La puis­sance éco­no­mique de l’Allemagne lui per­met aujourd’hui d’être le pays lea­der en Europe. C’est encore plus vrai pour la zone Euro dans laquelle nos voi­sins ger­ma­niques impriment leur vision de la mon­naie, de la poli­tique éco­no­mique… Franc­fort accueille en outre la Banque Cen­trale Euro­péenne dont le rôle au sein de l’Europe a été for­te­ment ins­pi­ré par celui de la Bun­des­bank à l’époque de la Répu­blique Fédérale.

L’époque où l’Allemagne était consi­dé­rée comme un « géant » éco­no­mique, sans poli­tique étran­gère, avec une armée sous tutelle de l’OTAN, et donc un « nain » poli­tique, est bien révo­lue. A pré­sent, l’Allemagne n’a plus besoin de qui que ce soit pour inter­ve­nir sur ce point : aupa­ra­vant, dans le tan­dem qu’elle for­mait avec la France, cette der­nière dis­po­sait du poids poli­tique, cela aus­si est révolu.

L’EXEMPLE DU PACTE BUDGETAIRE EUROPEEN ET DE LA GRECE

Quand Fran­çois Hol­lande avait pro­mis de rené­go­cier le trai­té euro­péen issu de l’accord du 9 décembre 2011 « en pri­vi­lé­giant la crois­sance et l’emploi et en réorien­tant le rôle de la Banque Cen­trale euro­péenne dans cette direc­tion », il s’est heur­té au « nein » de Mme Mer­kel comme son pré­dé­ces­seur Nico­las Sar­ko­zy s’est incli­né devant la Chan­ce­lière après avoir ten­té quelques mou­li­nets pour impres­sion­ner la dame. Il lui en faut plus, à Mme Merkel…

Depuis le déclen­che­ment de la crise finan­cière, l’Allemagne campe sur une ligne dure fai­sant de la réduc­tion des défi­cits son objec­tif prin­ci­pal, se mon­trant en exemple et ne tenant abso­lu­ment pas compte des situa­tions pro­fon­dé­ment dif­fé­rentes que les pays de l’Union euro­péenne. Les pays sud-euro­péens sont la plu­part du temps dans son col­li­ma­teur et ce ne sont pas que les Grecs qui ont essuyé quelques paroles mépri­santes du gou­ver­ne­ment alle­mand et des médias qui véhi­culent avec com­plai­sance ces rhétoriques.

Dans la crise grecque, Mme Mer­kel et son ministre des finances, M. Schäuble, se posi­tionnent ouver­te­ment sur une posi­tion dure et inflexible, refu­sant toute rené­go­cia­tion de la dette ce pour quoi le peuple grec a pour­tant man­da­té le gou­ver­ne­ment Tsipras.

Et l’analyse de fond res­ta inflexible; les pro­blèmes grecs viennent uni­que­ment de la Grèce, et l’Europe n’a rien à voir là-dedans. L’Allemagne encore moins. La ligne Schäuble est tra­cée, aus­si droite que dure. La Grèce doit payer ses excès pas­sés, il n’y a rien à discuter.

La pro­po­si­tion faite, aus­si absurde qu’humiliante, d’envoyer 500 ins­pec­teurs du fisc alle­mand en Grèce, afin de res­tau­rer l’état de droit fis­cal fut igno­rée par Yanis Varou­fa­kis. Mais elle en a dit long sur le mépris de son homo­logue de Berlin.

La condes­cen­dance de Sig­mar Gabriel, l’actuel ministre de l’Economie et issu du Par­ti Social Démo­crate peut aus­si heur­ter les Grecs quand il  a deman­dé aux Grecs de se mon­trer « soli­daires » et « justes » envers ceux qui les ont aidés depuis ces der­nières années, lors d’une confé­rence de presse à Ber­lin, mer­cre­di 28 jan­vier. « Equi­té et soli­da­ri­té doivent valoir dans les deux sens », a‑t-il plai­dé. Le peuple grec qui connaît un recul social jamais vu, a dû apprécier.

D’où cette ques­tion : les Alle­mands font-ils preuve d’une arro­gance à l’égard de tous les autres. D’autres mots pour­raient reve­nir dans les esprits…

LE PEUPLE ET LE GOUVERNEMENT ALLEMAND

La popu­la­tion alle­mande est sen­sible à ces ques­tions éco­no­miques et il n’est pas faux d’affirmer que la peur des défi­cits, de l’hyper infla­tion, trouve ses ori­gines dans l’histoire alle­mande et plus spé­cia­le­ment dans la grande crise de la Répu­blique de Wei­mar en 1923. Il est assez aisé de sus­ci­ter la peur en agi­tant quelques épou­van­tails qui nous ramè­ne­raient dans cette situa­tion alors que cela est hors de pro­pos de nos jours.

Mais les citoyens alle­mands sont sou­mis à une cam­pagne menée par de puis­sants médias. Ain­si le jour­nal  Bild, (tirage trois mil­lions d’exemplaires jours et douze mil­lions de lec­teurs) s’est dis­tin­gué tout au long de la crise grecque par ses saillies de mau­vais goût trai­tant les Grecs de « fau­chés » et de « pares­seux », les accu­sant de se pré­las­ser à la ter­rasse des tavernes pen­dant que le contri­buable alle­mand trime pour leur finan­cer ce train de vie dis­pen­dieux. Le quo­ti­dien recom­man­dait même aux Grecs de quit­ter la zone euro et leur conseillait de vendre leurs îles « et l’A­cro­pole avec ».

Il n’est donc pas éton­nant que 72% des Alle­mands, selon des son­dages, seraient en accord avec Mme Mer­kel et ne sou­haitent pas que la dette de la Grèce soit annulée.

Rap­pe­lons juste que les Fran­çais eux sont 30%… pour rené­go­cier la dette. Et donc 70% qui ne le sont pas… Tiens, pas loin de l’opinion allemande !

LA SOLIDARITE AVEC LA GRECE

Ce serait pour­tant trop simple d’en res­ter à ces constats. La réa­li­té de la vie poli­tique alle­mande est bien différente.

A ma connais­sance, c’est le seul pays où les syn­di­cats ont lan­cé une péti­tion à grande échelle pour sou­te­nir le gou­ver­ne­ment grec. Ain­si le DGB, la confé­dé­ra­tion, de Ver­di, de l’IG Metall, Bau, etc.… affirme, entre autres, dans le texte : « Le désa­veu des res­pon­sables des poli­tiques menées jusqu’à main­te­nant en Grèce est une déci­sion démo­cra­tique, qui doit être res­pec­tée au niveau euro­péen. Il faut lais­ser sa chance au nou­veau gou­ver­ne­ment. Ceux qui réclament la pour­suite des soi-disantes réformes en cours contestent de fac­to au peuple grec le droit à mener dans son pays une poli­tique de réorien­ta­tion légi­ti­mée démo­cra­ti­que­ment. (…) Ce n’est pas le dik­tat de l’austérité qui for­ti­fie­ra le pro­jet euro­péen, mais seule­ment l’initiative démo­cra­tie impul­sée par le bas en vue d’instaurer la recons­truc­tion éco­no­mique et plus de jus­tice sociale. »

En outre Ange­la Mer­kel se retrouve donc de plus en plus iso­lée dans sa volon­té d’im­po­ser le res­pect strict des règles bud­gé­taires, quel qu’en soit le prix. « La plu­part de ses voi­sins euro­péens, dont la France, et le pré­sident amé­ri­cain Barack Oba­ma, plu­sieurs éco­no­mistes, dont cer­tains prix Nobel, se rangent der­rière le nou­veau gou­ver­ne­ment d’Alexis Tsi­pras », affirment Les Échos.

LES ELECTIONS A HAMBOURG

La CDU vient d’essuyer un échec patent lors des élec­tions à Ham­bourg, ville-land, en per­dant plus de 6% des voix. Si le SPD garde la ville, il recule pour­tant de 3 points et doit for­mer une coa­li­tion avec les Verts pour conti­nuer de diri­ger la cité han­séa­tique. Ceux qui pro­gressent sont bien AFD, le par­ti anti-euro­péen qui prône ouver­te­ment la sor­tie de l’Euro ; c’est d’ailleurs une constante dans toutes les élec­tions qui se sont dérou­lées ces der­niers mois. Preuve que la poli­tique euro­péenne de Mme Mer­kel donne une image néga­tive de l’UE même dans son pays. Die Linke, quant à elle, pro­gresse de trois pour cents et réus­sit même à pas­ser devant le SPD dans le quar­tier d’Altona, quar­tier popu­laire deve­nu quelque peu « bobo ».

D’autres indi­ca­teurs montrent que si la chan­ce­lière reste popu­laire dans son pays, la situa­tion sociale n’est pas brillante. Ain­si, la pau­vre­té a pro­gres­sé de 15 % en 2013 pour tou­cher 12,5 mil­lions de per­sonnes, un record, indique l’é­tude publiée par la fédé­ra­tion d’aide sociale Paritä­ti­scher Wohlfahrtsverband.

CONVAINCRE Mme MERKEL

Il serait donc erro­né de consi­dé­rer l’Allemagne comme « arro­gante » uni­que­ment sur l’analyse de faits et dires de son gou­ver­ne­ment. Il y a, dans ce pays, des forces qui ne consi­dèrent pas que leur pays soit le paran­gon sur lequel tous les autres devraient s’aligner.

Et Mme Mer­kel doit aus­si tenir compte de cela. Nous pour­rons ana­ly­ser son atti­tude sur la Grèce à la fin des négo­cia­tions en cours et de gar­der à l’esprit ce que Mat­téo Ren­zi, chef du gou­ver­ne­ment ita­lien, a confié à Alexis Tsi­pras : « Tu ver­ras, Hol­lande va dire qu’il te sou­tient et, à la fin, il se met­tra avec Mer­kel » (L’Alsace du 20 février 2015). Le tout est de savoir lequel de deux aura convain­cu l’autre…

 MM