Dans les années 80, un collectif de militants et d’associatifs constitua dans le Haut-Rhin, à Lutterbach, un comité de soutien au Nicaragua, toujours actif à ce jour. Il s’inscrit dans le sillage de la révolution menée par le Front sandiniste de libération nationale (FSLN), lequel provoqua la chute du dictateur Anastasio Somoza en 1979. Jano Celle, membre de cette structure depuis les premières années, retrace ici le contexte de sa fondation. Un second texte, à paraitre prochainement, sera consacré aux thèmes de la santé et de la solidarité dans ce pays.

« Au fil des pages fatales de l’histoire

Notre terre est faite de force et de gloire

Notre terre est faite pour l’Humanité. »

Ruben Dario*

L’Amérique Cen­trale et notam­ment le Nica­ra­gua sont une terre de pas­sages et… de conquêtes. Après la Conquis­ta du XVI° siècle pré­cé­dant la colo­ni­sa­tion de la Nou­velle Espagne, puis de l’indépendance en 1821 de l’isthme centre amé­ri­cain, frac­tion­né en huit « nations » (1), c’est William Wal­ker (aven­tu­rier et fli­bus­tier Etat-unien) qui prend pos­ses­sion par les armes du Nica­ra­gua. Nous sommes en 1855, à par­tir de cette période, toute cette région du monde sera appro­priée comme « arrière court » de L’oncle Sam, consti­tuant les futurs « répu­bliques bana­nières » au ser­vice du capi­tal nord américain.

Les révoltes des pay­sans ladi­nos, ou amé­rin­diens, au fil des décen­nies, obligent les Etats-Unis à envoyer des expé­di­tions mili­taires puni­tives afin de faire régner l’ordre et le biz­ness. C’est à l’occasion de l’une de celles-ci que se fera connaître Augus­to Cesar San­di­no, sur­nom­mé par ses com­pa­ne­ros le géné­ral des hommes libres. Après avoir vain­cus et jeté à la mer les sol­dats bleus, San­di­no se fait assas­si­ner en 1934 (puis déca­pi­ter afin que ses proches ne puissent récu­pé­rer son corps, pour ne pas en faire un mar­tyr à la cause du peuple) par Anas­ta­sio Somo­za – à qui San­di­no avait per­mit de se faire élire à la pré­si­dence. Le dic­ta­teur mour­ra suite à un atten­tat en 1956, son fils ainé (Luis) lui suc­cè­de­ra durant 7 ans. Enfin, le second fils (Anas­ta­sio) pro­lon­ge­ra la dynas­tie fami­liale dans les mêmes condi­tions que ces ainés : en s’enrichissant, en répri­mant, en tyran­ni­sant et en impo­sant une misère sans nom à la popu­la­tion, avec le soin de « pri­va­ti­ser » le pays et lais­ser les entre­prises nord amé­ri­caines faire leur beurre.

C’est au début des années soixante qu’une oppo­si­tion armée sera créée ; en sou­ve­nir de San­di­no, le Front San­di­niste de Libé­ra­li­sa­tion Natio­nal (FSLN).

Enfin, après 43 années de dic­ta­ture moyen­âgeuse, les mucha­chos du FSLN – sou­te­nus par la qua­si tota­li­té des nicas – ren­versent la dynas­tie (Somo­za s’enfuit chez Stroess­ner, son « col­lègue » du Para­guay) et pro­mulgue à Mana­gua le 19 juillet 1979 la Révo­lu­tion san­di­niste.

Mais en 1981, Ronald Rea­gan (qui vient d’être élu à la Mai­son Blanche) à une autre vision de l’Amérique et de la « démo­cra­tie » que son pré­dé­ces­seur Jim­my Car­ter. Celui-ci va accu­ser les san­di­nistes de tous les maux anti­re­li­gieux, anti­dé­mo­cra­tiques, et anti droit de l’hommiste, et qui pré­pare la conquête de l’isthme pour le compte de Fidel Cas­tro et de l’URSS. Les « fau­cons yan­kees » décrètent un embar­go éco­no­mique et orga­nisent une milice contre révo­lu­tion­naire (ex poli­ciers somo­zistes, mer­ce­naires, etc.) qui comp­te­ra quelques dizaines de mil­liers de contras (contre révo­lu­tion­naire), armés et équi­pés par le Penta­gone. La Contra sera sta­tion­née prin­ci­pa­le­ment au Hon­du­ras – voi­sin du nord – le 51° Etats des Etats-Unis dit-on. Son objec­tif, désta­bi­li­ser la révo­lu­tion en per­pé­trant des attaques ciblées et des atten­tats à la bombe, visant prin­ci­pa­le­ment les popu­la­tions afin de les ter­ro­ri­ser, pour qu’elles ne sou­tiennent plus le FSLN.

En paral­lèle, en 1984, ce der­nier orga­nise des élec­tions géné­rales (pré­si­den­tielles, légis­la­tives et muni­ci­pales), El Com­man­dante Daniel (Daniel Orte­ga) est élu Pré­sident du Nica­ra­gua libre.

Face à l’ingérence état-unienne, le pays doit s’armer et se défendre : il cher­che­ra de l’aide éco­no­mique et mili­taire chez les pays qui font fi des direc­tives de la Mai­son Blanche. En fait, c’est elle qui jette le FSLN dans les bras sovié­tiques et cubains, per­met­tant ain­si d’alimenter la guerre froide.

Un accord de paix sera signé en 1989, per­met­tant la démo­bi­li­sa­tion des contras et de contin­gents mili­taires nicas. La guerre aura les­si­vé l’économie (mixte) san­di­niste : son bud­get mili­taire grim­pait jusqu’à 65 % de son PIB ; La 1ère puis­sance du monde agresse une nation de 3 mil­lions d’habitants pauvres ; c’est la démo­cra­tie ver­sion néo­li­bé­rale alors en pleine évolution.

Mais cubains et sovié­tiques ne seront pas les seuls à sou­te­nir le pays de San­di­no, l’ensemble de toute la gauche occi­den­tale, écœu­rée par la poli­tique de Rea­gan, va mobi­li­ser la soli­da­ri­té inter­na­tio­nale. Dans le 68, une délé­ga­tion d’un col­lec­tif de soli­da­ri­té nais­sant (diverses orga­ni­sa­tions syn­di­cales, poli­tiques, tiers-mon­distes et la com­mune de Lut­ter­bach) par­ti­ra en 1984 pour pré­pa­rer concrè­te­ment cette soli­da­ri­té. En 1er lieu, Lut­ter­bach se jumèle avec une petite ville ; Ciu­dad Dario. Puis, l’année sui­vante, deux pre­mières bri­gades de la paix (2) com­po­sées de mili­tant-es et sym­pa­thi­sant-es iront à C. Dario durant un mois cha­cune en été. Elles par­ti­ci­pe­ront acti­ve­ment à des tra­vaux sani­taires et sco­laires qu’elles auront au préa­lable finan­cé grâce à l’appel à la solidarité.

Des mil­liers d’occidentaux, durant des années, vont par­tir et repar­tir là-bas avec tou­jours des pro­jets sociaux, cultu­rels, agri­coles, etc.

Cette soli­da­ri­té à deux faces, la 1ère est d’abord de por­ter publi­que­ment un témoi­gnage et de faire pres­sion sur les pou­voirs poli­tiques occi­den­taux quant aux mani­gances et men­songes de L’oncle Sam. La seconde est d’apporter aux nicas notre soli­da­ri­té, qu’elle soit morale, poli­tique, ou Financière.

* Félix Rubén García Sar­mien­to, né à Meta­pa (rebap­ti­sé Ciu­dad Dario) le 18 jan­vier 1867 et mort le 6 février 1916. Poète, diplo­mate, jour­na­liste, Ruben c’était lié d’amitiés avec V. Hugo. Il est recon­nu le plus impor­tant poète du Nicaragua.

  1. Mexique, Gua­te­ma­la, Belize, Hon­du­ras, Sal­va­dor, Nica­ra­gua, Cos­ta Rica et la Colom­bie qui s’ouvre sur le sud du continent.

  2. Le terme de bri­gade en Am-Latine ne se rap­porte pas qu’à l’armée comme en France, mais à tout groupe de per­sonne œuvrant à une action commune.