Philippe Breton, politologue et enseignant à l’école de journalisme de Strasbourg (CUEJ) qui, depuis les européennes de 1994, analyse le vote FN dans la région, livre ses réflexions dans Médiapart :
« La vraie surprise, c’est que Philippe Richert tombe si bas. Mais au vu de sa campagne, ce n’est pas étonnant. Il a fait une campagne pour des régionales alsaciennes, pas pour la grande région Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine. En plus, il a tout axé sur des thèmes très restreints, (…) Il n’a rien dit par exemple sur la sécurité, sur l’accueil des réfugiés alors que toute la partie est de cette région a une frontière commune avec l’Allemagne, frontière aujourd’hui fermée ! De plus, en dehors de l’Alsace, qui connaît Richert ? Il a un énorme déficit de notoriété…»
La presse régionale contrôlée par le Crédit Mutuel, s’est érigé en véritable attaché de presse de Philippe Richert, amplifiant encore le côté « alsacien » du personnage. Et en Alsace même, ses voltes-faces et attermoiements lui ont coûté 5 points puisqu’en 2010 il avait récolté près de 35% au 1er tour. D’abord farouchement contre la fusion, il a donné l’image d’une girouette changeant de position… pour être élu président de la nouvelle entité. Attitude que de nombreux Alsaciens n’ont pas digéré et lui en tiennent encore rigueur.
Et que dire du maire de Mulhouse, Jean Rottner qui, tout sourire, vient déclarer après la proclamation des résultats qu’il était très content car dans sa ville où il pratique la « démocratie participative » (cela a dû faire rire bien du monde !) sa liste a remporté le suffrage ! En précédant certes le FN de 1,5% mais en étant derrière dans deux cantons sur trois !
Quelle pourrait-être sa stratégie de second tour ?
Philippe Breton poursuit : « Il sera très difficile à Philippe Richert de remonter ce déficit de notoriété. De plus, il n’a pas cédé un pouce aux socialistes. Sa carte du second tour aurait pu être la carte républicaine. Son atout, c’est d’être centriste. (…) Philippe Richert aurait pu en appeler à un “humanisme rhénan”, une alliance autour de valeurs communes. Beaucoup d’électeurs socialistes n’auraient eu aucun mal à voter pour lui, cela aurait pu créer une dynamique de second tour.
Mais non ! Dimanche soir, sur le plateau de France 3, il a simplement dit aux socialistes de respecter les consignes de Solférino en se retirant. (…)
Philippe Richert, lui, veut gagner sur tout, tout seul. (…) Il ne donne qu’un message : le « front républicain », c’est gagner en effaçant l’autre. »
Comme il a eu énormément de mal à cacher sa déception lors de son passage à FR3 face au candidat socialiste, il fut terne et gris dans tous les sens du terme : pas de quoi séduire un électorat socialiste dont il a besoin pour être élu.
Un candidat socialiste qui force le respect
Devant cette intransigeance et cette rigidité, Jean-Pierre Masseret essaye de sauver l’honneur. En disant qu’il se maintient, il assume des valeurs de gauche et certains de ses sympathisants apprécient cette fermeté face à un candidat de droite qui cherche à les effacer de la région.
Philippe Breton note : « Le PS est de toute façon un parti en déclin. Dans la région comme en France. Depuis 1981, le ressort de ce parti, c’est la crainte du FN, une menace qui permettait de bouffer la droite, mais maintenant, ça ne marche plus. Ce parti est au bout de son histoire (…) On le voit ici, d’élection en élection, le PS disparaît de la carte. À l’issue de ce premier tour, même Strasbourg a mis Richert en tête et le FN a doublé le nombre de ses voix par rapport aux dernières municipales. » La réaction de M. Ries, maire de Strasbourg, qui a immédiatement désavoué son candidat pour appeler à voter pour la droite, le met déjà dans la position de perdre la capitale alsacienne aux prochaines échéances.
Le FN progresse sur une thématique sociale
Unser Land le contre sur le terrain politique
Le FN a mobilisé les abstentionnistes sur les thèmes de l’inquiétude économique, de la sécurité, des frontières. Il a capté le ressentiment d’électeurs de gauche qui se sentent trahis en Lorraine et dans les Ardennes. Le politologue explique : « Depuis les européennes de 1994 en Alsace, le vote FN préfigurait l’extension du vote FN en France lié à l’interrogation profonde sur l’identité. Une question sur laquelle le parti identitaire « Unser Land » a mobilisé dimanche 12 % des voix en Alsace. Leur leader appelle aujourd’hui à voter blanc. (…) C’est donc 12 % de perdu pour Philippe Richert ».
Il est à noter que le programme d’Unser Land (que vous trouverez dans nos colonnes en détails) est d’une toute autre nature que celui du Front National. Plutôt marqué par une philosophie humaniste, il correspond à une partie de l’électorat alsacien attaché au modèle social rhénan dans lequel la région baigne depuis la fin du XIXe siècle… et qui est aujourd’hui en danger. Cette crainte d’un déclassement social se vit plus fortement dans les campagnes et surtout dans les cités frontalières. Cette insécurité sociale ne s’est pas transformée exclusivement en vote FN comme dans les autres départements de l’ACAL mais le parti régionaliste en a bénéficié, par exemple dans le canton de Saint-Louis où il dépasse les 20%, en dépassant même en voix la droite à Hésingue.
On ne peut pas, comme le fait Philippe Breton, présenter le vote Unser Land comme un alter-ego du vote FN. C’est même fondamentalement et profondément différent. Il est vrai que la question identitaire a eu un impact considérable dans ces élections dans toutes les régions, Unser Land a pris cette question en compte d’une manière radicalement différente de celle du FN.
En mettant en avant l’ouverture qui caractérise l’identité alsacienne, exigeant le respect de la culture et de la langue en ne l’opposant pas à d’autres (ni la langue française, ni les langues immigrées), en abordant la question de l’autonomie sous l’angle de la démocratie dont il faut radicalement changer le fonctionnement en privilégiant l’expression citoyenne, UL s’est positionné contre les thèses du Front national. Sa charismatique tête de liste haut-rhinoise, la Colmarienne Nadia Hoog, l’a bien spécifiée en appelant dès les résultats connus dimanche soir, à un vote blanc pour le second tour.
Une manière de se préserver un avenir en se positionnant en-dehors de tous les autres partis qui ne sortent pas grandit de cette élection qui met tant de choses en cause.
Michel Muller