En ce jeudi 28 avril 2016, il y a foule au sein de « rive gauche », le local du parti socialiste mulhousien. Pierre Jacquemain, (jeune) conseiller démissionnaire de la ministre du travail, Myriam El-Khomri, est l’invité de la section locale. Sa trajectoire semble tout à la fois fasciner et interpeller une partie du milieu politique et médiatique. Comment une plume ministérielle avait-elle pu renoncer à servir sous les ors de la République, et osé mordre la main de ceux qui l’ont adoubé ?
Suivi à la trace par une équipe de « Complément d’enquête », émission d’investigation diffusée par France 2, l’hôte de la soirée se tenait aux côtés de Nadia El-Hajjaji, secrétaire de la section, et de Pierre Freyburger, ex-candidat à la mairie de Mulhouse, et ancien adjoint de Jean-Marie Bockel.
 "C’est toute la philosophie de la loi travail qui n’est pas bonne"
A l’image de toute une section, fortement marquée à gauche, la responsable politique s’affiche offensive dès l’entrée en matière. Elle dénonce l’orientation politique prise par le gouvernement, et soutient que de nombreux éléments sont à revoir dans le projet de loi travail. Elle affirme par ailleurs que de véritables enjeux professionnels et sociaux n’y sont pas abordés. Ainsi le burn-out, l’intérim, la précarité en général, ou encore l’économie collaborative. Et de conclure son intervention en déclarant que « c’est toute la philosophie de la loi travail qui n’est pas bonne ». La section s’est d’ailleurs récemment distinguée en conseillant, par Twitter, à la ministre du travail d’aller chercher sa carte de membre chez Les Républicains…
"Plus jamais je ne voterai Hollande"
Tout comme les autres intervenants, Pierre Freyburger se tient debout. Il s’exprime en oscillant légèrement son corps d’avant en arrière, puis s’interrompt pour se plonger de temps à autre dans son smartphone, qui lui tient lieu de carnet de notes. Retiré de toute fonction politique, il fait part de son émotion. Affirme solennellement que « plus jamais il ne votera Hollande », qu’[il] « se sent floué ». Que le gouvernement a « piétiné les idéaux socialistes ». Enfonçant le clou contre l’exécutif, il assure que « le gouvernement ne représente plus le parti socialiste ». Revenant d’Allemagne, et de passage à Heidelberg, il affirme avoir rencontré des gens qui savent se montrer accueillants avec les migrants. L’entendeur élyséen appréciera sans doute. Son intervention s’achèvera emprunte de gravité. Évoquant le « désespoir » et le « découragement » que le moment politique susciterait désormais partout.
"Je ne suis pas un révolutionnaire"
Quant à Pierre Jacquemain, jeune trentenaire tout en tenue décontractée, il détonne dans le paysage militant. Issu d’une famille modeste, sans pedigree politique à défendre, il avertit d’emblée qu’il n’est pas militant socialiste, se défend pareillement d’être un « révolutionnaire », et moins encore un « politique ». Pour autant, il veut repenser le collectif, et s’inscrit volontiers dans le désir de radicalité que le débat public semble augurer, par les convergences démocratiques à constituer, tant politiques que syndicales. Proche conseiller de la ministre El-Khomri, rencontrée alors qu’il servait déjà de conseiller à la Mairie de Paris, auprès de l’adjointe à la jeunesse, une certaine Clémentine Autain, il devient la plume d’El-Khomri alors que celle-ci vient d’être nommée au Secrétariat d’Etat à la politique de la Ville. Il la suivra au Ministère du Travail. Il la croit sincèrement de gauche. Il mentionne dans le détail comment François Hollande a pu la convaincre de devenir sa ministre du travail, lui promettant de porter des mesures de gauche en direction des salariés. Elle gagne contre Matignon des arbitrages sur le licenciement économique et le plafonnement des indemnités prud’homales. Ces victoires se révéleront factices, car dans la coulisse Valls en dispose pour le pire, et le Medef semble tirer la (grosse) ficelle. Il avouera avoir été déçu par le comportement de la ministre, qui ne bronchera pas lors de l’affaire du crêpage de chemise contre la direction d’Air France, et de son plan social. Elle consentira enfin à parapher de son nom la future loi organisant le renversement de l’ordre social au travail, afin de conserver son poste, fut-ce au prix d’une reddition politique totale. Il dit espérer que les militants le croiront de bonne foi, car il n’imaginait pas un tel retentissement lors de la publication de son entrevue dans le journal l’Humanité.
Mais Pierre Jacquemain va plus loin encore. Il accuse la technostructure, et en premier lieu l’énarchie, qui truste les responsabilités ministérielles, protège jalousement ses intérêts, et assure son autoreproduction sociale. Elle qui ne pense les enjeux qu’en termes de contraintes, et des moyens de les intégrer en tout lieu. Elle renonce donc à faire de la politique, au prix d’une atrophie sévère des principes démocratiques.
Pour n’être pas encarté, Pierre Jacquemain fait toutefois de la politique. Faisant l’éloge de Nuit debout, il appelle à la résistance, et réclame le retrait de la loi travail (qu’il ne croit pas amendable), la rend attentatoire aux droits sociaux, et dangereuse pour la défense de l’emploi.
Moralité : Pierre Jacquemain vient de perdre son emploi, au nom de son intégrité personnelle et de la défense du droit des salariés.
Un objecteur de conscience en politique, a fortiori issu d’un cabinet ministériel, c’est trop rare pour ne pas être remarqué et salué.