crise europe

L’article signé de Yan­nis Varou­fa­kis dans le quo­ti­dien irlan­dais IRISH TIMES est un résu­mé élo­quent de tout ce qui a mené à la situa­tion actuelle dans la zone euro.

Il est à remar­quer d’emblée que la crise de la dette,  et par­ti­cu­liè­re­ment celle de la dette grecque, s’apparente aux causes d’une catas­trophe aérienne : elle n’est jamais le résul­tat d’un seul pro­blème, mais d’un ensemble de dys­fonc­tion­ne­ments orga­ni­sés en fais­ceau, cha­cun inter­agis­sant sur l’autre pour en ren­for­cer les effets.

Varou­fa­kis met le doigt sur la pro­cé­dure déci­sion­nelle en vigueur dans la zone euro, et plus par­ti­cu­liè­re­ment sur la faille anti démo­cra­tique de la cou­pure entre les per­son­na­li­tés élues, et le monde des com­mis­saires et per­son­nels sur les­quels les pre­miers se déchargent des tâches tech­niques et des détails à régler lorsqu’ils ont mis en place l’enveloppe géné­rale, comme s’ils recon­nais­saient leur incom­pé­tence dans ces domaines. Or, ces per­son­nels non élus, qui n’ont de compte à rendre à per­sonne, et sur­tout pas aux citoyens, ont les cou­dées franches pour mettre en place des pro­cé­dures d’application qui dévoient trop sou­vent l’esprit des inten­tions ini­tiales, et ne tiennent pas compte des spé­ci­fi­ci­tés du pays ou de la région dans les­quels elles s’appliquent.

La Grèce a sa propre his­toire… qu’il faut connaître !

Pour ce qui concerne la Grèce, cette der­nière n’est ni l’Irlande, ni l’Espagne ou le Por­tu­gal, tant pour les effets de son his­toire sur son com­por­te­ment actuel, que pour la struc­ture de son tis­su éco­no­mique, et bien enten­du du mode de fonc­tion­ne­ment de ses ins­ti­tu­tions et des dérives qui y sont liées depuis des décades, pour ne pas dire deux siècles, depuis son indé­pen­dance (peut-on par­ler d’indépendance pour un pays objet de tant de luttes d’influence au plan international ?)

Ces par­ti­cu­la­ri­tés, ces man­que­ments, ces dérives, ne pou­vaient être igno­rées des auto­ri­tés euro­péennes lors de son admis­sion à la mon­naie com­mune, sauf à les consi­dé­rer comme des irres­pon­sables, ce qui est en par­tie vrai. Dans son livre, Το αόρατο ρήγμα, « La faille invi­sible », l’auteur, Aris­tos Doxia­dis, par­lant de la men­ta­li­té des petits entre­pre­neurs grecs (57% du total des entre­prises), les traite d’ « oppor­tu­nistes », sau­tant sur une occa­sion de pro­fit immé­diat sans se deman­der quelles en seraient les éven­tuelles consé­quences néfastes pour leurs affaires futures.

  1. Dra­ghi la connaît, lui…

On peut appli­quer ce terme de la même façon à ceux qui ont fait mine de prendre pour argent comp­tant les comptes maquillés de la Grèce, ne trou­vant rien à redire à cette incroyable, inat­ten­due et subite per­for­mance. Pour­tant, le futur gou­ver­neur de la BCE, Mon­sieur Dra­ghi, alors cadre diri­geant de la Gold­mann-Sachs qui a four­ni les outils logi­ciels et ban­caires per­met­tant ce tour de passe-passe ne pou­vait l’ignorer, ni Mon­sieur Papa­de­mos, alors gou­ver­neur de la Banque Cen­trale de Grèce et futur Pre­mier ministre pro­vi­den­tiel de son pays après la démis­sion de Papan­dreou, ni « Super Mario » Mon­ti, futur éphé­mère mira­cu­leux Pre­mier ministre d’une Ita­lie en fâcheuse pos­ture, lui aus­si émar­geant à la GS.

Mais il y avait une oppor­tu­ni­té, qui, à une autre échelle, cor­res­pond à l’opportunisme grec : les JO d’Athènes de 2004. Cette pers­pec­tive était pro­met­teuse pour nombre d’investisseurs, il ne fal­lait pas la man­quer. Dans le même temps, on a mis la pres­sion sur un état déjà en posi­tion de « cava­le­rie » finan­cière, le sup­po­sant inca­pable de mener à bien la mise en place des infra­struc­tures néces­saires aux Jeux, et tou­chant par-là à la sus­cep­ti­bi­li­té et à l’honneur de tout un peuple. Les mêmes retards obser­vés en Aus­tra­lie et en Chine ont été consi­dé­rés en leur temps avec une confiante bien­veillance, là où, pour la Grèce, la mal­veillance et l’ironie pré­va­laient. Il en est résul­té un creu­se­ment de la dette publique, par le fait même que l’état a emprun­té mas­si­ve­ment pour être à l’heure et pour que le pays confonde ses détrac­teurs. Ceci n’est évi­dem­ment qu’un aspect du pro­blème, mais il doit être pris en compte. D’autre part, à ceux qui rétorquent que l’Irlande s’en est sor­tie, il faut répondre que ce pays, faute du début d’une har­mo­ni­sa­tion des régimes fis­caux des pays membres, était et demeure une chasse gar­dée des mul­ti­na­tio­nales en mal d’optimisation fis­cale (n’est-ce pas, AMAZONE ou RYANNAIR ?). C’est ce qui explique les amé­na­ge­ments de sa dette (pro­vo­quée par les actions spé­cu­la­tives de ses deux banques pri­vées les plus impor­tantes) aux­quels ont consen­ti les auto­ri­tés de la zone euro sans se faire trop prier.

Pour­quoi les exi­gences de la troï­ka n’aboutiront pas

On nous par­le­ra éga­le­ment du régime subi par l’Espagne et par le Por­tu­gal, ce der­nier s’étant plié sans pro­tes­ter au régime impo­sé par la Troi­ka. A ceux qui parlent de suc­cès de ce régime dans ces pays, on ne peut que conseiller, sinon d’aller y voir, du moins de se ren­sei­gner sur les effets de la potion concer­nant le niveau de vie, le mar­ché du tra­vail, les salaires et les retraites.

A ce pro­pos, on me per­met­tra deux autres observations :

-La dette publique dans la zone euro est un pro­blème interne à ladite zone, laquelle par­tage un bien com­mun, sa mon­naie. Que vient faire une ins­ti­tu­tion exté­rieure comme le FMI dans le jeu ? Quel for­mi­dable aveu d’impuissance de l’incapacité à régler en interne un pro­blème interne !

-S’il n’y a pas eu d’harmonisation fis­cale, il n’y a pas eu non plus d’accord sur une homo­gé­néi­sa­tion des codes du tra­vail, ce qui per­met aujourd’hui aux tenants de l’ultralibéralisme de cas­ser autant que pos­sible des pro­tec­tions dont tout un cha­cun devrait pou­voir béné­fi­cier, afin de gagner en »com­pé­ti­ti­vi­té » sur le mar­ché glo­ba­li­sé. En d’autres termes, on a trou­vé là le moyen de reve­nir sur les objec­tifs géné­reux affi­chés par les pères-fon­da­teurs, et de pro­cé­der à une éga­li­sa­tion par le bas. Mon­sieur Pol Thom­sen, Danois de son état et chef de la branche euro­péenne du FMI a pro­cla­mé au minis­tère grec de l’économie, où il avait débou­lé du temps du gou­ver­ne­ment Papan­dreou, en pro­ve­nance directe de sa suite de l’hôtel Hil­ton, que, puisque la Grèce est un pays de la zone sud-est et bal­ka­nique de l’Europe, elle avait voca­tion à ali­gner son salaire moyen sur ceux en vigueur chez ses voi­sins, Bul­ga­rie et Rou­ma­nie, à savoir 300 euros par mois !

Il va de soi que dans le pro­ces­sus de puni­tion du vilain petit canard, tous ces erre­ments doivent être mas­qués. Comme le « canard » est petit, cela semble plus facile, et on y va. La faute est uni­la­té­rale. Elle porte tort à l’ensemble de la « mai­son ». Elle coûte à chaque ver­tueux citoyen, épar­gnant, tra­vailleur, dis­ci­pli­né. Le cou­pable va devoir payer, et dure­ment, pour l’exemple. Et la zone euro, assis­tée du FMI, sachant que la dette n’est pas viable, et qu’elle n’est pas inno­cente, crée la réces­sion et une crise huma­ni­taire sans pré­cé­dent sur le conti­nent en temps de paix dans son propre espace, celui-là même qui a été por­té par l’idée de pro­grès et de pros­pé­ri­té. Elle se rend cou­pable par la même occa­sion d’un déni de démo­cra­tie, en dépouillant cer­tains de ses membres de tout ou par­tie de leur sou­ve­rai­ne­té, alors qu’elle s’est mon­trée inca­pable jusqu’à ce jour de mettre en place un pou­voir supra­na­tio­nal cohé­rent et démo­cra­tique. Enfin, lorsque le vote des citoyens porte au pou­voir, après cinq ans d’une aus­té­ri­té qui, en lieu et place du redres­se­ment, n’a fait qu’accentuer le gouffre et la misère, une équipe ne répon­dant pas aux cri­tères de la « doxa », le seul objec­tif est de la cas­ser le plus vite possible.

Les vrais extré­mistes grecs ne sont  pas ceux que les médias désignent….

Ce fai­sant, on refuse de recon­naître deux choses :

-En pre­mier lieu, que ce pou­voir (qua­li­fié de « radi­cal » par un détour­ne­ment séman­tique l’assimilant à « extré­miste »), est le pre­mier, avec l’appui de l’opinion, à être en mesure de mettre en route les réformes struc­tu­relles dont le pays a abso­lu­ment besoin, et que Varou­fa­kis énu­mère en partie.

-Que la seule atti­tude rai­son­nable est de relâ­cher la pres­sion afin de pro­cu­rer de l’air et ouvrir des pers­pec­tives de redé­mar­rage et de déve­lop­pe­ment, sachant que ces réformes sont une tâche de longue haleine, ne don­nant ses fruits qu’au bout de plu­sieurs années,(d’autant qu’elles tiennent aus­si à des chan­ge­ments de men­ta­li­té aux­quels beau­coup de Grec sont prêts aujourd’hui), et qu’il faut les accom­pa­gner et les lier au déblo­cage des aides néces­saires pour qu’elles réus­sissent, faute de quoi on coupe le robi­net. En lieu et place, c’est la sus­pi­cion, la pres­sion main­te­nue, des exi­gences dérai­son­nables de nou­velles coupes sombres, l’asphyxie latente, et l’absurdité du rem­bour­se­ment d’une dette non viable au moyen de l’octroi de nou­veaux prêts de la part de ces mêmes créanciers !!!

Enfin, en conclu­sion, et tout en rap­pe­lant que les sommes allouées sont allées pour 90% aux banques pri­vées grecques afin de les reca­pi­ta­li­ser et aux banques pri­vées de la zone euros pour leur per­mettre de se défaire des obli­ga­tions grecques qu’elles avaient acquises »oppor­tu­né­ment » par le pas­sé, il n’est pas inutile de consta­ter com­bien toute cette affaire a fait le jeu des euros­cep­tiques, des popu­listes, et d’extrémistes de droite bien plus dan­ge­reu­se­ment « extré­mistes » que Tsi­pras et que SYRIZA. Mais l’Histoire est faite pour qu’on l’oublie, ou pour qu’on en dévoie les leçons.

Michel Ser­vé