françois brumbt

C’est à lui qu’on doit l’expression S’Dreyeckland, le coin des trois fron­tières, dans notre région du Rhin Supé­rieur. L’auteur-compositeur-interprète Fran­çois Brumbt, ori­gi­naire du val de Vil­lé, l’a inven­té comme titre d’une chan­son de son deuxième album publié en 1978 et qui por­tait le joli nom de E Hamp­fel Hof­nung (Une poi­gnée d’espoir). Puis ce néo­lo­gisme Dreye­ck­land était aus­si deve­nu le titre d’un double 33 tours alsa­cien-badois-suisse en même temps qu’il était deve­nu le nou­veau nom de la pre­mière radio libre alsa­cienne qui s’appelait jusque-là Radio Verte Fessenheim.

Cette radio émet­tait clan­des­ti­ne­ment depuis le Sund­gau et la Forêt Noire. Fran­çois Brumbt y chan­tait en direct. Ses ani­ma­teurs, Serge Bischoff, Éli­sa­beth Schul­thess et des éco­lo­gistes comme Solange Fer­nex qui s’opposaient à la cen­trale nucléaire de Fes­sen­heim et contre l’implantation d’un autre à Wyhl, à côté de Fri­bourg-en-Bris­gau, étaient pour­chas­sés par les forces de l’ordre en hélicoptère.

Mais déjà en 1974 le chant de Fran­çois Brumbt avait scel­lé la récon­ci­lia­tion fran­co-alle­mande dans l’occupation qui avait empê­ché la construc­tion d’une usine de plomb à Mar­ckol­sheim. L’année d’après, au pre­mier fes­ti­val de la chan­son alsa­cienne à Elbach dans le Sund­gau, il avait chan­té devant 4000 per­sonnes sa célèbre chan­son 1525, en hom­mage aux mil­liers de rus­tauds alsa­ciens révol­tés et mas­sa­crés cette année-là durant la guerre des pay­sans. Dans une autre de ses chan­sons qui sym­bo­li­saient la vaste pro­tes­ta­tion trans­fron­ta­lière anti-nucléaire unis­sant des pay­sans, des viti­cul­teurs, des ouvriers et des étu­diants gau­chistes, Fran­çois Brumbt avait écrit : Mér kejje mol d’Grànze éver e Hüffe und danze drum erum (nous jet­te­rons la fron­tière sur le tas et dan­se­rons autour).

Un espace rhé­nan au cœur de l’Europe

Après avoir long­temps par­ti­ci­pé aux Soi­rées médié­vales au châ­teau du Haut-Koe­nig­sbourg, reve­nant par­fois sur scène avec un nou­veau spec­tacle, D’r bes­cht Uf-trett,  de chan­sons nou­velles et anciennes qu’il a inau­gu­ré au fes­ti­val Sum­mer­lied à Ohlun­gen, il conti­nue à don­ner des cours de gui­tare et d’interprétation de chanson.

Quand on lui demande com­ment il voit aujourd’hui l’Alsace et sa culture, il répond que ça res­semble à une uto­pie: « Une Alsace ouverte sur le monde et sur les autres, un espace rhé­nan au cœur de l’Europe, une fra­ter­ni­té comme bagage quand d’aucuns vou­draient nous cloi­son­ner dans de nou­velles fron­tières, avec une langue alsa­cienne qui m’est chère et à laquelle s’ajoutent toutes les autres. Je vois l’Alsace avec son his­toire, son peuple, sa culture, qui aurait son assem­blée unique, son droit local, son concor­dat et tous ses acquis sociaux, et qui réin­ven­te­rait la démo­cra­tie directe. On peut dire aus­si : huma­nisme, tolé­rance, refus des natio­na­lismes mais sans renon­cer à notre héri­tage de longue date. J’ai adap­té en alsa­cien  la chan­son de Woo­dy Guthrie This land is your land (Ce pays est ton pays). Ça reprend cette idée. »

Mais le résul­tat du pre­mier tour des élec­tions dépar­te­men­tales dimanche der­nier ne va pas vrai­ment dans ce sens : « Dur, dur ! Droite contre extrême droite, sur­tout en Alsace, excep­té un petit îlot où on res­pire autour de moi à Stras­bourg. » Les scores notables du par­ti Unser Land s’expliquent pour l’artiste Fran­çois Brumbt parce qu’ « ils se disent de centre-gauche-éco­lo et régio­na­listes-auto­no­mistes mais pas indé­pen­dan­tistes. Leur élec­to­rat cor­res­pond dans doute à ces sen­si­bi­li­tés. Les régions his­to­riques n’ont sûre­ment pas dit leur der­nier mot»

À la ques­tion de savoir ce qu’il fau­drait alors faire pour faire vivre l’Alsace et sa culture, Fran­çois Brumbt répond : « En n’acceptant pas la réforme ter­ri­to­riale qui balaie quinze siècles d’histoire quand Manuel Valls décrète qu’il n’y a pas de peuple alsa­cien. Il faut aus­si com­battre les révi­sion­nismes qui pré­tendent qu’il n’y a pas eu de Mal­gré-nous. Mais sur­tout, il faut convaincre qu’on peut être soli­daires en étant dif­fé­rents, en par­lant, en écri­vant, en chantant. »

Jean-Marie Stoer­kel

Contact : www.francois-brumbt.fr