A nou­veau prise à la gorge par les créan­ciers, FMI en tête, la popu­la­tion grecque va-t-elle devoir se ser­rer la cein­ture encore plus ? Le Par­le­ment euro­péen, dans sa ses­sion de mai à Stras­bourg, en a fait un débat avec la pré­sence de Pierre Mos­co­vi­ci, le com­mis­saire char­gé du dos­sier à la Com­mis­sion. Débat ani­mé avec des posi­tions tran­chées pour cer­tains par­le­men­taires et un opti­misme béat de la part de l’ancien ministre de l’Économie et des Finances fran­çais… Pour lui, tout va bien dans le meilleur du monde !

Le Com­mis­saire Mos­co­vi­ci est venu le 10 mai au Par­le­ment Euro­péen à Stras­bourg pour rendre compte de la réunion de l’Eurogroupe qui s’était tenu la veille à Bruxelles. Cette nou­velle réunion des Ministres des Finances des pays concer­nés et du gou­ver­ne­ment grec était moti­vée par les impor­tantes sommes à payer par Athènes pour hono­rer des échéances de rem­bour­se­ment de la dette : 449 mil­lions d’euros au FMI le 13 juillet, puis 2,3 mil­liards à la Banque cen­trale euro­péenne le 20 juillet. Sans comp­ter les 3,745 mil­liards à régler d’ici février 2017.

Un nouveau tour de vis austéritaire

Mais les réformes entre autres sociales, exi­gées en contre­par­tie de l’aide finan­cière octroyée à l’é­té 2015 n’ont tou­jours pas reçu de satis­fe­cit des créan­ciers (UE et FMI) après dix mois de dis­cus­sions, ce qui bloque tout nou­veau versement.
C’est pour­quoi Alexis Tsi­pras a fait voter, la veille de la réunion de l’Eurogroupe, une réforme des retraites qui s’ins­crit dans la logique aus­té­ri­taire des créan­ciers qui demandent des éco­no­mies de 5,4 mil­liards d’eu­ros d’i­ci 2018.
Réac­tion de la popu­la­tion : les bateaux sont res­tés à quai, aucune liai­son mari­time effec­tuée entre la Grèce conti­nen­tale et les îles.
Au total 26.000 per­sonnes selon la police ont mani­fes­té dimanche à Athènes et Thes­sa­lo­nique. Aux
abords du Par­le­ment sur la place Syn­tag­ma à Athènes de brefs inci­dents ont oppo­sé un groupe de jeunes et des poli­ciers. Si la mobi­li­sa­tion a été quelque peu infé­rieure aux pré­cé­dentes mani­fes­ta­tions, cela est essen­tiel­le­ment dû au décou­ra­ge­ment de la popu­la­tion qui semble s’accommoder des épreuves pour autant que l’on puisse par­ler de résignation.
Le Par­le­ment a donc voté cette réforme qui réduit encore le mon­tant des pen­sions et l’âge de départ en retraite, ce qui ouvrait la voie à une nou­velle dis­cus­sion au sein de l’Eurogroupe.

moscovici

P. Moscovici : « Le chemin du succès est engagé »

Le Com­mis­saire euro­péen a d’abord salué la réforme des retraites votée par le par­le­ment grec « qui épargne les plus modestes » ( !) et ouvre la voie à une nou­velle étape d’assainissement de la situa­tion éco­no­mique du pays. Le pro­jet d’accord acté le 9 mai par l’Eurogroupe (il doit encore être vali­dé par les par­le­ments natio­naux de chaque pays impli­qué) se struc­ture autour de trois axes : la relance de l’économie (M. Mos­co­vi­ci pré­voit une crois­sance dès le 2e tri­mestre de cette année et un défi­cit en-des­sous des 3% du PIB en 2017) ; un méca­nisme de contin­gence pour la réa­li­sa­tion d’un excé­dent pri­maire de 3,5% dès 2018 (« pour ras­su­rer les créan­ciers ») ; et, pour la pre­mière fois, un réamé­na­ge­ment de la dette a été évo­qué sans pour autant par­ler d’annulation d’une par­tie ou de la tota­li­té de cette dette.

Les par­le­men­taires euro­péens sont plu­tôt scep­tiques hor­mis bien évi­dem­ment ceux du PPE (Pari popu­laire euro­péen), c’est à dire la droite euro­péenne, groupe le plus nom­breux à Stras­bourg. Ses repré­sen­tants saluent les « efforts » du gou­ver­ne­ment grec actuel tout en regret­tant l’année per­due suite à sa « résis­tance » en 2015 ! Et de rajou­ter que l’ancien pre­mier ministre Sama­ras avait pour­tant bien fait les choses ! Que Tsi­pras ait été démo­cra­ti­que­ment élu ne semble pas être une don­née prise en compte par ces bien-pen­sants « démo­crates » ! L’extrême-droite, sans sur­prise, dénonce la tra­hi­son de Tsi­pras et consi­dère que la sor­tie de l’euro est la seule solu­tion… Le Par­ti socia­liste euro­péen, les Verts et la Gauche uni­taire sont bien évi­dem­ment plus cri­tiques à des degrés divers cependant.
Pour les socia­listes, ce pro­jet d’accord est un « remake des autres crises. Il s’agit d’un achar­ne­ment thé­ra­peu­tique envers les Grecs. Le pro­blème, ce n’est pas Athènes, c’est bien le FMI et ses exi­gences d’une aus­té­ri­té de plus en plus importante.
M. Phi­lip Lam­berts, du groupe des Verts, dit « ne pas par­ta­ger l’optimisme de l’Eurogroupe ». Les inves­tis­se­ments ont chu­té de 70% en 2015 et sans chan­ge­ment de cap, la situa­tion va encore empi­rer avec entre autres l’accueil des réfu­giés que la Grèce assume à pré­sent sans aucune aide véritable ».
Eva Joly dénonce quant à elle les aides jusqu’à pré­sent ver­sées, les­quelles sont allées à 95% aux banques (entre autres fran­çaises et alle­mandes), la Grèce n’en a tou­ché que 5%, insuf­fi­sant pour relan­cer l’économie. La remarque de la dépu­tée fran­çaise est per­ti­nente : si la crois­sance ne revient pas, le gou­ver­ne­ment grec devra faire face à de nou­velles chutes de recettes. Mal­gré la hausse de la TVA, le mon­tant de cet impôt rap­por­te­ra moins en 2016 qu’en 2015 !
C’est la dépu­té grecque de la Gauche uni­taire, Mme Sako­ra­fa qui est la plus tran­chante : « C’est un crime qui a été com­mis contre le peuple grec: il y a en Europe des groupes qui ne prennent pas en compte la démo­cra­tie et la jus­tice sociale, Tsi­pras se courbe devant eux ! ». Ce juge­ment n’est pour­tant pas par­ta­gé par tout le groupe de la Gauche uni­taire qui est bien embar­ras­sé pour expri­mer une posi­tion qui conten­te­rait tout ses membres : tout sim­ple­ment impossible.

Un accord sujet à caution

Les par­le­men­taires oppo­sés à cet accord ou le cri­ti­quant ver­te­ment, ont des argu­ments. Déjà la pro­messe de la crois­sance au second semestre annon­cée par M. Mos­co­vi­ci n’engage, comme toutes les pro­messes, que ceux qui y croient ! Mais c’est sur­tout une forme d’hypocrisie qui est dénon­cée : il est vrai qu’on parle, pour la pre­mière fois d’un réamé­na­ge­ment de la dette grecque, donc éven­tuel­le­ment d’une réduc­tion que même le sour­cilleux ministre de l’Economie alle­mande, M. Schäuble ne dément pas. Et pour cause, car cette mesure est condi­tion­née par le déga­ge­ment d’un excé­dent bud­gé­taire pri­maire de 3,5% à par­tir de 2018 et pour les années suivantes.
Comme le note Roma­ric Godin, dans la Tri­bune du 3 mai der­nier, « Cet excé­dent est, pour eux, la condi­tion sine qua non de la « sou­te­na­bi­li­té » de la dette grecque. Dans leur logique, en déga­geant un tel excé­dent, la Grèce sera capable de faire face à ses échéances de rem­bour­se­ment. Or, la « sou­te­na­bi­li­té » de la dette hel­lé­nique est, à son tour, la condi­tion sine qua non de la par­ti­ci­pa­tion du FMI au finan­ce­ment de « l’aide » à la Grèce. Une par­ti­ci­pa­tion qui est néces­saire pour obte­nir l’a­val du Bun­des­tag, le par­le­ment alle­mand, sans qui toute la construc­tion du troi­sième mémo­ran­dum est impossible. ».
Alexis Tsi­pras consi­dère que l’évocation de la réduc­tion de la dette est un suc­cès pour tenir ses pro­messes et jus­ti­fier son ral­lie­ment aux exi­gences des créanciers.

Un « mécanisme de contingence »

Plus clai­re­ment expri­mé, la Grèce doit «obli­ga­toi­re­ment » déga­ger 3,5% d’excédents pour per­ce­voir les sommes néces­saires au rem­bour­se­ment de sa dette. Si tel n’est pas le cas, dès 2018, un « méca­nisme de contin­gence » se met­tra en route auto­ma­ti­que­ment sans que le gou­ver­ne­ment grec ou son par­le­ment ne puissent y redire quoi que ce soit.
Ce méca­nisme, dont le détail des mesures n’est pas ren­du public, obli­ge­ra la Grèce à appli­quer de nou­velles mesures d’austérité déjà défi­nies jusqu’à ce qu’elle arrive à ces fameux 3,5% ! Mais comme la consti­tu­tion grecque inter­dit toute « déci­sion pré­ven­tive votée à l’avance », le pré­sident de l’Eurogroupe et le com­mis­saire Mos­co­vi­ci invite le gou­ver­ne­ment hel­lène à « inven­ter un méca­nisme per­met­tant de contour­ner la loi fon­da­men­tale ». En somme, l’intérêt des créan­ciers doit pri­mer sur tout le reste, y com­pris la démo­cra­tie et l’état de droit.
Le débat au par­le­ment euro­péen a sur­tout fait émer­ger le scep­ti­cisme de très nom­breux dépu­tés : les mesures appli­quées jusqu’à pré­sent ne font pas preuve d’efficacité, au contraire. En res­tant dans la même logique et en l’amplifiant même avec cet accord, l’Eurogroupe va encore aggra­ver la situation.
Alexis Tsi­pras et Syri­za sont dans une situa­tion dif­fi­cile comme nous l’a confié Stel­lios Kou­lou­glou dans un entre­tien exclu­sif qu’il a accor­dé à L’Alterpresse68, à écou­ter ci-dessous.
Le gou­ver­ne­ment grec ne dis­pose plus de beau­coup de moyens pour faire pres­sion sur les créan­ciers qui ne cessent de mul­ti­plier les exi­gences de plus en plus importantes.
Cette situa­tion devrait faire réflé­chir dans toute l’Europe : un gou­ver­ne­ment dis­po­sé à faire une autre poli­tique, appuyer par une immense majo­ri­té de sa popu­la­tion, n’est plus en mesure d’affronter les struc­tures finan­cières et poli­tiques du capi­ta­lisme mon­dia­li­sé. Com­ment en Espagne et au Por­tu­gal actuel­le­ment, en France demain, des par­tis poli­tiques pour­ront-ils tenir leurs pro­messes de chan­ge­ment s’ils sont sou­mis aux mêmes pres­sions que la Grèce ?
Les oppo­sants aux poli­tiques d’austérité n’auraient-ils pas inté­rêt à créer un front inter­na­tio­nal, et d’abord euro­péen, ras­sem­blant lar­ge­ment les forces sociales et poli­tiques dans toutes leur diver­si­té, por­teuses d’alternatives éco­no­miques et démo­cra­tiques nouvelles ?
Sûre­ment le seul moyen d’éviter que les par­tis d’extrême-droite n’en tirent les mar­rons du feu, comme cela semble être mal­heu­reu­se­ment le cas dans de trop nom­breux pays.

Michel Mul­ler

Décou­vrez ici l’en­re­gis­tre­ment de Ste­lios Kou­lou­glou dépu­té euro­péen grec, au micro de l’Alterpresse68