Cinq cent mille manifestants dans toute la France le 9 mars dernier qui veulent le retrait de la loi de liquidation du code du travail. Deux mille pour le moins à Mulhouse ce qui ne s’était plus vu depuis longtemps.
Le 12 mars, les « rassemblements » à l’appel des organisations syndicales CFDT – UNSA – CFTC – CFE-CGC et la deuxième organisation étudiante FAGE, n’ont pas eu le succès attendu. Ce qui fragilise évidemment la position de « renégociation de la loi ».
La CGT, la FSU, Force Ouvrière, l’UNEF et l’UNL appellent à présent à une manifestation le 31 mars prochain. Alors que le gouvernement tente une opération déminage dès le 14 mars. Faut-il attendre aussi longtemps pour réagir ?
Ndlr: vous trouverez en fin d’articles une série de photos gracieusement mis à disposition par Pierre Dolivet, photographe indépendant, qui a couvert la manifestation du 9 mars. Qu’il en soit chaleureusement remercié.
Un succès indéniable des manifestations
C’est le contexte dans lequel elle se déroule qui définit le succès d’une manifestation. Celle du 9 mars est sans aucun doute à ranger dans la colonne réussite. Comme le disait Jacques Rimeize, secrétaire général de l’Union départementale FO rencontré dans la manifestation à Mulhouse, « nous avons eu très peu de temps pour nous préparer à la participation à cette action décidée par les jeunes. Et nous avons été entendus ».
Le peu de jeunes étudiants dans la manif ? Jacques Rimeize tempère : « Mulhouse n’est pas une ville universitaire de la dimension de Strasbourg. Ce sont surtout les lycéens qui sont organisés ici. Pas de quoi s’inquiéter ! »
Indiscutablement, la forte présence syndicale dans la cité haut-rhinoise, sous les bannières de la CGT, de Force Ouvrière, de Solidaire et de la FSU semble démontrer que nombre de salariés étaient mobilisés. La présence de la Fédération autonome de la Fonction publique territoriale (FAFPT) montrait que le secteur public dans lequel œuvrent de plus en plus de salariés contractuels se sent également concerné. La belle participation de la CFDT (Métaux et Chimie) dans le défilé est aussi une indication : si les « états-majors » syndicaux ont une stratégie différente, les choses ne sont pas aussi simples sur le terrain où la volonté de voir les syndicats s’unir est très forte.
Un « tour de chauffe » ?
Eliane Lodwitz et Arnaud Anthoine (Union départementale 68 CGT) étaient eux aussi satisfaits de la mobilisation. « Cela fait longtemps que nous n’avons pas vu autant de monde dans la rue. Nos syndicats CGT ont bien répondu. Mais pour nous, cela n’est qu’une première étape. Il faudra continuer pour arriver au retrait du projet de loi. »
Effectivement, le gouvernement a mesuré la dimension du rejet et de la capacité de mobilisation qui se dessine. Si la loi sur la réforme du code du travail est au centre de la contestation, d’autres sujets latents, antérieurs à cette loi, amplifient le mécontentement. L’état d’urgence perpétuel, la politique sécuritaire, la politique d’austérité et son impact sur le pouvoir d’achat, l’augmentation du chômage.
Et un sentiment qui gagne du terrain : celui de s’être fait avoir par les promesses d’un président avant les élections et la réalité de sa politique.
La crainte d’un mouvement social d’envergure
Le 9 mars, les syndicats ont rejoint un appel des organisations de la jeunesse, y compris du Mouvement des Jeunes socialistes. Si les exemples de reculs des gouvernements devant la colère de la jeunesse sont nombreux, chaque situation est pourtant différente. Et le gouvernement à raison de s’inquiéter de l’extension possible d’un mouvement qui agrège autant de motifs de mécontentement.
Traiter les jeunes d’ « inconscients » comme le fait l’ancien président Sarkozy relève plus de l’incantation que de la réalité. La génération qui est aux portes du monde du travail a vu ce que ses aînés endurent : contrat limité, stage non rémunéré alors qu’ils travaillent réellement, conditions de travail de plus en plus dégradée, code du travail non respecté… Ils ne veulent plus de cela.
Et c’est pourtant ce que la loi El Khomri veut graver dans le marbre d’un nouveau code du travail.
Mais le monde du travail, lui aussi, commence à relever la tête. Il voit bien que tous les sacrifices qu’on lui a demandé pour « combattre le chômage » n’ont servi à rien et que le nombre d’exclus est de plus en plus importants. Seuls les tripatouillages des chiffres de Pôle Emploi permettent de masquer la catastrophe.
Alors que le spectre de la pauvreté s’éloignait de plus en plus pour certaines catégories de la population, une grande partie d’entre elles ne se sentent plus protégés et considèrent que cela peut aussi leur arriver.
D’ordinaire, le malheur n’est pas toujours synonyme de mobilisation ou de révolte. Sauf quand il y a une prise de conscience que les intérêts particuliers des uns se défendront mieux en les partageant avec d’autres. En sommes-nous là ? C’est encore à vérifier, mais la panique gouvernementale devant cette mobilisation naissante semble indiquer que cette éventualité soit prise en compte.
Le dérapage du MEDEF
Ce n’est pas un scoop : le MEDEF (beaucoup plus que la CGPME ou l’Union Patronale des Artisans UPA) soutient de toutes ses forces la loi. Et cela se comprend puisqu’il est le seul gagnant dans l’affaire.
Le journal Les Echos vient de dévoiler les pressions que Pierre Gattaz, président de l’organisation patronale, vient d’exercer sur la CFT-CGC et qui est révélatrice des rapports qu’ont certains syndicales avec le MEDF.
Vendredi soir donc, le site des Echos a dévoilé les messages que Pierre Gattaz aurait envoyés à la présidente de la Confédération des cadres, CFE-CGC, Carole Couvert.
Le président du Medef la menace de ne plus la « soutenir » si elle persiste dans son opposition au projet de loi El Khomri sur le marché du travail.
«L’attitude de la CGC est incompréhensible et nuisible. Vous avez déjà planté la loi MDS (ndlr : Modernisation du dialogue social). Vous n’allez pas nous planter la loi MEK (ndlr: Myriam El Khomri)», écrit le dirigeant patronal. Puis il ajoute : «Si vous persistez dans cette attitude « cgtiste » sur cette loi, le Medef en tirera toutes les conséquences sur nos discussions en cours». Et il se fait plus précis : «Ce que je veux dire c’est que nous (ne) vous soutiendrons plus dans votre combat pour les cadres si vous plantez la loi MEK».
Bonjour l’indépendance syndicale !
Les manœuvres de M. Valls
Il n’est pas dans nos habitudes de critiquer les organisations syndicales quelles qu’elles soient. Elles ont des orientations différentes et des difficultés à trouver la voie unitaire. Dont acte.
Mais apparemment, elles sont toutes d’accord pour considérer que le projet de loi initial est inacceptable et certaines d’entre elles ( les « réformistes ») ont mis en avant neuf propositions de changement dans le texte.
Les avis divergent sur le fait que ce texte soit amendable ou non. Nous verrons au résultat que le premier ministre veut rendre publique le 14 mars. Il semble que des modifications plus ou moins marginales sont envisagées. Et bien évidemment, retirer la loi dans le contexte actuel serait un désaveu de toutes la politique menée par François Hollande depuis sont élection.
Le rapport de force qui s’est exprimé est-il suffisant pour faire reculer le gouvernement ? On peut penser qu’il en est encore à croire que des manœuvres politiques, l’appui de certains syndicats dont les motivations sont plus politiques que syndicales, peuvent lui permettre de passer le cap.
Pourquoi attendre le 31 mars ?
Dès lors se pose la question : pourquoi les organisations syndicales et étudiantes qui se sont rencontrées il y a plus d’une semaine à présent, veulent attendre le 31 mars pour une nouvelle action. Les étudiants proposent que dès le 17 mars, de nouvelles manifestations soient organisées.
On peut comprendre qu’une date est fixée en fonction du temps qu’il faut pour optimiser la mobilisation.
Pourtant, il semble bien que la population de notre pays est bien consciente des enjeux et des risques. Alors, si on accélérait le processus ?
Michel Muller
Ci-dessous les photos de Pierre Dolivet