Le ser­vice public de plein exer­cice rega­gne­ra-t-il ses lettres de noblesse, à l’heure où l’ordre éco­no­mique néo­li­bé­ral et les modèles de crois­sance, de pro­duc­tion et de consom­ma­tion par­viennent à satu­ra­tion, et sont dou­blées d’une impasse idéo­lo­gique mani­feste ? Il y a loin de la coupe aux lèvres lip­pues des libé­raux libidineux. 

Selon un son­dage publié récem­ment par l’ins­ti­tut Odoxa, 9 Fran­çais sur 10 consi­dèrent comme essen­tiel de pré­ser­ver les ser­vices publics de proxi­mi­té. Dans la pers­pec­tive des pro­chaines élec­tions muni­ci­pales, cela ne peut que for­cer les can­di­dats et can­di­dates à s’in­ter­ro­ger sur l’im­mense attente des conci­toyens, élec­teurs, en la matière. 

Or, qu’est-ce que four­nit, en der­nier res­sort, un ser­vice public, sinon garan­tir un prin­cipe d’égalité devant l’ex­pres­sion d’un besoin ? Le ser­vice public c’est en théo­rie la pro­messe d’un accès à une pres­ta­tion qua­li­ta­tive, dans une pers­pec­tive durable et à un tarif équi­table. Son objet n’est pas la géné­ra­tion de pro­fits, mais l’utilité sociale dans l’intérêt public. 

Le prix du timbre-poste en est un bon exemple : en payant votre timbre rouge 1,05 euro, vous ne payez pas le vrai prix du trans­port de votre lettre. Si vous habi­tez Mul­house et que votre cour­rier se des­tine à Stras­bourg, le cout réel sera plus bas que s’il devait être dis­tri­bué à Brest. Pour­tant le ser­vice public pos­tal vous oblige à payer 1,05 euro pour les plis de moins de 20 grammes*. Un méca­nisme de prix moyen soli­daire inter­vient donc : la péréqua­tion. Les acti­vi­tés défi­ci­taires d’une admi­nis­tra­tion sont com­pen­sées par les recettes per­çues auprès d’autres usagers.

* Il peut y avoir de la concur­rence à par­tir de 50g, mais le cout est trop éle­vé pour le sec­teur pri­vé, si bien que La Poste n’a tou­jours pas de concur­rent en France !

Le ser­vice public comme objet flot­tant mal identifié

Le pro­blème est que la notion de ser­vice public est un objet de concep­tion gigogne, puisqu’il désigne à la fois une acti­vi­té d’intérêt géné­ral pro­po­sée à la popu­la­tion, et un modèle d’organisation éco­no­mique qui en assure la trans­crip­tion dans le réel.

On a d’ailleurs sou­vent ten­dance à se méprendre sur le sens don­né à ce concept poli­ti­co-admi­nis­tra­tif, compte tenu sa dimen­sion protéiforme. 

Afin d’appréhender ses contours, on peut donc s’a­mu­ser à illus­trer les sub­ti­li­tés du ser­vice public, en s’aidant de l’exemple don­né par un bien aus­si liquide et vital que l’eau.

Exa­mi­nons donc les quelques états éco­no­miques de la molé­cule, dans diverses confi­gu­ra­tions de rap­port au ser­vice public. 

Un ser­vice public est-il néces­sai­re­ment un bien public ?

Le bien public uni­ver­sel le plus élé­men­taire et fon­da­men­tal, pour toutes et tous, est bien sûr l’eau de boisson. 

Le ser­vice public consiste donc dans le prin­cipe de dis­tri­bu­tion du pré­cieux liquide. Mais l’eau peut éga­le­ment être déna­tu­rée par une socié­té com­mer­ciale, et se trans­for­mer en une vul­gaire mar­chan­dise : ain­si, l’eau miné­rale Vit­tel, mise en bou­teille par la socié­té Nest­lé Waters, laquelle ne fait que cap­ter une res­source natu­relle à titre pri­va­tif, uti­lise la même nappe phréa­tique que la régie muni­ci­pale des habi­tants de Vittel ! 

Le fait est que Nest­lé sur­ex­ploite éhon­té­ment la nappe phréa­tique muni­ci­pale, à tel point qu’il est pré­vu de pré­le­ver l’eau ailleurs qu’à Vit­tel pour assu­rer le besoin des habi­tants, tan­dis que la socié­té Nest­lé conti­nue de se ser­vir autant qu’elle le veut dans la nappe originelle ! 

C’est dire com­bien les effets de la puis­sance com­mer­ciale d’une mul­ti­na­tio­nale peuvent aisé­ment déna­tu­rer et per­ver­tir le prin­cipe d’accessibilité conti­nue garan­ti, en prin­cipe, par le ser­vice public… 

C’est une ten­dance lourde en situa­tion d’économie néo­li­bé­rale : la logique du public est sup­plan­tée, voire gan­gré­née, par le court-ter­misme, lequel oriente la fina­li­té ges­tion­naire et lucra­tive du sec­teur pri­vé. En France, la dis­tri­bu­tion des eaux muni­ci­pales par des socié­tés pri­vées se tra­duit sou­vent par un sur­cout de l’ordre de 15 à 30% pour le consommateur.

Heu­reu­se­ment, les popu­la­tions sont de plus en plus hos­tiles à cet acca­pa­re­ment indu d’un bien public, et de nom­breuses villes reprennent le contrôle de la dis­tri­bu­tion de l’eau, sous la forme de régies publiques. 

Le ser­vice public pro­cède-t-il néces­sai­re­ment du sec­teur public ?

La dis­tri­bu­tion de l’eau peut être assu­rée par des entre­prises publiques, qui sont dis­tinctes, dans leur fonc­tion­ne­ment et leur mode de ges­tion, d’une admi­nis­tra­tion publique. « Eau de Paris » en est un exemple. C’est ce que l’on nomme un EPIC*, qui appar­tient à la ville de Paris depuis 2010, depuis que celle-ci a déci­dé de reprendre en main la dis­tri­bu­tion de l’eau au sec­teur pri­vé, qui fai­sait très mal son bou­lot, et sur­fac­tu­rait les usagers. 

*Éta­blis­se­ment public à carac­tère indus­triel ou commercial

Mais les entre­prises com­mer­ciales peuvent éga­le­ment inter­ve­nir dans le cadre du ser­vice public. On appelle cela une délé­ga­tion de ser­vice public (ou DSP). Une spé­cia­li­té fran­çaise très gou­tée, y com­pris à Mul­house. Par exemple, lors­qu’une muni­ci­pa­li­té confie la ges­tion de la dis­tri­bu­tion de l’eau à Véo­lia ou GDF-Suez.

A Mul­house, la dis­tri­bu­tion reste assu­rée par une régie muni­ci­pale, car les maires suc­ces­sifs en ont déci­dé ain­si. Pour autant, c’est M2A (l’agglomération mul­hou­sienne) qui va prendre en charge cette com­pé­tence à par­tir du 1er jan­vier 2020.

Il se pour­rait donc que les com­munes de l’agglomération des­ser­vies par l’eau de Mul­house décident, un jour, de confier sa dis­tri­bu­tion au sec­teur pri­vé. Avec toutes les chances de béné­fi­cier d’un moindre ser­vice, et d’une plus grosse facture ! 

Le ser­vice public est-il tou­jours ren­du en situa­tion monopolistique ?

On vient de voir que non. Les socié­tés Veo­lia ou GDF Suez, par exemple, qui assurent la dis­tri­bu­tion de l’eau dans cer­taines villes, com­mer­cia­lisent éga­le­ment du gaz, de l’électricité, recyclent des déchets, etc. La flotte, c’est donc le nou­vel or bleu de ces sociétés !

Pour ache­ver ce petit exer­cice d’explicitation molé­cu­laire du ser­vice public, assu­rons-nous d’abord que notre socié­té ne tourne défi­ni­ti­ve­ment en d’immenses sévices publics, par des­truc­tion métho­dique de tout ce qui nous appar­tient en propre, n’a qu’une valeur d’u­sage, et concourt par-des­sus tout à faire société. 

Ne pas lais­ser cou­ler le ser­vice public

Une année après le mou­ve­ment des gilets jaunes, et face à un gou­ver­ne­ment peu amène en matière de sub­ti­li­tés sociales, beau­coup de slo­gans relaie­ront et appuie­ront des appels à ces­ser la démo­li­tion des ser­vices publics, et même à en exi­ger leur retour mas­sif, lors de la mani­fes­ta­tion du 5 décembre. 

Une exi­gence que l’on va assu­ré­ment réen­tendre durant toute la séquence sociale et poli­tique qui ouvre vers la tenue des élec­tions muni­ci­pales de 2020, et sui­vra, bien au delà encore. 

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