Phi­lippe Wanes­son a publié sur son blog « Pas­seurs d’hos­pi­ta­li­tés », sa per­cep­tion de la venue de Manuel Valls à Calais. Nous le publions volon­tiers sur notre site.

Une visite de ministre est un exer­cice de com­mu­ni­ca­tion. S’a­gis­sant des « migrants de Calais », cette com­mu­ni­ca­tion se base sur un dis­cours com­pas­sion­nel sur la situa­tion des « migrants », qui ne conduit à chan­ger leur situa­tion, puis­qu’il faut évi­ter « l’ap­pel d’air » que pro­vo­que­raient des condi­tions dignes d’ac­cueil, et un dis­cours répres­sif qui se tra­duit par de nou­velles bar­rières et un ren­for­ce­ment des effec­tifs policiers.

Ce dis­cours vise offi­ciel­le­ment les « pas­seurs cri­mi­nels », mais dans les faits la répres­sion s’exerce sur les exi­lé-e‑s. La com­mu­ni­ca­tion du ministre vise à faire croire qu’il fait quelque chose qui va résoudre le pro­blème, alors qu’il ne répète que les mêmes phrases et les mêmes actions que ses pré­dé­ces­seurs, et qu’il ne fait qu’ag­gra­ver le problème.

La visite de Manuel Valls se situe dans cette conti­nui­té. On peut la consi­dé­rer dans une séquence qui débute avec le quin­quen­nat de Fran­çois Hol­lande et sa nomi­na­tion au minis­tère de l’in­té­rieur, et dans une séquence plus res­ser­rée qui com­mence fin juillet cette année.

Mai 2012, élec­tion de Fran­çois Hol­lande : rien ne change

Élec­tion pré­si­den­tielle, nomi­na­tion du gou­ver­ne­ment, élec­tions légis­la­tives, l’é­té passe, rien de ne change. La même poli­tique est appli­quée avec la même vio­lence. Novembre 2012, le Défen­seur des droits publie une déci­sion par­ti­cu­liè­re­ment ferme sur le har­cè­le­ment poli­cier à Calais. Valls ministre de l’in­té­rieur nie en bloc et en détail.

Décembre 2013 : Valls finit par venir à Calais

La venue du ministre de l’in­té­rieur avait été annon­cée dès juin 2013. Avaient sui­vi 6 mois d’a­ter­moie­ments, d’an­nonces et de reports. Valls vient en amont des élec­tions muni­ci­pales, dont il est le chef de cam­pagne offi­cieux pour le PS. Il ren­contre suc­ces­si­ve­ment dif­fé­rents inter­lo­cu­teurs aux­quels il dit ce qu’ils ont envie d’en­tendre : des com­mer­çants aux­quels il pro­met une amé­lio­ra­tion éco­no­mique ; les asso­cia­tions de sou­tien aux exi­lé-e‑s aux­quels il pro­met des diag­nos­tics ter­ri­to­riaux pour résor­ber les bidon­villes et l’ex­pé­ri­men­ta­tion de « mai­sons des migrants » ; les poli­ciers, aux­quels il pro­met des ren­forts. Dans la réa­li­té, la situa­tion des com­mer­çants s’est aggra­vée, il n’y a eu ni diag­nos­tics ni mai­sons des migrants, mais les ren­forts de police ont bien été envoyés. L’aug­men­ta­tion du nombre d’exi­lé-e‑s à Calais avait déjà com­men­cé, et il était pré­vi­sible que cela conti­nue­rait : il n’y a eu aucune anticipation.

Mai – juillet 2013 : retour des expulsions

Le 28 mai et le 2 juillet, les auto­ri­tés répondent à l’aug­men­ta­tion du nombre d’exi­lé-e‑s par des expul­sions de squats et de cam­pe­ment. L’o­pé­ra­tion est néga­tive en termes d’i­mage, et les asso­cia­tions font bloc pour refu­ser cette poli­tique. Le 12 juillet, une mani­fes­ta­tion se ter­mine par l’ou­ver­ture d’un grand squat sur un site indus­triel, le squat Galloo.

Pen­dant les mois qui vont suivre, les auto­ri­tés vont mettre en scène la dan­ge­ro­si­té des « migrants » et le rejet par la popu­la­tion calai­sienne (sur­mé­dia­ti­sa­tion d’une bagarre en août, mani­fes­ta­tion de Sau­vons Calais devant l’hô­tel de ville en sep­tembre, mani­fes­ta­tion anti-migrants orga­ni­sée par un syn­di­cat de poli­ciers en octobre). En paral­lèle, elles essayent d’im­pli­quer les asso­cia­tions dans une coges­tion de leur politique.

Mars – avril 2015 : expul­sions cachées et créa­tion du San­gatte du pingre

La police fait quo­ti­dien­ne­ment la tour­née des squats et cam­pe­ments en mena­çant les habi­tant-e‑s d’une expul­sion vio­lente. Les pre­mières per­sonnes partent vers le lieu à la péri­phé­rie de Calais où les auto­ri­tés ont dit qu’elles seraient tolé­rées, aidées par les asso­cia­tions. Le mou­ve­ment s’ac­cé­lère rapi­de­ment. La plu­part des exi­lé-e‑s se retrouvent sur cette ancienne décharge, où se construit un vaste bidon­ville. À proxi­mi­té, le centre Jules Fer­ry four­nit quelques ser­vices et met à l’a­bri une par­tie des femmes et enfants. Comme le centre de San­gatte, il s’a­git d’un regrou­pe­ment à l’é­cart de la ville, mais sous forme de bidon­ville et avec des ser­vices insuf­fi­sant. Mais l’ex­pul­sion de fait filtre dans les médias et les condi­tions dans le nou­veau bidon­ville donnent à nou­veau une mau­vaise image de l’opération.

Fin juillet 2015 : mise en scène des « assauts de migrants » et déci­sions franco-britanniques

Le 28 juillet, la direc­tion d’Eu­ro­tun­nel lance aux médias des chiffres fan­tai­sistes quant au nombre de « migrants » par­tant « à l’as­saut » des navettes fer­ro­viaires qui trans­portent les camions dans le Tun­nel sous la Manche. Le même jour, Ber­nard Caze­neuve est à Londres pour ren­con­trer son homo­logue bri­tan­nique The­re­sa May, qui annonce un chèque de 7 mil­lions de livres (près de 10 mil­lions d’eu­ros) à Euro­tun­nel, pour com­pen­ser les pertes finan­cières qui seraient dues aux ten­ta­tives de pas­sage des exi­lé-e‑s. La nou­velle déclenche un buzz média­tique sur plus de deux semaines. D’autres mesures sont annon­cées dans la fou­lée par les auto­ri­tés fran­çaises et bri­tan­niques dans la foulée.

Mais les jour­na­listes sur le ter­rain voient les condi­tions de vie dans le bidon­ville, les bar­rières héris­sées de bar­be­lés, les condi­tions réelles du pas­sage, l’ac­tion de béné­voles, ils entendent par­ler des vio­lences poli­cières et des morts à la frontière.

 La visite de Ber­nard Caze­neuve et The­re­sa May le 20 août à Calais vise à reca­drer le champ de vision des médias, celle dans la fou­lée de Manuel Valls avec deux com­mis­saires euro­péens à satu­rer le champ médiatique.

Par ailleurs, la venue de Manuel Valls à Calais prend place dans un tour des régions qu’il effec­tue en amont des élec­tions régio­nales, qui le place à nou­veau comme chef de file de la cam­pagne du PS. Et sa venue avec deux com­mis­saires euro­péens lui donne une sta­ture inter­na­tio­nale, utile pour la pré­si­den­tielle. Ces enjeux d’i­mage n’ont rien à voir avec Calais.

Voi­là ce qu’aurai pu être le pro­gramme de visite du Pre­mier Ministre

9 h : le Pre­mier ministre fixe d’un regard satis­fait les convois de CRS et de gen­darmes mobiles quit­tant Calais.

10 h : le Pre­mier ministre dépose une rose sur la tombe de Samir, mort une heure après sa nais­sance. Sa mère, enceinte de 22 mois, avait eu un acci­dent lors d’une ten­ta­tive de pas­sage et avait accou­ché pré­ma­tu­ré­ment. Il rend hom­mage aux exi­lé-e‑s mort-e‑s à la fron­tière, et s’en­gage à ce que de pareils faits ne se repro­duisent plus.

 11 h : le Pre­mier ministre boit le thé avec des exi­lé-e‑s dans le bidon­ville. Il oublie l’heure et laisse pas­ser le ren­dez-vous avec la maire de Calais.

12 h 30: le Pre­mier ministre lit l’au­then­tique allo­cu­tion place Foch, devant le parc Riche­lieu, en pré­sence d’exi­lé-e‑s, de béné­voles, de mili­tant-e‑s, de citoyen-ne‑s, de jour­na­listes, de jour­na­listes exi­lé-e‑s, de béné­voles citoyen-ne‑s, et d’une rive­raine venue par curiosité.

14 h: le Pre­mier ministre prend en stop un exi­lé qui s’est fou­lé les deux pieds lors d’une ten­ta­tive de pas­sage et qui va à pied à la per­ma­nence d’ac­cès aux soins de san­té, à une heure et demie de marche du bidon­ville pour une per­sonne valide. Il s’en­gage à ce qu’une pareille situa­tion ne se repro­duise plus.

15 h: le Pre­mier ministre boit un verre avec des Calai­siens soli­daires. Il se dit que déci­dé­ment cette ville a du poten­tiel. Il pense qu’a­mé­lio­rer la vie des Calai­siens et accueillir les tou­ristes, voya­geur-se‑s de pas­sage, exi­lé-e‑s en quête d’Eu­rope, crée­rait des emplois, don­ne­rait une bonne image de la ville, et pro­fi­te­rait à tout le monde. Il décide que l’É­tat appor­te­ra son soutien.

 16 h : le Pre­mier ministre rentre à Paris pour mettre en œuvre sa nou­velle politique.