La France, par la voix de son premier ministre, vient de déclarer le 16 mai être opposée à l’instauration de « quotas » de migrants au niveau européens et plaide pour une répartition « plus équitable des réfugiés dans l’Union ».
Coïncidant avec les travaux parlementaires en cours sur le droit d’asile, l’occasion était trop belle pour Manuel Valls de se livrer à un exercice dans lequel il excelle, la manipulation de l’opinion et le raisonnement spécieux, plus communément appelé « enfumage » ».
De quoi s’agit- il?
Débordée par l’arrivée « massive » de malheureux fuyant guerres et misère, échouant sur les côtes du sud de l’Europe avec le drame des naufrages et de milliers de noyades connues ou pas, obligée de réagir autrement que par le silence devant l’émoi des opinions publiques européennes (pour combien de temps?), inquiète de la pratique, évidemment non officielle, de l’Italie et de la Grèce qui montrent, en les laissant « filer , un zèle très relatif dans les mesures de contrôles à leurs frontières maritimes de ces flux qu’elles ne peuvent, ni ne veulent traiter comme l’accord de Schengen le prévoit, l’Union européenne a rétabli dans l’urgence les maigres budgets qui permettaient une surveillance en mer et de réduire les drames humanitaires induits par ces traversées.
[n.d.l.r.: cette surveillance aérienne et maritime européenne en Méditerranée (dispositif « Mare Nostrum » puis « Triton ») a pour but principal le contrôle des flux migratoires et non le sauvetage en mer que les lois internationales imposent à tous les navires, de pêche ou autres].
L’Europe a sorti aussi de sa boîte à malice les « quotas » qui permettraient de parvenir à une répartition « équitable de ce flux » dans lequel se mêlent candidats à l’asile et candidats à la survie économique et d’appliquer les régimes juridiques très différents qui les concernent.
La France de Manuel Valls l’avait d’ailleurs proposé une première fois.
D’abord la France n’est pas, et de loin, le pays le plus demandé par les « vrais » aspirants demandeurs d’asile, demandeurs d’un statut spécifique de personne protégée (pour l’Europe l’Allemagne, la Suède, l’Italie, sont en tête du palmarès.)
Ensuite le taux d’acceptation par la France des demandes d’asile est l’un des plus bas de l’Union: (seulement 22% demandes satisfaites contre 45% en moyenne pour l’Union européenne).
De fait chaque pays de l’Union accueille ces candidats à la protection spécifique, à l’asile donc, dans le respect plus ou moins strict des directives européennes qui encadrent les dispositifs d’hébergement, de soins, d’accompagnement social, de garanties juridiques applicables et sous contrôle judiciaire encore effectif , du moins en France.
(Notons que dans le Haut-Rhin et à Mulhouse en particulier le nombre de demandeurs d’asile non hébergés et non accompagnés pour leurs démarches procédurales, en contravention des dispositions européennes et nationales est toujours chroniquement élevé, depuis des années …).
Pour la France le projet de loi « asile » actuellement en discussion parlementaire se propose de réformer la demande d’asile au sens strict, telle que prévue par la convention de Genève et aménagée par les directives européennes et ce sont donc les situations de demandes de protection pour raisons politiques, menaces ethniques, discriminations sociales diverses, qui sont visées.
Les candidats à l’immigration « économique » sont eux visés par d’autres dispositifs, moins contraignants pour les pays et la loi réorganisant l’entrée et le séjour des étrangers viendra ultérieurement en discussion au Parlement.
Ce que propose la Commission est donc un système d’accueil communautaire avec des quotas nationaux s’appliquant aux personnes relevant a priori du statut de la demande d’asile.
Ces « quotas » d’urgence seraient décidés en application des dispositions européennes existantes prévoyant des mesures exceptionnelles en cas d’arrivées massives.
Le 13 mai la Commission a avancé quelques chiffres sur l’impact pour l’accueil de demandeurs d’asile - ce qui ne signifie donc pas la garantie d’obtention de la protection spécifique accordée souverainement ou pas par le pays - qui obligeraient les Etats membres (plus 14% pour la France , plus 18% pour l’Allemagne, plus 11% pour l’Italie, etc…).
Ainsi pour les Syriens 2 375 supplémentaires devraient être pris en charge, outre les 5000 accueillis depuis 2012, contre le double en Allemagne en 2014 et autant pour 2015 (rappelons que quelques quatre millions sont accueillis en Turquie et au Liban..).
Un premier « tri» entre personnes relevant du statut de réfugié (droit d’asile) et ceux qui n’en relèveraient pas serait ainsi favorisé, dans des conditions meilleures que celles existantes (ce qui n’est pas très difficile, entre noyades, séjours interminables dans des « camps », parcours clandestins, passeurs et mafias diverses…).
Bref une modeste tentative communautaire d’organiser a minima une réponse autre que drames humains, filières de passeurs, incohérences des politiques d’accueil des pays (de refoulement serait le mot juste…) devant un phénomène majeur et complexe.
En outre les camps de pays sursaturés hors Union, tels la Turquie et le Liban, pourraient être soulagés de 20 000 personnes en deux ans selon les demandes du Haut Commissariat aux réfugiés des Nations Unies.
Mais Monsieur Valls, jusqu’à ce jour favorable aux quotas, vient donc de changer d’avis et de rejoindre la Grande Bretagne, la Hongrie et la Pologne qui en refusent également l’idée.
Lorsque Manuel Valls explique que la France est très soucieuse du respect du droit d’asile et a déjà fait beaucoup dans ce domaine il mélange savamment les faits et les chiffres, les demandeurs d’asile et les candidats à l’immigration, ses positions d’hier comme ministre de l’ Intérieur et d’aujourd’hui comme Premier ministre.
La réalité des chiffres de l’asile est que la France est au 8ème rang des pays industrialisés par rapport au PIB en « effort consenti » (chiffre du Haut Commissariat aux réfugiés) et ne figure pas dans les dix premiers pas industrialisés pour les pourcentages d’accueil par milliers d’habitants (loin derrière Malte ou le Luxembourg par exemple…).
Il est vrai que s’engager dans une politique autre que la confusion entretenue entre asile et immigration, favoriser une esquisse de répartition communautaire réfléchie, une volonté affichée de prendre en compte les véritables difficultés géopolitiques qui se préparent dans les camps de réfugiés du Proche Orient et de la Turquie, pourrait valoir au Premier ministre la perte de quelques points dans les sondages?
Mais gageons que son gouvernement sera en pointe dans l’action diplomatique en cours auprès du Conseil de Sécurité de l’ONU pour permettre le bombardement des bateaux de passeurs, suite inquiétante de l’aventure libyenne.
A Menton, point de passage de nombreux migrants africains venant d’Italie, Manuel Valls n’a d’ailleurs pas manqué de rappeler ce 16 mai que « la France, non seulement fait des efforts pour accueillir, mais est aussi engagée dans des efforts militaires…elle répond aux défis que représentent le terrorisme et le trafic des migrants…Elle le fait pour sa propre sécurité, pour celle des pays d’Afrique, mais aussi celle de l’Europe et il ne faut pas l’oublier dans la répartition de l’accueil des réfugiés ».
Samedi à Menton Manuel Valls a donc fait du Manuel Valls: jugulaire, menton en avant, réaffirmation gratuite de valeurs républicaines, statistiques un peu manipulées, mélange des genres et rejet d’une piste de travail complexe mais nécessaire si l’Europe devait être autre chose que celle de l’ultra libéralisme économique et du délire sécuritaire
Il est vrai qu’elle ne serait alors pas celle de Monsieur Valls.
Christian Rubechi