Les citoyennes et citoyens suisses on dit ce dimanche trois fois non :
1. À une augmentation de l’aide fédérale aux médias par 55%
2. À la suppression de l’impôt sur l’augmentation de capitaux par des entreprises par 63%
3. À l’interdiction de l’expérimentation animale et humaine par 79%
Et une fois oui :
À l’interdiction de la publicité pour le tabac en direction des jeunes et des enfants par 57%
La participation au vote était de 44 %
Aide fédérale aux médias
La loi fédérale du 18 juin 2021 portant sur un train de mesures en faveur des médias, votée par les deux chambres du Parlement suisse à une majorité confortable, et les raisons du référendum[1] contre elle ont été présentés dans un article de Mario Di Stefano dans l’«Alterpresse68 » du 21 janvier 2022 ; il n’est donc pas nécessaire d’y revenir en détail.
Les 150 millions de francs supplémentaires par an en plus du soutien existant de longue date pour la distribution postale des journaux locaux et régionaux ont été refusés par le peuple non pas pour des raisons financières – les dépenses annuelles de la Confédération s’élèvent à presque 80 milliards de francs – mais parce ce soutien devait aussi profiter aux journaux à grand tirage et ainsi aux grands groupes de presse qui dominent le marché des médias du pays. En outre, la loi prévoyait une augmentation du soutien aux médias en ligne, aux radios locales et aux télévisions régionales. Le référendum avait été lancé par l’éditeur d’un journal régional qui voulait limiter l’expansion de ces grands groupes. Il était soutenu par le parti national-conservateur Union démocratique du centre (UDC)[2], le plus grand de Suisse, qui avait déjà voté contre la loi au Parlement sous prétexte que le financement des médias par le Conseil fédéral (gouvernement) donnait à celui-ci un moyen d’influencer le contenu de l’information. Mais le référendum était aussi soutenu par l’autre côté de l’échiquier politique, le parti socialiste et les Verts, qui trouvaient qu’il était aberrant de donner de l’argent aux grands groupes de presse qui font des bénéfices et dont les propriétaires sont des millionnaires. La loi devenait ainsi victime de la double pression de la droite et de la gauche.
Derrière l’opposition de l’UDC contre une prétendue influence du Conseil fédéral se cache une ambition qui va plus loin : l’affaiblissement de la chaîne de service public de radio et télévision SSR qui émet dans les quatre langues du pays des programmes nationaux et régionaux financés par les redevances des auditeurs et téléspectateurs et par la publicité. Une première initiative populaire dans cette optique a échoué il y quelques années, mais le parti prépare déjà une initiative pour réduire ces redevances de moitié.
La crainte d’une influence étatique sur le contenu des médias est infondée, car le Conseil fédéral ne dispose d’aucun moyen à cette fin. Un gouvernement composé de quatre partis dont deux aussi divers que l’UDC et les socialistes aurait du mal à se mettre d’accord sur des directives à donner aux médias, surtout dans un pays aussi décentralisé et divers que la Suisse ! Mais durant la pandémie, les membres du Conseil fédéral et ses hauts fonctionnaires sont devenus beaucoup plus visibles par une multiplication des conférences de presse, ce qui a donné à une partie de la population l’impression d’être manipulée par les autorités et a entraîné une certaine méfiance vis-à-vis de l’information officielle.
Les cantons francophones ont approuvé la loi, peut-être parce qu’ils en auraient profité, car un de ses buts était aussi de renforcer les médias des minorités linguistiques du pays. Une fois de plus, Bâle-Ville les a suivi en tant que seul canton de Suisse alémanique à voter en faveur de la loi par 55%.
Impôt sur les capitaux des entreprises
La même méfiance à l’égard du Conseil fédéral et des grandes entreprises était à l’origine du succès du référendum lancé par les syndicats et le Parti socialiste contre la suppression d’un impôt fixé à 1% que les entreprises doivent payer s’ils lèvent des fonds propres, par exemple en émettant des actions. Le Conseil fédéral avait trouvé que cet impôt ne correspondait plus à notre époque, car il empêchait surtout des jeunes entreprises de faire les investissements nécessaires à leur démarrage. Il avait en effet été introduit en 1917 pour combler les dettes contractées pendant la Première Guerre mondiale, d’où son nom quelque peu démodé de « droit de timbre ». La suppression de cet impôt aurait diminué les recettes fiscales de la Confédération de 250 millions de francs. Le Parlement avait approuvé la loi sur cette suppression le 18 juin 2021 par une majorité de deux tiers contre les voix de la gauche, mais la votation populaire de ce dimanche a renversé ce résultat par une majorité de « non » presque de la même proportion. Le seul canton à voter pour la suppression a été Zoug, à mi-chemin entre Zurich et Lucerne, siège de plusieurs groupes internationaux, surtout dans le domaine des matières premières. Comme dans le cas du soutien aux médias, le montant financier en question était modeste, mais sa valeur symbolique a suffi pour faire tomber la loi. Puisque non seulement les petites entreprises, mais aussi les grandes auraient profité de la suppression de cet impôt, le peuple ne voulait pas leur faire ce cadeau qu’il aurait éventuellement dû compenser par une augmentation des impôts sur les salaires. Dans ce sens, le résultat des votations sur le soutien aux médias et sur la suppression du droit de timbre se ressemblent. La méfiance anti-gouvernementale sous-jacente de ces deux « non » est en partie due au climat d’insécurité qui règne en raison de la pandémie, mais il ne faut pas oublier que les Suissesses et les Suisses ont dit deux fois « oui » à la « loi Covid » l’année passée ; il est donc trop tôt pour tirer de la double défaite du Conseil fédéral du 13 février des conséquences à plus long terme sur la politique suisse.
Interdiction de l’expérimentation animale et humaine
Dans le cas du troisième « non », il ne s’agissait pas d’un référendum, mais d’une initiative populaire[3] lancée par un comité d’activistes qui demandait l’interdiction de toute expérimentation animale et humaine ainsi que de l’importation de produits développés à l’aide de telles expériences. Si l’initiative avait été acceptée, on n’aurait plus trouvé en Suisse de nouveaux médicaments développés à l’aide de telles expériences, et elle aurait constitué des obstacles presque insurmontables pour la recherche pharmaceutique. Une initiative semblable avait déjà été rejetée en 1985. Le taux exceptionnel de près de 80% de « non » à l’initiative actuelle dans tous les cantons[4] montre que cette initiative était excessive et a été dès lors rejetée même par des citoyens et citoyennes normalement critiques envers l’industrie pharmaceutique. Bâle-Ville avait aussi dit « non » à 80%.
Indépendamment ce cette initiative, le Canton de Bâle-Ville a voté sur une initiative issue d’un « think tank » local jusqu’ici peu connu qui voulait donner aux « primates », c’est-à-dire aux singes comme les chimpanzés, les gorilles ou les orangs-outans des droits fondamentaux, quasiment au même niveau que les droits humains. Malgré le fait qu’il n’était pas certain que cette initiative concernait aussi les singes du « Zolli », et si oui de quelle manière, le directeur du jardin zoologique de Bâle s’était clairement engagé contre elle, et finalement, elle a été rejetée par 75% des Bâloises et Bâlois. Si elle avait été acceptée, elle aurait constitué une première mondiale et même avant la votation, elle avait attiré l’attention de médias au-delà les frontières de la Suisse. ‘
Interdiction de la publicité pour le tabac
Après les trois « non », l’initiative pour l’interdiction de la publicité pour le tabac en direction des jeunes et des enfants, lancée par un comité de militants anti-tabac, a été approuvée par une majorité de 54% et par 15 des 26 cantons. Ce succès est d’autant plus remarquable qu’aucun des partis politiques ne s’est engagé en sa faveur et qu’ au contraire, des milieux proches de l’économie ont publié des affiches qui semblaient interdire la publicité pour les saucisses populaires « cervelas » pour évoquer la crainte que l’initiative serait le premier pas d’une interdiction de la publicité pour d’autres produits qualifiés de nuisibles. En général, seuls 10% des initiatives ont une chance d’être approuvées. Tous les cantons de la Suisse francophone ont dit « oui », Genève par 75%, malgré le fait que cette partie de la Suisse est le siège de plusieurs groupes internationaux de l’industrie du tabac et le centre suisse de la culture du tabac. On peut voir dans ce résultat la volonté des citoyens et citoyennes de se rapprocher d’une politique encore plus restrictive en matière d’anti-tabagisme, à l’instar d’autres pays européens. Affaire à suivre !
[1] Un référendum contre une loi fédérale est soumis au vote populaire si 50 000 citoyennes et citoyens le demandent.
[2] L’UDC, contrairement à ce que Mario Di Stefano écrit dans son article du 21 janvier, n’est pas un « parti de l’extrême-droite conservatrice » (comparable au RN en France ou à l’AfD en Allemagne), mais un parti bourgeois qui a ses origines dans le milieu agricole et des PME, et qui compte aussi aujourd’hui parmi ses membres des banquiers et des industriels comme Christoph Blocher, également mentionné dans l’article.
[3] Une initiative populaire est soumise au vote si 100 000 citoyennes et citoyens le demandent.
[4] Pour être acceptée, une initiative doit atteindre non seulement la majorité des votes sur le plan national, mais aussi dans une majorité des cantons.