ARTICLE signé de Yan­nis Varou­fa­kis au quo­ti­dien irlan­dais IRISH TIMES, paru le same­di 20 juin 2015,  por­tant sur l’EUROGROUP du jeu­di 18 juin à Luxem­bourg, et fai­sant réfé­rence au com­por­te­ment de Wolf­gang Schäuble.

varoufakis

« La réunion de l’Eurogroup de jeu­di der­nier est l’histoire d’une occa­sion per­due pour la conclu­sion d’un accord qui n’a que trop tar­dé entre la Grèce et ses créanciers.

Le com­men­taire le plus avi­sé sur ce sujet vient sans doute du ministre irlan­dais de l’économie, Mikel Nunan. Il a pro­tes­té, en effet, pour n’avoir pas été tenu infor­mé, lui et ses col­lègues ministres, de la pro­po­si­tion faite par les créan­ciers à la Grèce avant le début des discussions.

Je vou­drais joindre ma propre pro­tes­ta­tion à la sienne. Il ne m’a pas été per­mis, en effet, de com­mu­ni­quer à Mon­sieur Nunan, ni à per­sonne d autre d’ailleurs, nos pro­po­si­tions écrites. Ain­si que nous l’a confir­mé notre homo­logue alle­mand, aucune pro­po­si­tion écrite éma­nant d’un ministre de l’économie, grec ou repré­sen­tant les « Ins­ti­tu­tions », ne peut être accep­tée, sous peine de la voir réfu­tée comme docu­ment de tra­vail lors des négo­cia­tions, n’ayant pas été pré­sen­tée aupa­ra­vant au Bundestag.

La zone euro fonc­tionne selon d’étranges règles. Appe­lés à prendre des déci­sions impor­tantes, les ministres de l’économie sont dans le « noir » concer­nant leurs détails, tan­dis que des res­pon­sables non issus du suf­frage uni­ver­sel conti­nuent des trac­ta­tions uni­la­té­rales avec un gou­ver­ne­ment dans le besoin. C’est comme si l’Europe avait déci­dé que les ministres, res­pon­sables élus, n’étaient pas capables de se char­ger des détails tech­niques, tâche lais­sée à des « spé­cia­listes » repré­sen­tant, non les citoyens, mais les « Ins­ti­tu­tions ». Com­ment dans ces condi­tions un accord pour­rait-il être effi­cace, ou tout sim­ple­ment conforme à la démocratie ?

Inutile de rap­pe­ler aux lec­teurs irlan­dais ce que signi­fie le mot « humi­lia­tion » pour un peuple contraint de perdre sa sou­ve­rai­ne­té lors d’une crise éco­no­mique. Peut-être cela jus­ti­fie-il que, contem­plant l’interminable crise grecque, ils se retournent sur eux-mêmes avec calme et fier­té, par le fait que, ayant souf­fert en silence et ava­lé l’amère pilule de l’austérité, ils aient fini par revoir la lumière.

A l’opposé, les Grecs ont pro­tes­té des années durant à pleine voix. Ils ont tenu tête à la « Troi­ka », ont choi­si de por­ter au pou­voir le gou­ver­ne­ment de la gauche radi­cale dont je fais par­tie, et conti­nuent de subir la récession.

Expri­mer ce res­sen­ti est com­pré­hen­sible, mais n’apporte aucun secours, et ceci pour trois raisons :

- D’abord parce que ça n’aide en rien à com­prendre le drame grec.

- Ensuite, parce que ça n’informe en rien sur ce qu’il fau­drait faire pour le déve­lop­pe­ment de la zone euro, et celui de l’UE dans son ensemble.

- Enfin, parce qu’il est une source de dis­cordes nui­sibles, entre des peuples qui ont beau­coup en commun. »

Après l’évocation de ces années dra­ma­tiques pour l’économie de son pays, le ministre Varou­fa­kis pointe du doigt ce dont a besoin la Grèce aujourd’hui. Non pas des nou­velles coupes sombres, ou une impo­si­tion plus lourde, mais des réformes sérieuses. Et de citer la mise en œuvre d’un régime fis­cal entiè­re­ment refon­du, des pro­cé­dures de déli­vrance de licences d’exploitation plus bien­veillantes envers les entre­prises, des réformes dans le sys­tème judi­ciaire, l’abrogation de la pra­tique scan­da­leuse des retraites anti­ci­pées, la régle­men­ta­tion du fonc­tion­ne­ment des médias, celle du finan­ce­ment des par­tis poli­tiques, etc…

Tra­duc­tion du grec : Michel Servé.