L’ennuyeux débat n’y aura donc rien chan­gé. Sans prendre trop de risques, nous aurons donc Macron se suc­cé­dant à lui-même pour un der­nier man­dat… en atten­dant ! Libé­ré d’un nou­veau retour devant les élec­teurs, il pour­ra donc dérou­ler tout son pro­gramme libé­ral : tout pour les riches et les entre­prises, démem­brer le sys­tème de pro­tec­tion sociale, liqui­der tout ce qui est public… y com­pris des pans entiers du domaine réga­lien. Une des mesures emblé­ma­tiques sera la « pri­va­ti­sa­tion » de la diplomatie…

Si d’aventure, ce pré­sident avait une majo­ri­té à l’Assemblée natio­nale comme celle qu’il déte­nait (des gens votant sans état d’âme de ce que le chef lui pro­pose…), il n’y aura aucun contre­pou­voir pour arrê­ter cette poli­tique mor­ti­fère pour les conquêtes sociales.

Faute de vrai débat sur le bilan de ce satrape du libé­ra­lisme inter­na­tio­nal, nous n’avons pas pu mesu­rer dans sa tota­li­té les immenses dégâts déjà entre­pris durant les cinq années de son man­dat : ne reve­nons pas sur l’explosion de la pau­vre­té et de la pré­ca­ri­té, de la sol­li­ci­tude pour les très riches et les grandes entre­prises du CAC 40, bref un recul social dont on n’a pas encore vu tous les dégâts, mais sur­tout sur une gou­ver­nance tota­le­ment per­son­nelle, rame­nant les ins­ti­tu­tions à de simples rouages au ser­vice du maître…

La disparition des contrepoids démocratiques

Fran­çois Mit­ter­rand voyait en 1964, dans la Ve Répu­blique, un « coup d’état per­ma­nent » dénon­çant ain­si une Consti­tu­tion basé sur le pou­voir per­son­nel d’un Pré­sident élu au suf­frage uni­ver­sel qui concen­trait en ses mains tous les pou­voirs… y com­pris celui de pou­voir dis­soudre l’Assemblée natio­nale élue, elle aus­si, au suf­frage uni­ver­sel. Pour de Gaulle, la IVe Répu­blique don­nait trop de pou­voir au Par­le­ment et aux par­tis poli­tiques. Il inven­ta donc un Par­le­ment aux bottes du Pré­sident (les fameux dépu­tés « godillots » * prêts à voter n’importe quoi pour peu que le Pré­sident le leur demande…).

C’est ain­si que la France se dota d’un régime unique dans le pay­sage démo­cra­tique mon­dial : un pré­sident dis­po­sant des qua­si pleins pou­voirs, plus puis­sant que le Pré­sident des États-Unis qui doit, le pauvre, se sou­mettre au Congrès pour de nom­breuses déci­sions enga­geant le pays.

Quelques ins­ti­tu­tions devaient cepen­dant don­ner le change, entre autres le Conseil consti­tu­tion­nel dont le rôle dévo­lu par De Gaule se résu­mait ain­si : « Ce qu’il nous faut, c’est une arme contre la dévia­tion du régime par­le­men­taire ». Tout est dit !

De Gaulle réus­sit ain­si à gou­ver­ner de nom­breuses années sans que les ins­ti­tu­tions ne lui opposent la moindre résis­tance : il fal­lut les révoltes sociales des années 1967 et 1968 pour que son poste vacille… mais les rouages de la 5e Répu­blique lui per­mirent de pro­lon­ger encore son règne une année après les luttes sociales de 1968 et ses occu­pa­tions d’usines qui mirent le pays à l’arrêt durant près d’un mois.

Il n’est pas contes­table que la sta­ture de cer­tains hommes d’État comme De Gaulle ou Mit­ter­rand ait pu mas­quer les erre­ments démo­cra­tiques liés à cette Consti­tu­tion. Mais tous les pré­si­dents n’ont pas cette dimen­sion : ima­gine-t-on Macron reprendre les mots de De Gaulle pro­non­cés en 1966 « la poli­tique de la France ne se fait pas à la Cor­beille » (… de la Bourse). Lui qui a livré la tota­li­té de l’économie fran­çaise au capi­ta­lisme mon­dia­li­sé et à ses règles qui ne se pré­oc­cupent pas de l’avenir d’un pays.

Tant qu’un inter­ven­tion­nisme public ou poli­tique per­met­tait d’encadrer l’économie capi­ta­liste, les gou­ver­ne­ments pou­vaient faire des choix de régu­la­tion et d’investissements éco­no­miques pri­vi­lé­giant l’intérêt public plu­tôt que celui des investisseurs.

Les gestionnaires du capital au sommet de l’État : Macron en est la caricature !

Dans le droit fil des évo­lu­tions ultra­li­bé­rales anglo-saxonnes (entre autres That­cher au Royaume-Uni et Rea­gan aux USA), les poli­tiques publiques s’alignaient de plus en plus sur les inté­rêts de ren­ta­bi­li­té du mar­ché. Le Mar­ché était le nou­veau régu­la­teur… dont la voca­tion est sur­tout de ne rien réguler…

C’est à par­tir des années 80 que le grand déman­tè­le­ment social se fit : dési­gnant les acquis sociaux des tra­vailleurs comme des « rin­gar­dises » d’un autre temps, c’est le libé­ra­lisme éche­ve­lé qui devait être la norme.

Cette poli­tique, bru­tale pour les popu­la­tions, mais ô com­bien pro­fi­table pour les grandes entre­prises et leurs action­naires, a consi­dé­ra­ble­ment réduit le pou­voir des orga­ni­sa­tions syn­di­cales qui pei­naient à orga­ni­ser des luttes sociales aux­quelles les tra­vailleurs croyaient de moins en moins. Le mot d’ordre des maîtres du mar­ché était : « ne rien lâcher ! » L’État leur ser­vait à tenir ferme et à assu­mer le coût social et finan­cier des restruc­tu­ra­tions indus­trielles jetant d’immenses ter­ri­toires et leurs popu­la­tions dans un déclin et une misère sociale inima­gi­nable auparavant.

Un président de la République n’ayant aucune expérience de gestion d’une collectivité

Emma­nuel Macron est l’image même de ces diri­geants poli­tiques tota­le­ment ser­viles vis-à-vis des puis­sances finan­cières : il est là pour les ser­vir… Et cela à n’importe quel prix !

M. Macron arrive au pou­voir dans le cadre d’une défiance totale de la popu­la­tion contre le monde poli­tique. Sans pour autant que les citoyens ne cherchent à décou­vrir que les vrais res­pon­sables sont ceux qui donnent les ordres et pas uni­que­ment les exé­cu­tants. Cette insuf­fi­sance de culture poli­tique per­met à des char­la­tans de s’emparer du pou­voir « par défaut ».

C’est ain­si que devant le désastre Hol­lande, Macron qui était pour­tant son ins­pi­ra­teur et col­la­bo­ra­teur très proche, devient le Pre­mier Magis­trat de France… sans n’avoir jamais été élu ne serait-ce à un poste de conseiller muni­ci­pal ou de col­lec­ti­vi­té ter­ri­to­riale. Pour­tant, cette expé­rience de man­dat local est une des bases de l’appréhension d’une ges­tion publique d’un ter­ri­toire, appren­tis­sage des arbi­trages, de l’écoute des citoyens, de la prise de dis­tance avec les lob­bies… Et un peu d’apprentissage de l’humilité, ce qui manque cruel­le­ment à ce Président…

Pas de démocratie sans partis politiques…

L’autre marque de Macron est le dis­cré­dit qu’il jette sur les corps inter­mé­diaires et d’abord sur les Par­tis poli­tiques… sur­fant sur le dis­cré­dit qui les frappe dans l’opinion publique. Pour­tant il n’y a pas de démo­cra­tie sans des Par­tis poli­tiques de diverses opi­nions char­gés d’animer au jour le jour la vie démo­cra­tique au plus près des citoyens.

La Répu­blique en Marche est un mou­ve­ment au ser­vice exclu­sif et unique de M. Macron. Le slo­gan n’est-il pas… En Marche comme Emma­nuel Macron.

Cette déi­fi­ca­tion de l’individu relève d’un abê­tis­se­ment de la pen­sée humaine… Et rap­pelle d’autres régimes qui en fai­saient une reli­gion. A écou­ter quelques fidèles de M. Macron, nous n’en sommes pas loin. Et cela rejaillit sur leurs actions : comme seul le Chef a rai­son, toutes les autres opi­nions ne sont néces­sai­re­ment que le fait de gens qui n’ont rien com­pris (des cons, quoi…) ou alors de complotistes…

Il n’y a donc plus de places pour le débat public puisque cela impli­que­rait qu’on écoute les pro­pos et pro­po­si­tions des autres avant de déci­der. C’était l’objet des Par­tis poli­tiques au sein duquel s’élaboraient des idées, pro­po­si­tions, actions qui nour­ris­sait le débat public, lais­sant encore au sein de la Ve Répu­blique une impres­sion de pou­voir dire son mot à défaut d’être écouté…

Une presse et des médias totalement inféodés et décrédibilisés

Un autre contre­pou­voir que la Macro­nie a contri­bué à tota­le­ment décré­di­bi­li­ser ce sont les médias.

Le pou­voir ver­ti­cal de la 5e Répu­blique crée de fac­to une presse aux ordres. La struc­ture même de la presse fran­çaise est congé­ni­ta­le­ment mar­quée par l’inféodation au pou­voir cen­tral. La Presse pari­sienne, dite « Natio­nale », tout comme la télé­vi­sion et la radio, est ali­men­tée par le pou­voir et décline en fonc­tion de leur sen­si­bi­li­té les infor­ma­tions qu’on leur délivre.

Macron a « amé­lio­ré » ce dis­po­si­tif. Non seule­ment on livre aux jour­na­listes les élé­ments de lan­gage, mais l’utilisation abu­sive des réseaux sociaux conduit à ce qu’une cel­lule de l’Élysée matraque les jour­na­listes accré­di­tés, d’informations à tout ins­tant, comme le narre le site « Arrêt sur Images » du 19 avril der­nier.

C’est ain­si que se construit une « véri­té » relayé par des « édi­to­ria­listes » et des « experts » dont le rôle est de condi­tion­ner le conte­nu de tous les médias sur l’ensemble du ter­ri­toire. Et gare au jour­nal ou au jour­na­liste qui n’obtempère pas : il est immé­dia­te­ment clas­sé dans la caté­go­rie du « fake news » (terme popu­la­ri­sé par… Trump et repris sans ver­gogne par des médias qui se veulent hono­rables). Avan­tage de cette méthode : inutile de dis­cu­ter de cer­tains argu­ments, ils seront clas­sés dans la caté­go­rie « fake news » … donc impu­bliables. Et l’Expert qui ose dire autre chose que la doxa, il n’au­ra plus d’invitation à ces fameuses tables rondes aux rhé­to­riques de ser­mons d’églises….

Il faut d’urgence changer de République :  un 3e tour pour le faire

Tout cela ne peut que mal se ter­mi­ner. M. Macron n’a pas de foi ni de loi. Seuls comptent son opi­nion et ses objec­tifs. Il n’y a rien à dis­cu­ter. Il est clair que cinq années de plus lui per­met­tront d’enfoncer encore plus le clou. Pour les naïfs qui pensent qu’ils vont voter « contre » Le Pen en votant « pour » Macron, il s’agit d’une réflexion poli­tique au ras des pissenlits…

Car M. Macron concentre sur lui tous les défauts de la 5e Répu­blique qui ne pour­ra conduire, tôt ou tard, qu’à l’établissement d’un pou­voir fort rédui­sant les liber­tés publiques devant les colères qui ne man­que­ront pas d’émaner de la population.

Mme Le Pen au 2e tour en 2022, c’est le désir et la réa­li­sa­tion de M. Macron. Quelle tour de passe-passe va-t-il inven­ter pour 2027 ? La même poli­tique pro­dui­sant les mêmes effets, quelle sera la per­sonne adé­quate pour jouer le rôle de Mme Le Pen à la pro­chaine élec­tion ? L’extrême droite pro­po­se­ra-t-elle cette « per­sonne forte » qui sied tel­le­ment à la Consti­tu­tion de la 5e République ?

L’exigence popu­laire d’un chan­ge­ment de régime doit s’exprimer dès le len­de­main du 2e tour des Pré­si­den­tielles. Elle devra s’exprimer dans tous les étages de la socié­té : du ter­rain jusqu’à l’assemblée.

Il serait illu­soire de croire que sans chan­ge­ment pro­fond et bru­tal rien ne pas­se­ra durant ce quin­quen­nat, la cam­pagne n’a rien réveillé, bien au contraire.

Pour les citoyens atta­chés à la dimen­sion sociale et huma­niste d’une répu­blique, seules les pers­pec­tives déve­lop­pées par Jean-Luc Mélen­chon sont de nature à secouer (un peu) le coco­tier : la pro­po­si­tion d’une Union popu­laire est celle qui peut empê­cher Macron d’aller jusqu’au bout du recul démo­cra­tique qui se dessine.

Déjà le média macro­niste par excel­lence, Le Monde, com­mence son insi­dieuse cam­pagne pour les légis­la­tives en consi­dé­rant que La France Insou­mise aurait une ten­ta­tion d’hégémonie à gauche en appe­lant les élec­teurs à élire M. Mélen­chon Pre­mier ministre lors des légis­la­tives. Déjà la petite musique des « gauches irréconciliables » …

Et là com­mence à poindre un autre enjeu dans les pro­chaines semaines, voire années : quelle est donc la gauche « accep­table » pour la bour­geoi­sie au pou­voir et qui détient qua­si­ment tous les médias ? La si molle social-démo­cra­tie (incar­née par Jadot et Hidal­go) ne semble pas faire l’affaire pour le moment. Alors, l’Union popu­laire serait-elle enfin une vraie alter­na­tive pour le peuple de gauche ? C’est avec effroi que les rédac­tions du Monde et de Libé­ra­tion voient cet avenir…

Et je ne peux m’empêcher d’imaginer quelle aurait été leur posi­tion en cas de confron­ta­tion entre Jean-Luc Mélen­chon et Marine Le Pen au second tour ? Auraient-ils par­lé de « front répu­bli­cain » en faveur de Mélen­chon ? Ou bien la si glo­rieuse for­mule uti­li­sée par Fran­çois de Wen­del, pré­sident du Comi­té des forges, en 1934 aurait-elle fait flo­rès : « Plu­tôt Hit­ler que le Front popu­laire. ». »

Nous ne sommes jamais à l’abri de rien…

 *Alexis Godillot, entre­pre­neur d’o­ri­gine modeste né à Besan­çon en 1816 qui fit for­tune sous Napo­léon III. C’est à lui que l’Em­pe­reur confia le soin d’é­qui­per ses troupes. À l’oc­ca­sion de la guerre de Cri­mée en 1853, M. Godillot four­nit l’ar­mée fran­çaise en selles et en tentes, mais sur­tout en sou­liers. C’est lui qui inven­ta la dif­fé­ren­cia­tion entre le pied gauche et le pied droit pour rendre les grolles plus confor­tables. Un des dépu­tés gaul­listes uti­li­sa ain­si la méta­phore des sou­liers pour s’aplatir devant les dési­dé­ra­tas de Mon Géné­ral : « Nous sommes les godillots du général ». 

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