Il a fal­lu rajou­ter d’urgence des chaises dans la salle de la Mai­son du Peuple de Bel­fort où la CGT a fait appel à Gérard Filoche pour débattre de la loi Macron. « C’est un effet 49/3 » plai­sante l’ancien ins­pec­teur du tra­vail et infa­ti­gable dénon­cia­teur des dérives libé­rales de la poli­tique gou­ver­ne­men­tale. On peut pen­ser qu’effectivement l’adoption de la loi, le jour même du débat, par l’utilisation de l’article 49–3 de la Consti­tu­tion et la crise poli­tique qui s’ensuit, a éveillé un inté­rêt encore plus grand sur la por­tée de cette loi.

Salle comble, donc, pour Gérard Filoche qui entre immé­dia­te­ment dans le vif du sujet. Devant l’importante assis­tance, ses pre­miers mots illustre sa démarche : « C’est par des réunions comme celle-là qu’on va battre TF1 ». « La loi Macron ? Jamais un gou­ver­ne­ment de gauche a mis en œuvre un tel recul social… Peu de monde mesure à quel point cette loi est dan­ge­reuse. Car qui a vrai­ment lu l’ensemble des 116 articles qui ne consti­tuent pas une loi fourre-tout mais sont d’une cohé­rence tota­le­ment libérale » ?

Nez rouge

Les médias parlent essen­tiel­le­ment du tra­vail domi­ni­cal et du tra­vail en soi­rée. En repre­nant les men­songes que débitent le Ministre de l’Economie : « Le volon­ta­riat invo­qué est tota­le­ment inap­pli­cable car aucun sala­rié n’a le pou­voir de choi­sir de tra­vailler le dimanche si le patron ne veut pas, ou de refu­ser si l’employeur le lui demande. Il n’y a pas de majo­ra­tion de salaire ins­crite dans la loi, ce qui est pré­vu est une « négo­cia­tion pour une majo­ra­tion ». A pré­sent, on ne parle plus de tra­vail de nuit, mais de tra­vail de soi­rée… jusqu’à 23 h 39. Ce qui remet en cause, de fait, les majo­ra­tions des heures de nuit. »

Aucune créa­tion d’emplois n’est à attendre de ces mesures, ajoute encore G. Filoche.

Alors, pour­quoi cette loi ? « C’est une loi idéo­lo­gique, elle a pour but de cas­ser le code du tra­vail. Les articles sur le tra­vail domi­ni­cal ne sont que le « nez rouge » qui masque des articles encore pire que celui-là ».

MACRON A LAS VEGASEt de cibler tous les articles (et ils sont nom­breux !) qui sont de nature à affai­blir le sala­rié vis-à-vis du patron et répondent favo­ra­ble­ment aux exi­gences du MEDEF. Le tra­vail du dimanche et en soi­rée vue par la loi Macron, c’est « cas­ser » la semaine de tra­vail dont la durée et la struc­ture sont le résul­tat de la loi et de la négo­cia­tion col­lec­tive. Avec cette loi, toutes les condi­tions sont créées pour liqui­der les 35 heures mais éga­le­ment le rythme de tra­vail avec la pos­si­bi­li­té de faire tra­vailler tous les sept jours de la semaine.

Des articles, peu com­men­tés il est vrai, faci­litent le licen­cie­ment en exo­né­rant l’employeur de faire état d’un motif. Cette faci­li­ta­tion de licen­cier devrait créer de l’emploi : or, preuve chif­frée à l’appui, Gérard Filoche affirme que la déré­gu­la­tion sup­prime des emplois et fra­gi­lise le contrat du travail.

Faci­li­ter les licenciements

Le pro­jet Macron sim­pli­fie les « petits licen­cie­ments » de 2 à 9 sala­riés dans les entre­prises de plus de 50 sala­riés et ceux dans les entre­prises en redres­se­ment ou en liqui­da­tion judi­ciaire. Il n’y aura plus d’obligation de for­ma­tion, de reclas­se­ment au niveau du groupe mais seule­ment « dans l’entreprise ». On peut s’imaginer que si l’entreprise licen­cie, elle aura peu de postes à pro­po­ser aux sala­riés qu’elle met à la porte !

Il per­met éga­le­ment le licen­cie­ment sans retour et sans indem­ni­tés des sala­riés pour les­quels le tri­bu­nal admi­nis­tra­tif aurait annu­lé la déci­sion d’homologation du plan de licen­cie­ment. En clair, si d’aventure (si, si ça existe !) le tri­bu­nal admi­nis­tra­tif casse une déci­sion de licen­cie­ments car ceux-ci n’ont pas été suf­fi­sam­ment « moti­vés », la loi pré­voit à pré­sent que ce juge­ment ne modi­fie pas « la vali­di­té du licen­cie­ment. » Alors que dans ce cas, avant Macron, les sala­riés pou­vaient rené­go­cier les condi­tions de départ, à pré­sent il n’y aura pas de « ver­se­ment d’une indem­ni­té à la charge de l’employeur ».

Le code civil contre le code du travail

Une révé­la­tion impor­tante faite lors de cette soi­rée : la modi­fi­ca­tion de l’article 2064 du code civil et l’abrogation de la loi rela­tive à l’organisation des juri­dic­tions et à la pro­cé­dure civile, pénale et administrative.

Il s’agit là de per­mettre la mise en œuvre des contrats pour les sala­riés qui ne relèvent plus du droit du tra­vail mais du droit civil : ce type de contrat per­met­trait de s’exonérer de la loi et des accords col­lec­tives, du moment qu’employeurs et sala­riés règlent leurs litiges par conven­tion entre eux de gré à gré ! Et les prud’hommes sont alors des­sai­sis. Sou­mis libre­ment ? de votre plein gré, sala­riés, vous n’êtes plus en situa­tion d’y récla­mer des droits. Le contrat de tra­vail devient un contrat civil. Fin du code du tra­vail ! » CQFD !

Et de dénon­cer la cam­pagne contre la « lour­deur » du code du tra­vail, son carac­tère « indi­geste » déve­lop­pé dans les médias et par­fois d’une manière tota­le­ment ridi­cule. On se sou­vent de l’intervention de Bay­rou fai­sant une com­pa­rai­son entre les 3000 pages du code du tra­vail fran­çais et les quelques dizaines de feuillets de celui de nos voi­sins suisses. Le code du tra­vail fran­çais, c’est 675 pages, les trois mille autres sont des com­men­taires. Mali­cieu­se­ment, Gérard Filoche, ose une méta­phore : « c’est comme si un roman de Sagan était anno­té par Mar­cel Proust »…

Ins­pec­tion du tra­vail, méde­cine du tra­vail et tut­ti quanti…

Il fau­drait déve­lop­per les 116 articles, mais cela pren­drait toute la nuit. L’orateur concentre ses flèches sur la réduc­tion des droits des CHSCT alors qu’il estime qu’il fau­drait en avoir plus, tel­le­ment les condi­tions de tra­vail se dégradent avec de nou­velles patho­lo­gies qui sont en train d’apparaître. Selon lui, 50% des acci­dents vas­cu­laires car­diaques (AVC) consta­tés en France sont liés au travail.

La loi Macron pré­pare éga­le­ment une sui­vante, une loi paral­lèle de Thier­ry Man­don sur la « sim­pli­fi­ca­tion » du code du tra­vail. Celui-ci pro­pose, pour « sim­pli­fier » la méde­cine du tra­vail… des visites tous les quatre ans et qu’elles puissent être réa­li­sées par des méde­cins géné­ra­listes ! Alors qu’un méde­cin du tra­vail est un spé­cia­liste qui doit connaître les patho­lo­gies propres au tra­vail, voire à cer­taines branches ou entreprises.

L’inspection du tra­vail, quant à elle, passe tota­le­ment sous la coupe des D.I.R.E.C.C.T.E. Créé en 2009, il s’agit du « Direc­teur Régio­nal des Entre­prises, de la Concur­rence, de la Consom­ma­tion, du Tra­vail et de l’Emploi… » (ouf, n’en jetez plus !). Un titre qui, selon Gérard Filoche, résume la place que l’inspection du tra­vail occupe désor­mais (les agents de contrôle ne repré­sentent qu’un quart des effec­tifs) et sa subor­di­na­tion aux inté­rêts des employeurs. Les Direc­teurs régio­naux de ce regrou­pe­ment inter­mi­nis­té­riel sont choi­sis pour leur apti­tude à ser­vir les entre­prises et à accom­pa­gner leurs objectifs.

« Rien de bon »

On ne sera pas éton­né si, en conclu­sion, l’orateur estime que dans la loi Macron « rien n’est bon » ou alors bon à jeter.

C’est d’ailleurs ce que Gérard Filoche pro­pose à l’assemblée en appe­lant les syn­di­cats, les asso­cia­tions, les mou­ve­ments de citoyens… et la gauche à mener le com­bat pour faire connaître à la loi Macron, le même sort que celui réser­vé en son temps au Contrat Nou­velle Embauche(1) ou au Contrat de Pre­mière Embauche(2), lois à ins­pi­ra­tion iden­tique à celle de notre actuel Ministre de l’Economie et qui ont été annu­lées par de mas­sives manifestations.

Il consi­dère que l’utilisation de l’article 49–3 pour évi­ter un rejet du pro­jet par le Par­le­ment est un échec impor­tant pour Emma­nuel Valls et son ministre et qu’il s’agit d’une vic­toire pour les oppo­sants à la dérégulation.

La période élec­to­rale qui s’ouvre est, selon lui, une période pro­pice pour faire pres­sion pour que cette loi soit défi­ni­ti­ve­ment abandonnée.

La crise au PS

Membre du bureau du Par­ti socia­liste, Gérard Filoche a été inter­ro­gé sur ce qui appa­raît un para­doxe. Com­ment vit-il cela ? « Cela relève de l’ordre de l’intime et cela n’est pas un sujet ici » a‑t-il répon­du à une ques­tion venant de la salle.

Mais il a éga­le­ment livré quelques infor­ma­tions sur l’ambiance lors de la dis­cus­sion au sein du groupe par­le­men­taire socia­liste à l’assemblée natio­nale. Tour à tour, les ministres et évi­dem­ment le pre­mier d’entre eux, les res­pon­sables du par­ti, du groupe, ont invec­ti­vé les dépu­tés hos­tiles à la loi. Le ton était mon­té très très haut et les argu­ments auraient été d’une vio­lence inouïe. Mais les dépu­tés dits « fron­deurs » ont tenu bon avec le résul­tat que l’on sait.

Et main­te­nant…

« Il faut mettre en échec Macron qui n’a jamais connu la vie au tra­vail » s’est excla­mé Gérard Filoche devant une salle conquise et chauf­fée à blanc. Néan­moins, il man­quait un cha­pitre à sa brillante pres­ta­tion déli­vrée avec verve. La fina­li­té serait-elle donc de ne rien tou­cher, de ne rien bou­ger ? La dif­fi­cul­té qu’éprouvent les syn­di­cats à faire des­cendre les gens dans la rue n’est-elle que la résul­tante d’une « cam­pagne idéo­lo­gique » les priant d’accepter leur sort ? Suf­fit-il d’aller expli­quer que cette loi est néga­tive pour que les sala­riés engagent une action syndicale ?

Évi­dem­ment non, la ques­tion d’un « nou­veau contrat social » dans une France inté­grée dans une Europe qui rejette la réfé­rence « sociale » est de plus en plus urgente à abor­der. Mais cela n’est pas à l’ordre du jour des congrès syn­di­caux et poli­tiques et ce n’est pas non plus le pro­pos de Gérard Filoche. Pour l’heure, il mène le com­bat contre la loi Macron et cela lui suf­fit bien…

1. CNE : contrat de nou­velle embauche, Ordon­nance no 2005–893 du 2 août 2005. Les deux prin­ci­pales par­ti­cu­la­ri­tés de ce contrat (licen­cie­ment sans motif com­mu­ni­qué préa­la­ble­ment et période de conso­li­da­tion de deux ans) avaient été décla­rées contraires au droit inter­na­tio­nal par l’Organisation inter­na­tio­nale du tra­vail (OIT) le 14 novembre 2007. De plus, les tri­bu­naux requa­li­fiaient assez sou­vent le CNE en CDI de droit commun.

Le contrat « nou­velles embauches » a fina­le­ment été abro­gé par la loi n° 2008–596 du 25 juin 2008 por­tant moder­ni­sa­tion du mar­ché du tra­vail, publiée au JO du 26 juin 20081. Aucun contrat « nou­velles embauches » ne peut donc plus être conclu à comp­ter de cette date. Les contrats « nou­velles embauches » en cours sont requa­li­fiés en contrats à durée indé­ter­mi­née (CDI) de droit com­mun, dont la période d’essai est fixée par conven­tion, ou à défaut, par les dis­po­si­tions de l’article L. 1221–19 du code du travail.

  1. CPE, contrat de pre­mière embauche : votée le 31 mars 2006, cette loi a été abro­gée le 21 avril 2006 après des semaines de mobi­li­sa­tion menée par les lycées et étu­diants rapi­de­ment sou­te­nus et rejoints par les sala­riés. À l’ins­tar du CNE, ce contrat était assor­ti d’une « période de conso­li­da­tion » de deux ans durant laquelle l’employeur pou­vait rompre le contrat de tra­vail sans en don­ner le motif.

A vision­ner pour se faire une idée de la verve de Gérard Filoche et de sa connais­sance fine de la question :

http://la-bas.org/la-bas-magazine/videos/filoche-demolit-macron