L’in­for­ma­tion a été dif­fu­sée la semaine der­nière auprès du corps ensei­gnant du 1° degré (écoles mater­nelles er élé­men­taires) de Mul­house, après trans­mis­sion par les direc­teurs et direc­trices d’établissement. 

Les enfants qui auront quit­té l’é­cole de manière anti­ci­pée à Mul­house, notam­ment à par­tir du 21 juin 2021, feront l’ob­jet d’un rap­pel à l’ordre (ou RAO) de la part du maire, ou l’un de ses adjoints.

D’a­près nos infor­ma­tions, le dis­po­si­tif de rap­pel à l’ordre sco­laire pré­vau­drait depuis l’an­née 2015, mais aurait été mis en som­meil, jus­qu’à cette année. 

Il est le pro­duit d’un par­te­na­riat signé entre la ville de Mul­house et la Direc­tion des Ser­vices Dépar­te­men­taux de l’Éducation Natio­nale (DSDEN) depuis son origine.

En pra­tique il s’a­git donc de convo­quer en mai­rie les parents n’ayant pas res­pec­té l’obli­ga­tion sco­laire » (par abus de lan­gage car rap­pe­lons en pas­sant que seule l’ins­truc­tion est obli­ga­toire, et non l’é­cole), à l’ap­proche des grandes vacances, pour les rap­pe­ler à leurs devoirs. Un objec­tif a prio­ri légitime. 

Sauf que pour le réa­li­ser, on demande aux pro­fes­seures des écoles de ren­sei­gner des infor­ma­tions concer­nant enfants et parents, via un for­mu­laire, trans­mis aux ser­vices municipaux.

Ci-des­sous le fichier excel que les ensei­gnantes devraient docu­men­ter pour chaque cas :

Par­mi les prin­ci­pales colonnes, on trouve le nom de l’en­fant de sa date de nais­sance, l’i­den­ti­té et des parents, les coor­don­nées télé­pho­niques, l’a­dresse com­plète, la cir­cons­crip­tion et l’é­ta­blis­se­ment sco­laire, la classe, la « date du der­nier jour de pré­sence à l’é­cole (départ anti­ci­pé) », le « nombre de jour de départs anti­ci­pés », puis la men­tion « IMPORTANT: Com­men­taires Direc­tion école », puis « Parents fran­co­phone (OUI / NON) Si NON langue par­lée ? », « nombre de demi-jour­nées d’ab­sence sur l’an­née 2020–2021″, « Situa­tion d’ab­sen­téisme déjà signa­lée à la DSDEN en cours d’an­née 2020–2021 ? OUI / NON ».

Les 3 der­nières colonnes, en gri­sé, sont réser­vées aux ser­vices muni­ci­paux : « DATE CONVOCATION (A COMPLETER PAR LA VILLE / DIRECTION PREVENTION SECURITE) », « HEURE DE CONVOCATION », et « COMMENTAIRE ».

On peut sup­po­ser que le for­mu­laire sert éga­le­ment à trans­mettre les absences non-jus­ti­fiées aux ser­vices muni­ci­paux tout au long de l’an­née. En témoigne les men­tions Nombre de demi-jour­nées d’ab­sence sur l’an­née et Situa­tion d’ab­sen­téisme déjà signa­lée à la DSDEN en cours d’an­née.

D’a­près nos recou­pe­ments, seules les écoles clas­sées REP+ (soit la qua­si tota­li­té à Mul­house) relèvent les absences non jus­ti­fiées. Des absences qui sont soit le fait de parents négli­gents (situa­tion rare), soit de parents n’ayant pas les moyens de s’ex­pri­mer cor­rec­te­ment à l’écrit. 

Si bien que ce sont ceux qui sont capables de jus­ti­fier la moindre absence de leur enfant, qui s’en tirent à bon compte, y com­pris sous les pré­textes les plus douteux. 

Pour les ensei­gnants et la com­mu­nau­té édu­ca­tive, la pra­tique du rap­pel à l’ordre inter­roge tou­te­fois à de mul­tiples niveaux : 

  • Pour­quoi deman­der à des fonc­tion­naires d’État d’ef­fec­tuer une tâche d’auxiliaire de police admi­nis­tra­tive qui ne leur incombe en aucune manière ?
  • Ces signa­le­ments ne sont-ils pas de fait à une forme de rup­ture du lien de confiance tis­sé entre ensei­gnants et parents d’é­lèves tout le long de l’an­née scolaire ?
  • Une média­tion menée avec les parents, l’é­quipe édu­ca­tive d’un éta­blis­se­ment, ou même un tiers, qu’il soit muni­ci­pal ou asso­cia­tif, ne sera-t-elle pas plus pro­duc­tive et judi­cieuse qu’une remon­trance du maire ou d’un adjoint, aus­si pater­na­liste que pas­sa­ble­ment humi­liante pour l’en­fant et les parents ?

D’au­tant que le pou­voir de rap­pel à l’ordre du maire (pou­voir facul­ta­tif) a été intro­duit en droit posi­tif… par la loi du 5 mars 2007 rela­tive à la pré­ven­tion de la délinquance ! 

  • S’a­git-il alors d’assimiler les faits concer­nés à de la délin­quance paren­tale, quand le rap­pel à l’ordre ne vaut que pour des com­por­te­ments n’emportant pas de qua­li­fi­ca­tion pénale ?

La loi sti­pule en effet que : « Lorsque des faits sont sus­cep­tibles de por­ter atteinte au bon ordre, à la sûre­té, à la sécu­ri­té ou à la salu­bri­té publiques, le maire ou son repré­sen­tant dési­gné dans les condi­tions pré­vues à l’ar­ticle L.2122–18 du code géné­ral des col­lec­ti­vi­tés ter­ri­to­riales peut pro­cé­der ver­ba­le­ment à l’en­droit de leur auteur au rap­pel des dis­po­si­tions qui s’im­posent à celui-ci pour se confor­mer à l’ordre et à la tran­quilli­té publics, le cas échéant en le convo­quant en mairie ».

En cela, le rap­pel à l’ordre n’ap­pa­rait-il pas quelque peu dis­pro­por­tion­né eu égard à l’objectif édu­ca­tif visé par la muni­ci­pa­li­té et la DSDEN ?

Contac­té à ce sujet, le syn­di­cat majo­ri­taire Snuipp-FSU s’in­ter­roge éga­le­ment à ce pro­pos. Il nous confirme que le dis­po­si­tif est appli­cable à l’en­semble des éta­blis­se­ments mulhousiens. 

Si pour le syn­di­cat des ensei­gnants du pre­mier degré il parait évident de se sou­mettre à l’o­bli­ga­tion sco­laire du pre­mier au der­nier jour (quand bien même, ain­si qu’on le découvre, la pré­sente année sco­laire se ter­mi­ne­ra le mar­di 6 juillet, et repren­dra le jeu­di 2 sep­tembre), il rap­pelle qu’un deux poids deux mesures pour­rait pré­va­loir dans cer­tains cas. 

En effet, des négo­cia­tions de gré à gré entre parents et direc­teur d’é­ta­blis­se­ment sco­laire sur des départs anti­ci­pés ont tou­jours eu lieu. Le fait est que le dis­po­si­tif porte essen­tiel­le­ment la focale sur les quar­tiers REP+ où se côtoie la frange la plus modeste de la popu­la­tion muni­ci­pale, et ce fai­sant, le plus grand nombre de parents d’o­ri­gine étran­gère, en plein débat sur le « sépa­ra­tisme »…

Inver­se­ment, nous pré­cise-t-il, quand des enfants (que l’on devine d’une autre classe sociale), sur­tout au-delà de Mul­house, anti­cipent leur départ pour des vacances de Noël, il n’y a per­sonne pour s’en émou­voir, et cela ne donne pas lieu à des dis­po­si­tifs admi­nis­tra­tifs inuti­le­ment stig­ma­ti­sants, par les­quels les parents passent pour irresponsables. 

Et quand on inter­roge le syn­di­cat sur la doci­li­té appa­rente du corps ensei­gnant consen­tant à exé­cu­ter une tâche sans fon­de­ment péda­go­gique, notre inter­lo­cu­teur sou­pire, et ajoute que les gens sont fati­gués à juste titre, si bien que l’on peut aujourd’­hui leur sou­mettre des choses sans que cela ne choque vraiment… 

Quoi qu’il en soit, si la muni­ci­pa­li­té contac­tée feint d’i­gno­rer tota­le­ment nos ques­tions à ce sujet, il n’en est pas de même du ser­vice com­mu­ni­ca­tion de l’A­ca­dé­mie de Stras­bourg, qui dans un style pour le moins Bre­j­né­vien, nous a répon­du ceci : 

« Le dis­po­si­tif de rap­pel à l’ordre mis en place de manière par­te­na­riale avec la ville de Mul­house contri­bue uti­le­ment aux actions rela­tives à la paren­ta­li­té menées sur ce ter­ri­toire et à la prise en compte de la pro­blé­ma­tique de l’ab­sen­téisme scolaire ».

CQFD.

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