Deux scrutins se sont déroulés en Europe en cette fin de semaine. En Espagne comme en Pologne, les électeurs ont sanctionné les gouvernements sortants… mais avec des issues totalement divergentes. Si chez nos voisins Ibériques, c’est la gauche de Podemos qui est le grand vainqueur du scrutin municipal et régional, en Pologne c’est un ultra-conservateur qui l’a emporté… Quelle serait le résultat de tels scrutins en France à l’heure actuelle ? La voie de l’Espagne ou celle de la Pologne ?
Un espoir pour une autre politique
Après quatre ans au pouvoir en Espagne, le Parti populaire (PP, droite, au pouvoir), affaibli par la politique d’austérité menée durant la crise et une succession de scandales de corruption, s’effondre. Avec 27 % des voix aux municipales, il perd 10 points par rapport aux élections de 2011. Cette chute permet au Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE, centre gauche) de remporter la victoire dans plusieurs régions et de nombreuses municipalités, malgré une nouvelle baisse de près de 3 points et à peine 25 % des voix. Le PSOE, également touché par plusieurs affaires, ne se remet pas des premières mesures de rigueur appliquée en 2010 par l’ancien chef du gouvernement José Luis Rodriguez Zapatero.
Ces élections ont profondément rebattu les cartes du paysage électoral espagnol puisque le PP et le PSOE ne disposent presque plus jamais d’une majorité dans les Assemblées et devront gouverner différemment, avant des élections législatives en fin d’année dont l’issue semble très incertaine. Les résultats sont les plus frappants à Madrid et Barcelone, où Podemos arrive très largement en tête. Dans la capitale, sur des résultats partiels, Podemos dépasse 34% contre 26% au PSOE et 23% au PP. Podemos obtient 27% des suffrages à Barcelone, contre 20% au parti régionaliste. Dans les communautés, Podemos obtient entre 8 et 21%, contre 8% aux élections européennes de l’an dernier.
D’où vient Podemos
Inspirés par le livre de Stéphane Hessel « Indignez-vous », des centaines de milliers de manifestants défilent en mai 2011 dans principales villes espagnoles. Le mouvement des « Indignés » est né le 15 mai 2011 sur la place de la Puerta del Sol à Madrid et a engendré, en janvier 2014, très récemment donc, un parti politique Podemos (« Nous pouvons » en français). Son manifeste : « Prendre les choses en main, convertir l’indignation en changement politique ». Il exprime ainsi la nécessité de transformer la mobilisation sociale en changement politique.
Succès aux Européennes 2014
Quasi inconnu, Podemos émerge lors des européennes du 25 mars 2014. La toute jeune formation obtient près de 8% des voix (7,97%) et se place au 4e rang des partis espagnols, dont les deux premiers le PP (conservateurs) et le PSOE (soc) sont en recul de 16% chacun… signe d’une recomposition du paysage politique et d’une désaffection pour les deux formations qui ont géré l’Espagne depuis le retour de la démocratie.
Lors de ces européennes, le pays voit, comme la Grèce, les partis traditionnels reculer. Mais en Grèce, les deux partis dominants sont regroupés dans une alliance. Résultat, lors de ces élections, la Grèce avait placé Syriza en tête. Quelques mois plus tard, le parti de Tsipras gagnait les élections générales…
Une perspective pour Podemos pour les élections législatives de novembre prochain ? En tout cas, cela serait un extraordinaire appui à Syriza… et un espoir pour toutes les populations qui souffrent de la politique libérale dans les autres pays européens.
La Pologne, l’autre voie ?
La Bourse de Madrid a réagi en baissant de 2 points. Celle de Varsovie n’a pas bougé… Les financiers ont donc choisi leur camp.
Car à partir de mêmes ressentiments, les élections polonaises ont accouché d’un autre résultat, beaucoup plus problématiques.
Les électeurs ont créé la surprise, dimanche, en élisant l’ultra-conservateur Andrzej Duda à tête de l’Etat avec 51,5% des voix. Député européen du Parti conservateur et populiste Droit et Justice (PiS), Andrzej Duda, 43 ans, était quasiment inconnu à la veille de la campagne.
Il a réussi à faire tomber le président sortant Bronislaw Komorowski, qui pouvait pourtant se prévaloir d’une une croissance ininterrompue depuis son arrivée à la présidence polonaise. Le pays a bénéficié du taux de croissance le plus élevé d’Europe et échappé à la récession subie par bien des pays de l’Union. Mais, pour les observateurs, les exclus du boom polonais ont fait pencher la balance en faveur du candidat populiste qui considère que son pays ne doit pas adopter l’euro et qui est très critique à l’égard de la politique de Bruxelles.
La Pologne a donc choisi une voie identique à la Hongrie où sévit à présent depuis cinq ans le premier ministre conservateur, Viktor Orban qui a raflé à deux reprises les deux tiers des sièges du Parlement lors des élections législatives de 2010 et 2014. S’il a perdu une partie importante d’électeurs lors des dernières élections partielles à Tapolca, c’est au profit de Jobbik, le parti d’extrême-droite.
Et si la France votait dimanche ?
Les sondages sont malheureusement parlants même s’ils ne sont qu’une indication et non pas un suffrage. Pour l’heure, et avec les Régionales en perspective début décembre, rien d’identique à Syriza ou à Podemos ne se construit dans en France.
Dans le Monde Diplomatique de janvier 2015, Renaud Lambert publie un long article sur l’émergence de Podemos. Il dit notamment :
« Pour les dirigeants de Podemos, la gauche a longtemps péché par ses analyses absconses, ses références obscures et son vocabulaire codé. Or, estime M. Iglesias, « les gens ne votent pas pour quelqu’un parce qu’ils s’identifient à son idéologie, à sa culture ou à ses valeurs, mais parce qu’ils sont d’accord avec lui » (30 juillet 2012). Et ils le font d’autant plus que la personne en question sait se montrer normale, sympathique, voire… drôle.
Le premier travail de Podemos consiste à « traduire » le discours traditionnel de la gauche à partir d’axes discursifs capables d’emporter l’adhésion la plus large : les questions de la démocratie, de la souveraineté et des droits sociaux. « Concrètement, précise Lago, nous ne parlons pas de capitalisme. Nous défendons l’idée de démocratie économique. » Oubliée, donc, dans les discours, la dichotomie « gauche-droite » : « La ligne de fracture, explique M. Iglesias, oppose désormais ceux qui comme nous défendent la démocratie (…) et ceux qui sont du côté des élites, des banques, du marché ; il y a ceux d’en bas et ceux d’en haut ; (…) une élite et la majorité » (22 novembre 2014).
Les gardiens de l’orthodoxie marxiste dénoncent ce type d’analyse sociale indifférenciée. Le 24 août 2014, un militant interpelle M. Iglesias lors d’une conférence. Pourquoi ne jamais utiliser le terme « prolétariat » ? Le jeune dirigeant politique répond : « Lorsque le mouvement du 15-Mai a débuté, des étudiants de ma faculté — des étudiants très politisés, qui avaient lu Marx et Lénine — ont pour la première fois participé à des assemblées avec des gens “normaux”. Et ils se sont vite arraché les cheveux : “Mais ils ne comprennent rien !” Ils hurlaient : “Tu es un ouvrier, même si tu ne le sais pas !” Les gens les regardaient comme des extraterrestres, et mes étudiants rentraient chez eux dépités. (…) Voilà ce que l’ennemi attend de nous. Que nous employions des mots que personne ne comprend, que nous restions minoritaires, à l’abri de nos symboles traditionnels. Il sait bien, lui, que tant que nous en restons là, nous ne le menaçons pas. »
Fondé, au moins en partie, par des militants d’extrême gauche, pour certains issus de la formation Izquierda Anticapitalista (IA, Gauche anticapitaliste), Podemos se félicite de ce que 10 % de ses électeurs aux européennes de mai 2014 votaient auparavant pour la droite. Le recrutement social du parti s’est également élargi à travers la création de plus de mille « cercles » dans tout le pays. Les jeunes surdiplômés et urbains du début ont été rejoints par des ouvriers, des employés, des résidents des campagnes. »
Une méthode pour nous ? Quand on voit ce qu’une simple critique d’un livre de Jean-Luc Mélenchon suscite comme torrents de vindictes entre ceux qui se réclament du camp progressiste, on peut s’interroger si d’ici décembre, un « mouvement de gauche » nouveau peut se constituer en France. Car dans de telles réactions, on ne retrouve ni normalité, ni sympathie et surtout ni drôlerie…
Michel Muller