Le pass sanitaire a été suspendu, séance publique tenante, dans les centres commerciaux de l’agglomération mulhousienne de plus de 20 000 mètres carrés qui s’y trouvaient soumis depuis le 20 aout, par le juge du Tribunal administratif de Strasbourg, saisi par le directeur d’une grande surface, dont l’identité n’a pas été révélée.

L’ordonnance de suspension prise hier par le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg est un désaveu manifeste à l’endroit du Préfet du Haut-Rhin, à l’égal de la décision du tribunal administratif de Versailles prise ce mardi à l’endroit de l’arrêté du préfet des Yvelines à propos des grands centres commerciaux du département francilien.

Le Tribunal strasbourgeois fait reproche à l’arrêté préfectoral contesté de ne pas garantir l’accès aux biens et services de première nécessité pour tous.

Ainsi, les mesures de restriction de l’arrêté attaqué « s’appliquent de façon générale et absolue à l’ensemble des commerces situés dans les grands magasins et centres commerciaux listés » ; et il ne prévoit pas d’aménagements « pour permettre aux clients ne disposant pas de pass d’accéder à ceux de ces commerces qui vendent des biens et services de première nécessité » – fort de quoi, « le juge des référés estime que l’arrêté méconnaît la loi […] relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, éclairée par ses travaux préparatoires ainsi que par la décision du Conseil constitutionnel du 5 août dernier ».

L’ordonnance peut faire l’objet d’un appel devant le Conseil d’État. Ce que le gouvernement a déjà promis de faire.

Un gouvernement qui s’appuie sur des décisions discrétionnaire et des arguments d’autorité en l’absence de contre-pouvoirs

Le législateur a bordé l’utilisation du pass à l’accès aux besoins de première nécessité. En usant d’un concept au contours flous qu’est le “bassin de vie” des personnes. En pratique cela signifie donc que pour éviter la barrière du pass sanitaire en cours dans l’hypermarché situé dans sa zone de chalandise, le client devra se déporter de plusieurs kilomètres pour aller s’agglutiner dans un hard discount ou un supermarché traditionnel.

Vous remarquerez, là encore, le renversement des paradigmes sanitaires. En mars-avril 2020, il fallait fuir les petits commerces et préférer les centres commerciaux plus grands, afin de respecter les espacements entre personnes, et parce que nous ne disposions pas de masques.

L’arbitraire de l’ensemble des règles sanitaires saute littéralement aux yeux de n’importe quel citoyen soucieux de cohérence dans le caractère scientifique des mesures de prophylaxie.

Que ce soit en comparant nos limitations et interdictions, parmi les plus sévères d’Europe, et celles bien plus lestes, de nos voisins immédiats, ou même à l’examen dont les lois limitant des libertés fondamentales sont transcrites en décrets, ou arrêtés préfectoraux, et appliquées par ceux-là qui sont censés les faire respecter, c’est à dire les forces de l’ordre (elles-mêmes dispensées de se les appliquer !).

Le constitutionnaliste et professeur Dominique Rousseau s’inquiétait chez les confrères de 20 Minutes que la décision soit laissée au préfet pour l’extension aux centres commerciaux. Juridiquement, il s’agit en effet d’un abandon délibéré du législateur de ses prérogatives. Et c’est un problème majeur, s’agissant des libertés fondamentales : “C’est au législateur de fixer les règles permettant de réglementer l’exercice des libertés. Il y a là un abandon par le législateur de ses compétences, qui donne aux préfets et au gouvernement un pouvoir discrétionnaire, un pouvoir arbitraire.”

En principe, et dans une situation ordinaire, le Conseil constitutionnel ne pourrait que censurer une telle disposition. C’est un point de droit qu’il n’a d’ailleurs pas hésité à utiliser s’agissant d’une proposition de loi parlementaire de programmation pour garantir un accès universel à un service public hospitalier de qualité, le 06 aout, soit 24 heures après sa validation quasi complète de l’extension du pass sanitaire.

Quelle bévue légale avaient donc commis la centaine de parlementaires porteurs de cette initiative ? La proposition était subordonnée à l’avis de la Conférence nationale de santé, organisme consultatif placé auprès du ministère de la Santé. Elle se veut un lieu de concertation concernant les questions de santé et permet aux acteurs du système de santé d’exprimer leurs points de vues sur les politiques afférentes.

Une erreur de droit inacceptable pour le Conseil constitutionnel, puisque cet avis est prérogative du seul Premier ministre. Résultat : l’entièreté de la proposition est censurée. On repassera donc bien plus tard pour l’accès à un service public hospitalier de qualité.

En revanche, le même Conseil ne trouve rien à redire à la loi d’extension sur le pass sanitaire à la vie quotidienne, après avoir soutenu le contraire quelques semaines plus tôt, y compris sur les délais d’urgence au cours desquels elle aura été “examinée”.

Plus vite, plus vide, la démocratie sous hypoxie

Car il y a toujours urgence à éviter le contradictoire pour le gouvernement. C’en est même le trait caractéristique de sa praxis : pas le temps de réfléchir, de faire un modeste pas de côté. Rien. Directives, postures martiales, accusations et anathèmes pour celles et ceux qui n’obéissent pas dans les temps fixés par le Prince républicain.

Au demeurant, le gouvernement se drape de la même défroque sanitariste devant les très modestes réserves du Conseil constitutionnel quant au temps de délibération démocratique choisi par le gouvernement :

“Le Gouvernement ne conteste pas que le délai d’examen du projet de loi de gestion de la crise sanitaire, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 19 juillet 2021 et définitivement adopté le 25 juillet 2021, a été particulièrement bref.

Toutefois, l’examen du texte dans des délais aussi contraints était justifié par l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé, qui découle des termes du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, aux termes duquel la Nation « garantit à tous (…) la protection de la santé »”.

C’est précisément en raison de “l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé” que toutes les décisions limitatives des libertés fondamentales sont prises. Un objectif désormais supérieur à toutes les autres valeurs constitutionnelles.

C’est surtout un habillage qui ne manque pas de sel, lorsque l’on voit poursuivie la politique de rationalisation malthusianiste ou gestionnaire de l’hôpital public et de fermeture des lits.

Et c’est également en vertu de cet “objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé“, que le Conseil constitutionnel a cessé d’exercer son magistère sur la fidélité des lois au bloc central de constitutionnalité, lequel irrigue l’ensemble des hiérarchies et processus normatifs du pays.

Ainsi, alors que les parlementaires saisissent le Conseil constitutionnel et interrogent celui-ci à propos de la méconnaissance de la liberté d’aller et de venir, du droit au respect de la vie privée et du droit d’expression collective des idées et des opinions, que semble constituer pour eux le texte sur l’extension du pass sanitaire, le Conseil ne peut que répondre :

[Point 38] “Le législateur a estimé que, en l’état des connaissances scientifiques dont il disposait, les risques de circulation du virus de la covid-19 sont fortement réduits entre des personnes vaccinées, rétablies ou venant de réaliser un test de dépistage dont le résultat est négatif”.

Sur quoi le Conseil fonde-t-il son appréciation ? Aurait-il reçu des experts ? Interrogé des infectiologues ? Organisé un semblant de contradictoire, par lequel il aurait pu aisément apprendre que les vaccinés et non-vaccinés partagent le même sort, s’agissant de la contagiosité ou de la transmissibilité (à quelque pourcentage près) face au variant “Delta” ?

Rien de tout cela. Il donne blanc seing intégral au discours gouvernemental. Le seul audible pour les “sages“.

“S’agissant de leur application aux grands magasins et centres commerciaux, [le législateur] a prévu qu’elles devaient garantir l’accès des personnes aux biens et services de première nécessité ainsi qu’aux moyens de transport accessibles dans l’enceinte de ces magasins et centres”.

Au point 45, le Conseil précise par ailleurs que “le contrôle de la détention d’un des documents nécessaires pour accéder à un lieu, établissement, service ou événements ne peut être réalisé que par les forces de l’ordre ou par les exploitants de ces lieux, établissements, services ou événements. En outre, la présentation de ces documents est réalisée sous une forme ne permettant pas « d’en connaître la nature » et ne s’accompagne d’une présentation de documents d’identité que lorsque ceux-ci sont exigés par des agents des forces de l’ordre”.

Encore une énormité laissée à l’entière discrétion des exploitants, qui font ce qu’ils veulent, et se foutent totalement de la loi. Nous l’avions montré avec les pratiques en cours dans les établissements de loisirs gérés par Mulhouse agglomération. Les piscines réclamant par exemple une carte d’identité en même temps que le pass, en toute illégalité. Et quand nous l’avons relevé, il nous a été répondu qu’il ne s’agit que des cas ou un usager viendrait réclamer un tarif réduit…

Faut-il porter également à la connaissance du Conseil d’État que le code en deux dimensions (QR code) présent sur les pass, et qui est scanné à l’entrée de divers lieux, banalise un contrôle d’identité permanent et inutile ? Et surtout que n’importe quelle personne scannant les codes en deux dimensions peut consulter les données de santé (en plus du nom, prénoms, date de naissance) des personnes détentrices des documents : à savoir la date, lieu et type de test RT-PCR, le résultat du dépistage ; le nom et le fabricant du vaccin, le nombre de doses reçues et le nombre de doses nécessaires, ainsi que la date de la dernière injection, ainsi qu’il a été démontré ici.

Le secret médical est désormais relégué au rang de secret de polichinelle !

La requête en annulation, portée par nos amis de la Quadrature du Net, a non seulement été rejetée par le Conseil d’État, mais elle a encore été déformée par ses soins !

Le risque de détournement de données étant selon lui, “peu élevé“. Comble de l’ironie, il est aujourd’hui clairement prouvé que l’application “Tous anti-covid” est une passoire à données personnelles.

Mais on s’en fout, répondit l’écho, “nous” on veut éradiquer le virus ! A condition que le virus ne soit pas déjà devenu une passoire pour le vaccin…

Au passage, les garanties circonscrites par les hautes juridictions ne valent pas mieux que la passoire précédemment citée. Car tant que le Conseil constitutionnel ou le Conseil d’État se poseront comme des tutelles du gouvernement, au lieu de se montrer fermes sur des garanties démocratiques qui prévalent, y compris, et peut être surtout, en situation de crise, rien ne changera durablement.

Quant au détournement de procédure mis en oeuvre par le gouvernement, il est manifeste : le Conseil d’État a bien souligné dans son arrêt que l’application du passe sanitaire ne devait pas être justifiée par un « un objectif qui consisterait à inciter les personnes concernées à se faire vacciner ». 

Or, c’est pourtant bien ce qui se passe. De nombreuses personnes se font ainsi vacciner « pour avoir la paix » et donc « avoir un passe ».

De sorte que l’arbitraire et la ruse sont proprement le mode de pilotage gouvernemental par excellence. Et si sa religion officielle, ou son sacerdote, est sanitariste, il n’a plus rien de scientifique, et moins encore de salutaire.

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