En mémoire de Kamal Nag­chch­band, Anu­pong Sueb­sa­marn, Pas­cal Ver­denne, Anto­nio Maga­liz­zi, Bar­tosz Niedzielski.

En pen­sées fra­ter­nelles avec les bles­sés et les familles des victimes.

Les élus stras­bour­geois aiment convo­quer la tra­di­tion huma­niste rhé­nane pour don­ner de l’éclat et de la noblesse à leurs actions et à leurs initiatives.

Le paral­lèle est cer­tai­ne­ment régu­liè­re­ment appro­prié, même si on peut nuan­cer avec Ste­fan Zweig (cité par Gabriel Braeu­ner dans la revue de l’ asso­cia­tion Espoir, No 172, décembre 2018, p. 6) : «  La cause de la rapide déca­dence et de la fin tra­gique de l’humanisme c’est que si ses idées étaient grandes, les hommes qui les pro­cla­maient man­quaient sou­vent d’envergure ». Et même si cet huma­nisme n’empêchait ni l’antijudaïsme viru­lent, ni de jeter au bûcher les sor­cières ou encore de res­ter indif­fé­rent aux «  mas­sacres de quelques dizaines de mil­liers de pay­sans sédi­tieux au prin­temps 1525 aux portes de Saverne et de Scher­willer ( bien avant l’époque des ronds-points et des gilets jaunes). »

Com­ment inter­pré­ter le com­men­taire de Roland Ries affir­mant solen­nel­le­ment qu’il ne serait pas favo­rable à l’inhumation de M Che­rif Che­katt à Strasbourg ?

Pour évi­ter le risque de faire de la tombe un lieu de pèlerinage ?

Comme si la mort n’avait pas un carac­tère sacré, universellement.

Comme si la famille de cet homme n’était pas aus­si vic­time psy­chique, indi­recte mais réelle, de ce mal­heur collectif.

Comme si M Che­katt n’était pas un des fils de notre Répu­blique fran­çaise et de notre ville.

Selon quels cri­tères pour­rions-nous déci­der du carac­tère « conve­nable » d’une dépouille et qu’est-ce qui fon­de­rait la déci­sion de la sacra­li­ser, par l’élection ou le déni ?

Pour­quoi ne pas plu­tôt miser sur l’intelligence, le par­tage du savoir et des connais­sances, le sou­tien aux familles les plus défavorisées ?

M Che­katt n’a pas été jugé et quel que soit le carac­tère mons­trueux et absurde des actes qu’on peut légi­ti­me­ment lui impu­ter, sa famille et ses proches ne peuvent pas être inté­grés dans l’opprobre.

Et le dégoût, la dou­leur et le sen­ti­ment de gâchis que peuvent ins­pi­rer ses actes ne doivent pas jus­ti­fier d’avoir recours à une forme de pen­sée magique, dont les effets seraient « d’externaliser » le pro­blème cru­cial que pose ce type de pas­sage à l’acte radi­cal où, chose « étrange », l’auteur sacri­fie aus­si sa propre vie.

Cette pro­po­si­tion de « reje­ter » la dépouille est un piège car si on avait dû en déci­der ain­si, la dis­cus­sion aurait alors pu s’ouvrir au sujet de tous les auteurs de crimes ou même d’accident : où serait la limite ?

Les vio­leurs en série, les prêtres pédo­philes en série, les tueurs , les escrocs , les auteurs d’accident de la route mor­tels alcoo­li­sés ne pour­raient plus être enter­rés chez eux ?

Pour­quoi le type de crimes com­mis par M Che­katt génère-t-il ce type d’ostracisme et de déni ?

En quoi sont-ils plus hor­ribles et plus impensables ?

Quelle est l’échelle de l’horreur ?

Quels sont les argu­ments qui nous auto­ri­se­raient à exclure M Che­katt du champ sym­bo­lique de nos repré­sen­ta­tions collectives ?

Il est Français.

Le « risque » du pèle­ri­nage ne tient pas dans la mesure où les pèle­rins seraient immé­dia­te­ment identifiés.

Ce qui fait la gran­deur d’une socié­té c’est d’essayer de com­prendre. Ce qui ne veut pas dire qu’il s’agirait d’excuser.

Pour­quoi ne serions-nous pas capables d’intégrer la pro­blé­ma­tique repré­sen­tée par le fait qu’une par­tie des dji­ha­distes est nos propres enfants.

Le nier serait dépla­cer fau­ti­ve­ment un pro­blème col­lec­tif et un défi que nous devons et pou­vons rele­ver ensemble.

Un peu comme on déplace géo­gra­phi­que­ment la cri­mi­na­li­té en ins­tal­lant la vidéosurveillance.

Qu’on punisse et exècre les bour­reaux mais qu’on tente de (les) com­prendre et qu’on ne renonce jamais à les nommer.

Ce serait un piège tra­gique dans lequel leurs crimes nous feraient tomber.

Georges Yoram Federmann

24 décembre 2018

PS. Et à pro­pos de l’hommage ren­du aux vic­times, Place Klé­ber, le dimanche 16 décembre, rap­pe­lons sim­ple­ment que nous hono­rons un auguste mili­taire dont le tom­beau est au centre de notre ville parce qu’il a eu la chance d’être du côté des vain­queurs. Rap­pe­lons-nous qu’en 1793, l’ar­mée répu­bli­caine a été refor­mée et pla­cée sous l’au­to­ri­té offi­cieuse de Klé­ber et Mar­ceau. Ils délogent du Mans l’ar­mée rebelle et la mettent en déroute. Ils appliquent alors sans état d’âme les consignes du comi­té de salut public, mas­sa­crant plu­sieurs mil­liers de trai­nards, bles­sés, malades, femmes et enfants. Ils ter­minent la besogne quelques jours plus tard à la Bataille de Save­nay (Décembre 1793) met­tant ain­si un terme à la « grande guerre » vendéenne. 

Ce texte a fait l’ob­jet d’une réponse sui­vie d’une inter­pré­ta­tion plus large 

Quelques textes de Georges Feder­mann parus dans Alterpresse68

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