Il se passe indiscutablement quelque chose dans le pays ! Les grévistes des raffineries sont en train d’incarner ce que les cheminots faisaient en 1995 : tous ceux qui sont dans l’impossibilité de faire grève ou de manifester, se retrouvent dans les revendications des salaries de Total ou d’Exxon ! C’est ce qu’on avait appelé « grèves par procuration » ! C’est ce qui rend le mouvement populaire malgré les désagréments qu’il suscite et malgré les campagnes médiatiques et politiques tentant de dresser l’opinion publique contre les grévistes.
En 1995, la grève des transports avait duré plusieurs semaines, en fin d’année en pleine préparation des fêtes : à l’époque, 60 % des médias présentent favorablement le plan gouvernemental de réforme des retraites alors que seuls 6 % en font une présentation défavorable. Et pourtant, malgré les pénibles marche à pied pour se rendre au travail ou pour faire les courses, malgré la défection de la CFDT, les grévistes continuaient d’avoir le soutien d’une grande majorité des citoyens. Pouvoirs politiques et économiques et médias ont échoué dans leur opération ! C’est à prendre en compte, en notre époque, où une déferlante propagandiste veut imposer le point de vue d’une incontournable précarité sociale qui devrait devenir la norme.
CONFIRMER LA RÉUSSITE DU 16 OCTOBRE
Dimanche 16 octobre, une première manifestation, à l’appel des partis politiques de la NUPES, a eu lieu avec 140.000 personnes à Paris. Il faut encore une fois dénoncer la mascarade des chiffres ; la police annonce 30.000 et un soi-disant groupe indépendant formé par les médias, réussit même à être en-dessous des chiffres de la police ! Ce groupe est indépendant comme l’est la presse en France !
Certains se gaussent de l’absence de la CGT dans l’appel pour le 16. C’est encore une belle manipulation qu’affectionne le pouvoir : la CGT tient (à tort ou à raison) à l’indépendance du mouvement syndical vis-à-vis des partis politiques. C’est une vieille tradition du syndicalisme français !
D’autant plus que les syndicats combattifs avaient déjà décidé une journée d’actions et de grèves ce mardi 18 octobre. Pourquoi opposer ces deux initiatives ? Pour mieux diviser, c’est évident !
UN MÉCONTENTEMENT QUI VIRE A L’ANGOISSE DU LENDEMAIN
La peur est-elle en train de changer de camp ? Depuis des années maintenant, et singulièrement sous les quinquennats Hollande et Macron, les citoyens de toute origine sociale vivent la peur du déclassement social. Pour répondre à cela, les différents gouvernements ont fait appel à la communication pour faire accepter leur politique. Laissant croire que la solution est individuelle, que certains citoyens seraient responsables de leur situation, qu’une prédestination sociale les conduisait immanquablement à l’échec, qu’ils y auraient les « élus » et les « perdants », bref une logorrhée réactionnaire que les sciences sociales démentent pourtant radicalement.
Mais la réalité à la vie dure : de plus en plus cette « aide-toi et le ciel t’aidera » se heurte à l’incapacité jupitérienne de réaliser ses promesses ! Voir des ingénieurs diplômés dénoncer leur formation et la mission qu’on leur assigne, comme étant socialement et écologiquement irresponsable, montre à quel point la contestation grandit.
Reste qu’un mouvement social ne peut pas réussir s’il est uniquement basé sur l’expression d’un mécontentement. Il lui faut des perspectives, des alternatives, des objectifs pour dépasser la situation actuelle.
On a bien vu que le mouvement des Gilets Jaunes se basait uniquement sur le mécontentement et qu’il a réussit à se faire entendre. Mais pas à gagner. Macron a réussi, par une supercherie de « grand débat » à étouffer la contestation.
Il manquait des réelles perspectives, d’organisations en capacité de porter les revendications là où elles pouvaient être résolues. Pourtant, si la supercherie permet de se sortir d’une mauvaise passe, elle n’étouffe pas définitivement la colère. Bien au contraire, elle la décuple !
CETTE POLITIQUE EST L’ART DE FAIRE ACCEPTER L’INACCEPTABLE
Macron n’est pas seul. Dans toute l’Europe, le recul social engendre un mécontentement, des réactions hostiles aux gouvernements, des révoltes sporadiques. Le gouvernement français est évidemment conscient de l’impopularité de son action : il s’agit aujourd’hui moins de convaincre que tout va bien mais plutôt de réussir à faire accepter ce qui aurait été inacceptable à certaines époques. Ces gouvernements, menant tous une politique de droite, applique le principe édicté par Margareth Thatcher : le TINA. « The ris no Alternative » ! Il n’y a pas d’autres choix !
Nous serions donc condamnés à subir une société dans laquelle les injustices s’aggravent chaque jour. La situation de Total résume en elle seule la réalité de notre monde : malgré les crises que nous connaissons au-moins depuis 2007 (crise financière mondiale), le capital s’est enrichit et la pauvreté a augmenté.
Que dire de la période récente ? « La fortune des milliardaires dans le monde a plus augmenté en 19 mois de pandémie qu’au cours de la dernière décennie. C’est la plus forte augmentation depuis que ce type de données est recensé. » nous rappelle l’ONG Oxfam.
Extraits du rapport d’Oxfam :
- Depuis la pandémie, le monde compte un nouveau milliardaire toutes les 26 heures, alors que 160 millions de personnes sont tombées dans la pauvreté.
- En France, de mars 2020 à octobre 2021, la fortune des milliardaires français a augmenté de 86%.
- Avec les 236 milliards d’euros supplémentaires engrangés en 19 mois par les milliardaires français, on pourrait quadrupler le budget de l’hôpital public ou distribuer un chèque de 3500 euros à chaque Français-e‑s.
- Les 5 premières fortunes de France ont doublé leur richesse depuis le début de la pandémie. Elles possèdent à elles seules autant que les 40% les plus pauvres en France.
- 7 millions de personnes ont besoin d’aide alimentaire pour vivre, soit 10% de la population française et 4 millions de personnes supplémentaires sont en situation de vulnérabilité à cause de la crise.
Il y a donc bien des alternatives possibles : par exemple assurer une meilleure redistribution des grandissantes richesses produites dans le monde. Et cela le « marché » ne le fera jamais, car c’est contre sa nature. De tout temps, c’était le rôle des Etats (et de la politique) d’effectuer ce travail. Mais aujourd’hui, les pouvoirs politiques sont ouvertement et exclusivement au service de la finance. Et leur rôle est de faire accepter aux population ces inégalités qui deviennent insupportables.
Il y a des moments dans la vie où l’inacceptable ne peut plus être accepté. Aucune organisation, aucun mouvement ne peut décréter cet état de fait qui surviendra quand une majorité de la population le décidera.
Pour le savoir, il faut que les organisations politiques et syndicales croyant aux alternatives possibles, donnent à la population l’occasion de s’exprimer.
Les appels syndicaux du 18 octobre 2022 sont une de ces occasions offertes pour exprimer une opinion que vous n’aurez aucune chance de voir reprise par les médias, sauf pour les déformer. Ce qui ne peut pas être tenu secret ou déformé, c’est ce qui est visible : la présence en masse dans la rue pour dire : il faut vraiment une autre politique sociale et économique dans notre pays.
A Mulhouse, cela se passera à 16 h à la fontaine de la Rue du Sauvage.
Je ne résiste pas au plaisir de partager ci-dessous une tribune parue dans la partie blog du magazine Alternatives Économiques, signée Claude Garcia, professeur de SES (sciences économiques et sociales), au lycée George Sand de Nérac. Coauteur de manuels scolaires et d’ouvrages parascolaires, il défend avec ardeur les SES (souvent menacées par les réformes, dont la dernière). Une vidéo France Inter y est associée plus bas.
Grave-situation-sociale-L-Berger-a-dit-Bordel-Les-SES-mon-Alter-Eco-Claude-Garcia-Les-blogs-dAlternatives‑Économiques