La salle de l’auberge de la jeunesse a failli être trop petite devant l’affluence ! En pleine période de vacances, avec une chaleur torride en ce soir du 7 août, le professeur Paul Kleiser, de l’Université de Munich, grand spécialiste de la Grèce et de ses rapports avec l’Allemagne, a animé une soirée-débat qui nous a permis d’approfondir encore notre connaissance de la situation du pays.
Même si la Grèce ne fait plus la « Une » des journaux, il n’en reste pas moins que les problèmes restent entiers et ni le mémorandum du 13 juillet, ni les récents octrois de prêts supplémentaires, ne laissent augurer d’une prochaine sortie de crise.
D’entrée de jeu, Paul Kleiser place le décor en Allemagne : son travail de chercheur sur la réalité de la situation hellénique est motivé prioritairement par la lutte contre les préjugés. Cette lutte est difficile en Allemagne, car le gouvernement et les médias ne cessent d’asséner des « vérités » qui n’en sont pas et qui ne servent qu’à justifier la politique du gouvernement Merkel. Actuellement encore, 65% des Allemands soutiennent leur ministre des Finances, Schäuble, même si au sein du parlement, le Bundestag, de vives critiques s’élèvent y compris dans le camp de la chancelière. Inutile de dire que notre conférencier fait partie des 35% de la population qui ne suit pas aveuglément son gouvernement !
Il ajoute que l’Allemagne a une responsabilité particulière envers la Grèce et pour exemple, il cite les exactions de l’armée nazie. Il rappelle également sur ce point, que l’Allemagne hitlérienne avait « délégué » à ses alliés italiens le soin d’occuper le pays mais que devant l’incapacité de Mussolini d’accomplir la tâche, la Wehrmacht dû intervenir en 1943… retardant de trois mois l’invasion de l’URSS. Ce qui aura des conséquences puisque les Allemands ont été confrontés à l’hiver russe qui a été un élément majeur dans leur défaite. Les partisans grecs ont donc contribué à leur manière à la victoire des troupes soviétiques, rappelle Paul Kleiser.
UNE APPROCHE HISTORIQUE DE LA CRISE
Le conférencier propose une approche originale de la crise grecque. Il rappelle tout d’abord que la crise n’est pas née en Grèce mais qu’elle a été importée en 2008. Et si elle est extrême elle n’est pas une exception puisque tous les pays développés sont dans le même cas : le transfert des dettes privées bancaires sur les Etats a été un processus général.
Le rôle des principales forces économiques grecques a été particulièrement néfaste et il pointe essentiellement les riches armateurs et l’Eglise orthodoxe. La Grèce est une société de classe très affirmée : 700 familles d’armateurs, en lien avec l’Eglise, dispose de 5.000 navires sillonnant toutes les mers du globe et représentent à elles seules 18% du commerce maritime mondial. Bénéficiaires de privilèges exorbitants en matière fiscale, ils ont été un facteur aggravant de la crise financière en plaçant leurs avoirs et leurs bénéfices ailleurs que dans leur pays.
Paul Kleiser rappelle que des faits incontestables comme la corruption ou l’absence de cadastre souvent reprochés à la Grèce, ont de profondes racines historiques et que les changements même voulus et exprimés par le gouvernement Syriza, ne sont pas simples et rapides à mettre en œuvre.
Faisant référence à son livre « Griechenland im Würgegriff » (que l’on pourrait traduire par « La Grèce garrottée »), dont une troisième édition est en préparation, il rappelle a quel point et différemment que dans tout autre pays européen, le poids de mille ans d’empire byzantin, puis les quatre siècles de domination ottomane ont façonné le pays et ses habitants. Le rapport très particulier de la Grèce à la fiscalité est pour une part importante, lié à ce passé dans lequel les Grecs, habiles commerçants et menant de fines négociations avec l’extrême-orient, ont su tirer leur épingle du jeu. Il est regrettable qu’un ouvrage aussi fondamental pour la connaissance de la réalité grecque, ne soit pas traduit en français et que notre pays ne dispose pas d’un livre aussi documenté et argumenté.
DES CHIFFRES ELOQUENTS
Cette situation rend les réformes difficiles et il faut donc laisser du temps à un gouvernement pour les entreprendre. Surtout quand celui qui est en place actuellement fait la démonstration de sa volonté de les entreprendre (contrairement aux précédentes équipes de la droite ou des socio-démocrates). Car la preuve est faite que toutes les mesures jusqu’à présent appliquées et qui ont encore été imposée à Alexis Tsipras, ne font qu’aggraver la situation.
L’économie grecque est surtout basée sur les PME. Or, 70.000 de ces entreprises sont en faillite, 100.000 autres sont menacées. 75% des heures supplémentaires effectués par les salariés (qui ont déjà la semaine de travail la plus longue de l’Eurogroupe) ne sont pas payées. Paul Kleiser estime que cela devrait alerter les autres salariés européens car si une telle mesure devient la règle dans un pays de notre continent, il y a fort à parier que cela sera un précédent auquel ne manqueront pas de se référer les employeurs surtout en cas de crise économique. Il s’agit là d’une menace pour tout le mouvement syndical européen. Qui est bien timide dans l’action en soutien aux salariés grecs pourraient-on rajouter aux propos de notre conférencier !
LES MARGES DE MANŒUVRE DE SYRIZA
Dénonçant avec forces les pressions faites sur Syriza, entre autres par son propre gouvernement, Paul Kleiser estime que nous sommes dans un déni de la démocratie qui peut être lourd de conséquences à terme.
Rappelant qu’au départ, Syriza n’est pas un parti politique traditionnel mais l’émanation du Forum social européen qui s’est tenu à Athènes en 2006 qui a su s’imposer dans les élections à la suite d’un rejet massif des partis politiques traditionnels. Il s’agit donc d’un regroupement de différentes tendances, groupes, associations citoyennes, qui s’est donné un programme dont les deux piliers essentiels sont une alternative économique et sociale à l’austérité et la construction d’une Europe différente. Ce qui explique que leur but n’était pas une sortie de l’euro car pour les grecs, l’arrivée de la monnaie unique en remplacement de la drachme, signifiait enfin une monnaie stable et des taux d’intérêts moins importants.
La population grecque, dans sa majorité, ne met pas l’euro en cause, mais rejette massivement les mesures d’austérité et leur caractère contre-productif. Pour Paul Kleiser, l’échec de Syriza, illustré par l’acceptation des conditions drastiques de l’Eurogroupe pire que celle imposées aux gouvernements précédents, est motivé par une sous-estimation de la violence dont sont capables les institutions financières et politiques capitalistes. Les narrations des négociations faites par le ministre des finances Varoufakis (que nous publions dans l’Alterpresse) sont très éloquentes à ce sujet. Il ne faut pas négliger non plus les manœuvres politiques : « Mon gouvernement, dit Paul Kleiser, veut démolir Syriza, symbole de la volonté d’une autre politique, souhaitée par les peuples et pas seulement en Grèce ».
LES ALTERNATIVES ? A CONSTRUIRE DANS LA SOLIDARITE
A la fin de son exposé chaleureusement applaudi, les questions fusaient. Elles portaient essentiellement sur les alternatives et sur le manque de solidarité. Une grande majorité de l’auditoire considérait que la situation grecque est prémonitoire pour d’autres peuples qui pourraient, à leur tour, connaître des difficultés sociales gravissimes comme cela en prend le chemin actuellement. Les affirmations sur les situations qui s’améliorent en Irlande ou en Espagne sont fallacieuses. Paul Kleiser rappelle qu’on ne peut comparer les économies des pays en question et qu’une légère progression du PIB après une chute de près de 25% en Espagne ne signifie en rien une sortie de crise. Les inégalités sociales se sont encore creusées.
Il estime que la sortie de l’Euro et la création d’une monnaie locale alternative, n’est pas une volonté grecque et que l’alternative ne lui semble absolument pas crédible. Il fait référence aux travaux d’Eric Toussaint avec lequel il est en relation, et qui sont une excellente base pour construire des propositions alternatives. Mais comme le temps presse et que le gouvernement d’Alexis Tsipras est confronté à de sérieux problèmes économiques, sociaux et politiques, l’urgence des urgences est l’annulation de la dette et des aides pour relancer l’économie grecque et réformer l’Etat.
Au sujet de la politique européenne, Paul Kleiser considère que les institutions ont failli et que cela remet en cause la construction européenne telle qu’elle est engagée. Quant aux doutes sur les retombées positives de la politique européenne exprimée au sein de l’auditoire, le conférencier considère que le mal vient essentiellement du manque de cohérence politique et qu’il est nécessaire de mettre en place une « Assemblée constituante européenne » pour revoir de fond en comble le projet européen.
A propos de la solidarité, il constate que les mouvements sociaux de lutte contre le libéralisme ou pour des alternatives, sont encore trop nationaux et que cela a été un facteur négatif pour Syriza comme cela pourrait l’être pour d’autres mouvements arrivant aux pouvoirs pour mener une autre politique. La solidarité doit aussi s’exprimer dans les actes et non seulement par de sympathiques déclarations qui n’impressionnent pas outre mesure les forces aux pouvoir dans nos pays et à la Commission européenne.
Le Collectif68 en soutien au peuple grec a conclu cette soirée en remerciant chaleureusement le conférencier et en annonçant qu’il mettait en chantier dès initiatives qu’il souhaiterait élargir à l’échelle internationale entre autres en direction du Parlement européen dont le Président, Martin Schulz, a donné une image déplorable en chaussant les patins de l’Eurogroupe. Que la seule institution élue de l’Europe n’ait pas voulu soutenir l’expression démocratique des Grecs en dit long sur sa nature.
Michel Muller
Une excellente revue éditée en Allemagne en coopération avec un quotidien grec, paraît à présent également en français. L’Alterpresse68 se met en rapport avec elle pour assurer y compris la diffusion dans son format imprimé. D’ici là, vous pourrez la consulter sous le lien suivant : http://faktencheckhellas.org/fr/
A la lecture de ce compte-rendu, il est heureux de trouver des voix allemandes dénonçant la politique Merklen-Schäuble.
Il y a tout récemment, sur ce même blog, sous la même signature et, sous le titre « Gemanophobie ou capitalophobie ? Il faut choisir… » , Jean Luc Mélenchon s’est trouvé gratifié comme le « flingueur à tout va de l’Allemagne » en référence à son livre « Le hareng de Bismark ».
Le professeur Kleiser, quant à lui, peut difficilement être blâmé comme germanophobe. Pourtant, sur le fond, dit-il autre chose que Jean-Luc Mélenchon ?
Mais, passons…
De plus en plus de voix s’élèvent contre la politique allemande de l’ordolibéralisme. Souvent dans des termes bien plus acerbes que ceux de JLM. Son livre à permis d’ouvrir le débat. Tant mieux.
Bonjour cher Monsieur Muller,
Comment allez vous?
Votre papier est vraiment intéressant. J’y ai appris un passé grèco-allemand, dont je ne savais pas grand chose.
J’hésite face aux idées de votre orateur. Je n’ai pas la moindre idée de ce qu’il faut faire ou pas en Grèce. Je sais seulement que, dans l’histoire lorsqu’on parle « d’effacer des dettes », c’est toujours les créances des épargnants-contribuables (pas forcément de sales vilains capitalistes: voir Panama, les Assignats, l’emprunt russe, le tunnel sous la Manche, le Lyonnais…) qu’on « efface ».
Autrefois, jusqu’à la guerre de 39–40, on effaçait les épargnants-contribuables eux-mêmes.
Aujourd’hui, j’espère qu’on ne le fera pas…