige de « ne pas communiquer dans les médias sur (ce) Protocole » ! Un paradoxe et une atteinte à la transparence qu’aucun élu n’a soulevé. Est-ce parce qu’ils n’ont pas eu le temps de lire cette clause ou parce qu’ils ne l’ont pas comprise ?!
Il s’agit là, manifestement, d’une intimidation pour tenter de porter atteinte à la liberté d’informer. Interdire aux journalistes invités de rendre compte du compte rendu du maire et de son adjoint, ce n’est pas seulement incohérent et liberticide, c’est aussi d’une stupidité juridique rare : Que le contrat, une fois signé engage le maire/signataire pourrait, à la rigueur, se comprendre. Mais exiger que cette signature engage simultanément des personnes – en l’occurrence des journalistes – qui n’ont rien à voir avec ce contrat, relève d’un réflexe aussi saugrenu que révélateur des attitudes menaçantes que sont tentés d’adopter les rapaces de la finance dès lors qu’ils entrevoient l’ombre d’un obstacle qui pourraient les empêcher de commettre leurs forfaits.
Que souhaitent-ils cacher en l’occurrence ? Le montant du butin ? Les identités des heureux bénéficiaires ? Veulent-ils seulement protéger leur image ? Pourquoi diable veulent-ils absolument cacher « les termes des négociations qui ont conduit à la conclusion (du protocole) » ? Est-ce que l’acceptation de cette omerta par le maire et son adjoint aux finances, s’explique uniquement par le fait qu’ils auraient beaucoup à perdre politiquement si une majorité de Mulhousiens venaient à prendre conscience à quel point ils se font plumer ?…
Prenez connaissance de ces documents, lancez l’alerte !
Comme on n’est pas sûr d’avoir tout compris, on vous soumet le problème, à vous, lectrices et lecteurs de L’Alterpresse 68, dans l’espoir que vous nous aiderez à y voir plus clair. Merci de télécharger ici les documents disponibles relatifs à ce fameux point 8 de l’ordre du jour… Merci de les fournir à des juristes, à des journalistes, à des militants, etc. Merci de les analyser à fond et de creuser l’ensemble du dossier avec nous. Toute découverte, toute précision nouvelle que vous pourriez nous apporter sera bienvenue. Toutes les propositions d’action, toutes les interpellations des élus et des responsables politiques et administratifs seront utiles.
N’oubliez pas, bien sûr, de parler de ce scandale autour de vous, en diffusant toutes les informations et les explications en votre possession, ne serait-ce que pour alerter les citoyens d’autres communes détentrices de toxiques où le scénario mulhousien pourrait se reproduire. Un scénario qui résulte principalement du vote, il y a un an, de la loi scélérate dite de « sécurisation des emprunts structurés » qui a amnistié les banques pour une grande partie de leurs exactions et pour, du même coup, dissuader les collectivités locales de saisir la justice.
Ce vote a été complété par une mesure perverse, comme le pouvoir en a le secret : créer un fonds de soutien alimenté par des sommes bien entendu nettement inférieures à ce que les collectivités locales vont perdre en payant les banques délinquantes qui réclament l’indemnité de remboursement anticipé. Mais pour appâter les élus, piégés et esseulés, ça suffira largement. Un comble : le pouvoir alimentera probablement ce fonds de soutien avec des euros qui viendront en déduction des dotations étatiques accordées aux collectivités. Elles trinqueront toutes et vont se battre pour récupérer quelques sous aux dépens des autres !… L’an dernier le CP68 a essayé de mobiliser les élus locaux alsaciens (voir un article paru dans L’Alsace du 22 août 2014) en s’adressant à des députés qui avaient refusé la loi scélérate. Personne n’a bougé ; ni les députés interpellés, ni les élus en charge de toxiques…
Ce qui ne veut pas dire qu’aujourd’hui les équipes de L’Alterpresse68 et du CP68 vont rester inactives. Vous serez informé de leurs initiatives et de leurs effets en lisant régulièrement votre revue électronique préférée.
C’était flou ; il y avait bien un loup
Pour vous aider à mieux comprendre, précisons d’emblée qu’au conseil municipal de Mulhouse le « risque » d’un débat approfondi sur un sujet important est assez faible… Surtout quand il s’agit de questions financières. C’est toujours sans rencontrer de réelles résistances, par exemple, que le maire a pu demander à plusieurs reprises dans le passé – et a toujours obtenu – un blanc seing en matière de gestion de la dette publique, se contentant d’énumérer ses décisions devant les élus, parfois plusieurs mois après les avoir prises.
Il n’y a guère que la Chambre Régionale des Comptes qui s’est inquiétée de ce genre de fonctionnement dans un rapport de 2012(1). En termes moins administratifs, le CP68 l’a fait aussi dans un tract de septembre 2014 intitulé « Quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup » où les questions les plus gênantes sont restées sans réponse. Notamment celle où était demandée de la transparence pour les renégociations éventuelles des « toxiques » de la Ville(2). Le CP68 avait bien raison de se méfier : des « négociations » ont bien eu lieu avec certains créanciers. Il se confirme aujourd’hui que le résultat de ces tractations discrètes est catastrophique.
Face au chantage, pièges et divers moyens de pression des banques, tous ces élus bravaches qui s’auto-proclament experts financiers et fins négociateurs, finissent par céder au réflexe pitoyable qui consiste à se jeter sur les sous que le gouvernement leur balance en puisant dans un fonds de soutien… alimenté par les euros préalablement retirés des dotations accordées aux communes ! Sans principe et sans boussole, ils finissent par tomber dans un piège aussi grossier que celui dans lequel ils sont tombés il y a quelques années lorsqu’ils ont accepté de signer les contrats initiaux pourris(3).
Aux dernières nouvelles, une forte majorité (près de 700) des collectivités concernées par des toxiques violents s’apprête à suivre, dans la plus grande discrétion, le même chemin que Mulhouse. Très peu de monde étant au courant de ce qui se trame, les protestations et réactions militantes restent rares.
Vote massif et hébété
A Mulhouse, le 29 juin 2015, le point 8 aurait été vite expédié si un conseiller municipal (B. Stoessel) n’avait pas interpellé l’adjoint aux finances pour lui demander de répondre au tract que venait de diffuser l’équipe de L’Alterpresse68 à l’entrée du conseil. Si, pour une fois, P. Maitreau a montré de l’embarras, affirmant ne pas avoir eu le temps de le lire, le maire, lui, a pris de la hauteur pour se placer, comme il sied depuis près d’un an maintenant, sur un registre « hautement citoyen » : « ce tract est très pédagogique, a estimé J. Rottner, nous nous engageons à y répondre ».
Une élue du groupe d’ « opposition » PS-EELV a pris la parole lors du débat. Elle a annoncé, enthousiaste, qu’elle allait voter pour ce protocole, convaincue que le gouvernement socialiste a joué un rôle vraiment positif en créant le fonds de soutien (!) Au point que le maire s’est senti obligé de jouer un instant le rôle de son « opposition » qui venait de s’auto-dissoudre. Il a montré, pour sa part, nettement moins d’enthousiasme en soulignant deux fois lors de ses interventions que la Ville avait toutes chances de gagner si elle avait maintenue sa plainte devant le TGI de Nanterre.
Mais alors quelles sont les raisons qui amène le maire de Mulhouse à retirer sa plainte et à accepter la perspective d’un méga braquage dont seront victimes les Mulhousiens ? Et ce, au moment même où il fallait encourager les rares communes victimes de toxiques qui osent aller au bout d’une démarche courageuse et remportent quelques victoires juridiques.
Vraiment, il y a de quoi se poser beaucoup de questions. Mais on ne s’en pose guère chez les élus mulhousiens : vote massif et hébété pour le protocole transactionnel. A l’exception de 4 abstentions, dont 2 centristes et 2 PS-EELV.
L’équipe de L’Alterpresse68, le 11 juillet 2015
(1) Extrait du rapport de la CRC de février 2012 : «la prise de conscience [s’agissant de la gestion de la dette] demeure incomplète et peu transparente. La délégation à l’exécutif demeure trop formelle. Elle autorise pratiquement tous les types de contrats et d’indexation et ne donne manifestement pas lieu à évaluation et information au conseil municipal».
(2) Extrait du tract de septembre 2014 diffusé à l’entrée de la salle du conseil municipal par le CP68 (Conseil Populaire 68 pour l’abolition des dettes publiques) : «(…) ces dernières années les toxiques ont déjà fait pas mal de dégâts budgétaires. Est-ce que le maire n’aurait pas l’intention de les refinancer en catimini, sans rapport de forces, sans tenter la moindre offensive juridique ou politique, seul face aux banques délictueuses, en s’imaginant qu’il réussira mieux que dans le passé où son prédécesseur et tant d’« experts » de la finance se sont fait avoir ? »
(3) Le contrat initial qui fait l’objet du protocole transactionnel mulhousien est officiellement daté de 2010. Un camouflage de plus. Le maire et son adjoint ont sans doute un peu honte de reconnaître qu’en 2010 les édiles mulhousiens ont bêtement accepté de souscrire cet emprunt s’imaginant qu’il serait moins toxique que celui qu’il a remplacé, lui aussi souscrit chez Dexia, mais en 2007. Interrogez nos élus, ils reconnaîtront peut-être que cet « ancêtre », souscrit en 2007, figurait parmi les toxiques d’une liste qui a fuitée et a été publiée dans le quotidien « Libération » en 2011. Le CP68 a mis en ligne depuis longtemps cette liste des collectivités et établissement alsaciens concernés (dressée en 2009). Consultez-là et demander à nos édiles si la banque de contrepartie est restée la même (ce qui est très probable). Mais on vous prévient : ils n’aiment pas beaucoup parler de ces banques de contrepartie, qui elles-mêmes, se donnent les moyens pour interdire aux élus de tous niveaux l’accès complet à leurs magouilles et à leur divulgation.…
Pour en savoir plus :
Sur ce site :
Edito : Dette grecque et dette mulhousienne (voir page page d’accueil)
Tract diffusé aux élus mulhousiens, le lundi 29 juin
Prêts toxiques : « banksters » tentent de braquer 20 millions d’euros aux Mulhousiens
Les Grecs soulèvent la chape de plomb de la dette… Imitons-les !
Tableau récapitulatif des dettes locales mis à jour le 29 mai 2015 (beaucoup de chiffres ; un peu rébarbatif, mais utile pour mesurer la gravité de la situation. On verra que les chiffres concernant le SIVOM évoqué dans l’article ci-dessus manquent. L’opacité continue d’être soigneusement entretenue autour de cet organisme chargé de la collecte et du traitement des déchets, ainsi que de l’épuration des eaux usées pour 54 communes et 270 000 habitants).
Liste des toxiques Dexia alsaciens en 2009, issue d’une fuite datant de 2011 et mentionnant les fameuses banques de contrepartie, systématiquement cachées au public et aux « petits » élus ; leurs comptes et leurs forfaits ne sont même pas accessibles aux « grands » élus…
Des articles ont déjà été publiés sur ce site à propos des dettes locales et des difficultés à obtenir la transparence. L’Alterpresse68 et le CP68 ont co-organisé une « opération transparence » en publiant plusieurs textes :
Quand toxique rime avec helvétique…(1) (mars 2015)
Quand toxique rime avec helvétique…(2) (mars 2015)
Ces deux textes donnent des exemples des dégâts provoqués par les banques sans scrupule et l’envolée du franc suisse : 1) sur des particuliers 2) sur des collectivités locales.
Opération transparence : L’Alterpresse 68 s’y associe volontiers (février 2015) :
Des demandes à propos des dettes publiques adressées au maire de Mulhouse et à son adjoint aux finances. Il n’a pas été répondu aux questions les plus « gênantes », malgré la mise sur pied récente par la municipalité d’une « commission des finances ouverte ».
Opération transparence . Au Conseil Départemental : des toxiques qui piquent (février 2015) : la réponse que Charles Buttner a faite juste avant son départ contient un gros mensonge ; nous y reviendrons en nous adressant à son successeur dans le cadre de l’ « opération transparence ».