La grève serait-elle deve­nue tabou dans notre belle démo­cra­tie ? L’absence de toute infor­ma­tion objec­tive, voir la mani­pu­la­tion de l’opinion publique sur les rai­sons des grèves, sont l’une des carac­té­ris­tiques majeures de la sphère média­tique. Un phé­no­mène qui avait été ana­ly­sé avec per­ti­nence lors d’un débat orga­ni­sé par notre asso­cia­tion avec le socio­logue Jean-Marie Pernot.

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Il en est ain­si pour les conflits en cours à France Télé­vi­sion et Radio France, ser­vices publics de l’audio-visuel. En guise d’information, de laco­niques mes­sages tournent en boucle : « En rai­son d’un mou­ve­ment de grève à l’appel d’une majo­ri­té de syn­di­cats, nous ne sommes pas en mesure de pré­sen­ter nos pro­grammes habi­tuels ». Nous ne sau­rons rien de plus sur les moti­va­tions d’une grève, recon­duite chaque jour par l’assemblée géné­rale du per­son­nel, en grève depuis le mer­cre­di 18 mars. A l’heure où ces lignes sont écrites, nous en sommes donc au 7e jour de grève à Radio France. Il est para­doxal, pour ne pas dire étrange, qu’aucun jour­nal télé­vi­sé, aucune émis­sion radio­pho­nique, ne traite de la ques­tion. Et que dire de l’information écrite, tota­le­ment muette sur le sujet. Abso­lu­ment rien dans les jour­naux déte­nus par le Cré­dit Mutuel, alors que le bureau des infor­ma­tions géné­rales, basé à Paris, est à la source ! L’exception confir­mant la règle, L’Humanité y consacre un article dans son édi­tion du 23 mars. Il faut se rendre sur le site des syn­di­cats de Radio France pour com­prendre  ce qui est à l’origine d’un mou­ve­ment d’une telle durée.

Dans les faits, la ques­tion des moyens finan­ciers attri­bués par l’État pour assu­rer un ser­vice public de qua­li­té se pose avec acui­té. Un pro­blème qui n’est pas neuf. Car c’est bien d’une cure d’austérité per­ma­nente dont souffrent ces entre­prises. L’exemple de Radio France est éclai­rant. De 2010 à 2015, l’État, quel que soit le gou­ver­ne­ment en place, a impo­sé des éco­no­mies à hau­teur de 87 mil­lions d’euros. Le pro­chain contrat d’objectifs pré­voit de nou­velles mesures d’économies de 50 mil­lions d’euros, qui se soldent par un défi­cit de 21,3 mil­lions d’euros. L’austérité d’État impose donc des condi­tions dra­co­niennes d’exploitation. L’adaptation à ces contraintes entraîne inva­ria­ble­ment des mesures sur l’emploi, avec une baisse de 10% des effec­tifs, la remise en cause des sta­tuts pro­fes­sion­nels et des conven­tions col­lec­tives, le recours aux emplois pré­caires et aux CDD, l’intensification des tâches et le déve­lop­pe­ment de la poly­va­lence, l’abandon de mis­sions de ser­vices publics et la restruc­tu­ra­tion de sta­tions satel­lites. Pour fina­li­ser ce tour d’horizon, citons les menaces qui pèsent sur de nom­breuses acti­vi­tés, dont les for­ma­tions musi­cales feraient les frais, la ten­ta­tive d’externaliser des acti­vi­tés assu­rés en interne, tout en déve­lop­pant des ser­vices per­met­tant la ren­trée de nou­velles recettes (loca­tion d’espaces pour les défi­lés de mode, de stu­dios pour des fêtes pri­vées, de per­son­nel pour en assu­rer l’après-vente !). On peut donc en déduire que Radio France est  confron­té à une logique de pri­va­ti­sa­tion ram­pante, et pose la ques­tion de l’avenir du ser­vice public radio­pho­nique. Le tout dans un silence assour­dis­sant de la ministre de tutelle, Fleur Pellerin.

Notre asso­cia­tion ayant voca­tion à sou­te­nir le plu­ra­lisme de l’information et le débat citoyen, nous vou­lons mettre l’accent sur un point qui nous semble déter­mi­nant quant à la voca­tion du ser­vice public. Nous avons dénon­cé, à de mul­tiples reprises, les choix édi­to­riaux en œuvre dans la qua­si-glo­ba­li­té des médias, y com­pris de ser­vices publics. Quand la crise de la démo­cra­tie s’exacerbe, nous sommes en droit d’avoir des exi­gences par­ti­cu­liè­re­ment éle­vées en matière d’expression du plu­ra­lisme et de la diver­si­té des opi­nions. Nous sommes très loin du compte. On se rap­pelle encore de l’éviction, pour rai­son poli­tique, des polé­mistes Sté­phane Guillon et Didier Porte par le pou­voir sar­ko­zyste, sans oublier la modi­fi­ca­tion des grilles de pro­gram­ma­tion, pré­ju­di­ciable à une émis­sion aus­si popu­laire que celle de Daniel Mer­met. Les experts éco­no­mistes de la frange libé­rale occupent le devant de la scène en per­ma­nence, sans jamais que le débat contra­dic­toire ne soit à l’ordre du jour et que nous assis­tons, impuis­sants, à un étrange jeu de rôle entre édi­to­ria­listes de la sphère pri­vée du Figa­ro, du Monde, des Echos, et les ser­vices publics d’information. Il en va de même dans l’expression poli­tique, chasse gar­dée de l’UMP et du PS, alors que la pro­mo­tion du FN atteint un niveau scan­da­leux. Au-delà des aspects finan­ciers et éco­no­miques, elle est là, la vraie crise de l’audio-visuel public, quand sa mis­sion d’animateur du débat public est à ce point confis­qué au pro­fit d’intérêts de classe. Assu­ré­ment, un ter­rain en friche que tous les démo­crates seraient bien ins­pi­rés de conquérir.

Hubert Strauel