Les présidents et dirigeants de la Confédération des Alévis en Europe et des 262 associations culturelles qui en dépendent se sont réunis récemment devant le Parlement européen pour y dénoncer l’évolution de la situation politique en Turquie et appeler à une grande manifestation pacifique et unitaire le samedi 25 juin 2016 à Strasbourg.
Qui sont les Alévis?
Les Alévis Bektâchis sont musulmans mais se distinguent largement des courants majoritaires de cette religion: pas d’obligation des cinq prières quotidiennes, ni du pèlerinage à la Mecque, ni de mosquée traditionnelle, ni le Ramadan; dans leurs lieux de culte hommes et femmes prient côte à côte et ils reconnaissance quatre des livres saints – Coran, Bible, Torah, Livre des Psaumes – . Les chefs spirituels sont indifféremment des hommes ou des femmes et le port du foulard pour les femmes est d’importance très relativisée selon les circonstances. Ils affirment la nécessité fondamentale pour les croyants d’étudier, de «lire», pour comprendre l’Univers et ils utilisent la langue vernaculaire dans leur liturgie.
Leur laïcité est affirmée comme modalité d’organisation sociétale et les Alévis définissent volontiers leur système de croyance – quand ils ne sont pas tout simplement athées – comme une philosophie, une vision humaniste et tolérante.
Seconde croyance en Turquie après le sunnisme (15%, 20, 25 % de la population turque selon les sources) les Alévis ont souvent été réprimés au cours des siècles. La Turquie ne reconnaît pas l’alévisme bektachisme (condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme de la Turquie en décembre 2014 pour « discrimination sur la base de la religion»).
La croyance alévie y reste officiellement ignorée malgré des déclarations de principe favorables des autorités turques (déclaration du 10 décembre 2015 notamment).
Aujourd’hui la Fédération Union des Alevis en France (FUAF) et leur Confédération en Europe dénoncent les dérives autoritaires du système Erdogan: «levée» de l’immunité parlementaire demandée contre les parlementaires du parti démocratique H.D.P et CHP, répression des revendications identitaires et culturelles kurdes, soutien apporté par le parti présidentiel turc A.K.P aux organisations djihadistes en Syrie.
Ils dénoncent également l’implantation de groupes de réfugiés syriens par le gouvernement Erdogan dans les zones géographiques de forte implantation alévie. Des actions de confiscation de terres sont signalées au motif avancé d’organisation de camps de réfugiés sunnites dans le cadre de l’accord entre l’Union européenne et la Turquie sur les flux migratoires.
Mais sans vouloir minimiser l’importance de la délégation alévie auprès de parlementaires européens de la Confédération de l’Union des Alévis en Europe pourquoi la relayer spécialement?
Parce qu’elle exprime des valeurs de tolérance et de respect des principes de la laïcité dont bien de nos responsables politiques devraient se souvenir plus souvent à l’heure où trop de revendications identitaires aux racines religieuses polluent notre propre débat démocratique?
Parce qu’elle pointe certaines dérives, parmi bien d’autres, de l’accord – marchandage passé entre l’Union européenne et la Turquie pour la «sous – traitance» des flux de réfugiés chassés de Syrie et que l’Union européenne refuse d’accueillir dignement sur son sol? Que nous savons que cette Union européenne troque bien volontiers ses propres lois, règles et valeurs applicables aux réfugiés contre 6 milliards d’euros sonnants et trébuchants à verser à une Turquie sur laquelle elle se décharge de la question?
Parce qu’il s’agit de rappeler des déclarations récentes de la Fédération des Alévis en France dénonçant les dérives du système éducatif turc vers une éducation basée sur l’Islam sunnite, et l’obligation de suivre les cours de religion; alors même qu’un jugement rendu le 26 avril 2016 par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a donné raison à 203 plaignants turcs de confession alevis, des dérives intégristes, nationalistes et un discours d’intolérance et de haine?
Ou plus concrètement parce que des familles mulhousiennes alévies, nombreuses dans la cité où leur communauté est importante, ont leurs parents et amis en Turquie directement visés par la politique d’implantation massive de réfugiés syriens sur des territoires d’habitat Alévi pour établir un «cordon» avec des territoires de population kurde ?
Ou plus simplement pour relayer une voix qui rappelle à l’Union Européenne le respect dû aux droits de l’Homme, à la liberté d’expression, à l’inacceptabilité des crimes de guerre, aux valeurs fondamentale d’une société démocratique?
Le message de la Confédération de l’Union des Alévis en Europe doit être entendu par les parlementaires européens et certains y donnent déjà suite.
Mais au delà, et par les temps que nous connaissons, la voie des Alévis doit contribuer aux combats citoyens et démocratiques, trouver un écho en Europe.
Ces combats sont nécessaires. Aujourd’hui en France même nous sommes aussi directement concernés par la lutte pour le respect des droits, de nos propres principes démocratiques.
Christian Rubechi