Une fidèle lectrice de L’Alterpresse68 nous a fait part de la lettre qu’elle a envoyée au président Macron pour attirer son attention sur la situation des retraités… La réponse est édifiante : les ordonnances liquidant en grande partie ce qui reste de favorable aux salariés dans le Code du travail ne sont qu’un début. Les « transformations » vont s’enchaîner tant que la population les acceptera sans trop rechigner. Les manifestations à l’appel des syndicats le 12 septembre et de la France Insoumise le 23 seront décisives à ce propos : un échec serait un encouragement à continuer le démantèlement social, un succès conduirait forcément le gouvernement à devoir réfléchir sur la suite des événements. A chacun de se déterminer !

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FUNESTES CONSEQUENCES POUR LA PROTECTION DES SALARIES

Depuis quelques jours, nous connais­sons donc le conte­nu des ordon­nances réfor­mant le code du tra­vail : cinq textes, trente-six mesures, près de deux cents pages… Que l’on peut résu­mer assez aisé­ment : deux cents pages repre­nant point par point les demandes du MEDEF et de la CGPME qui pré­tendent que la « rigi­di­té » du Code du Tra­vail fran­çais les empê­che­raient d’embaucher.

Le simu­lacre de « concer­ta­tion » durant le mois de juillet a pu per­mettre à cer­taines orga­ni­sa­tions syn­di­cales de se féli­ci­ter d’avoir « évi­ter le pire » ( !) mais n’a en rien chan­gé ni la phi­lo­so­phie, ni les trames fon­da­men­tales du texte gou­ver­ne­men­tal. Après que la démo­cra­tie par­le­men­taire ait accep­tée de se des­sai­sir de son rôle en votant le recours aux ordon­nances, la démo­cra­tie sociale a subi son camou­flet en la relé­guant au simple rôle de faire-valoir et d’alibi.

Les sala­riés risquent donc de perdre une grande part de leur pro­tec­tion : les syn­di­cats seront affai­blis puisque dans les entre­prises de moins de 20 sala­riés le patron pour­ra négo­cier avec un employé non élu, ni man­da­té et dans celles de 20 à 50, cela pour­ra se faire avec un élu du per­son­nel non man­da­té par un syn­di­cat. En outre, dans les entre­prises de plus de 50 sala­riés, les ins­tances repré­sen­ta­tives du per­son­nel (Délé­gués du per­son­nel, Comi­té d’Entreprise, Comi­té d’hygiène, de sécu­ri­té et des condi­tions de tra­vail) seront fusion­nées en un seul orga­nisme : le Conseil social et éco­no­mique (CSE). Cette mesure affai­bli­ra consi­dé­ra­ble­ment les syn­di­cats qui n’avaient vrai­ment pas besoin de cela dans l’état où ils sont. Ils auront beau­coup moins d’élus, moins de moyens légaux, moins de temps, pour mili­ter dans l’entreprise, là où pour­tant l’essentiel des mesures sociales vont se décider.

Sans par­ler, bien évi­dem­ment, du pla­fon­ne­ment des indem­ni­tés prud­hom­males. Rap­pe­lons que ces indem­ni­tés inter­ve­naient quand le patron se met­tait en-dehors de la loi pour licen­cier un tra­vailleur : cette mesure dans les ordon­nances sera donc en quelque sorte une « amnis­tie pré­ven­tive » d’un employeur qui sau­ra le prix qu’il aura à payer pour licen­cier illé­ga­le­ment ! Et donc s’organiser finan­ciè­re­ment pour le faire.

SOUS COUVERT DE MODERNISATION, UN RETOUR EN ARRIERE SOCIAL

Que pèse la vague allu­sion sur « le télé­tra­vail sécu­ri­sé » dans les ordon­nances devant la réa­li­té que vivent aujourd’hui des mil­liers de sala­riés du monde numé­rique ? Ce retour au paie­ment du tra­vail « à la tâche » pour­tant inter­dit par le vrai code du tra­vail est un bond en arrière considérable.

Comme le prouve la lutte menée par les «auto-entre­pre­neurs » tra­vaillant pour Deli­ve­roo contre le paie­ment du salaire « à la course » : cette trans­for­ma­tion de leur contrat avait comme consé­quence la réduc­tion de leur paie­ment de près de 30%. Cette vision des rap­ports sociaux à la sauce des grandes entre­prises tout comme les start-up du numé­rique est en réa­li­té celle des maîtres des forges du XIXe siècle… et retrouve une nou­velle jeu­nesse dans la phi­lo­so­phie des ordon­nances de M. Macron.

INEFFICACES POUR L’OBJECTIF AFFICHE

Cet affai­blis­se­ment des droits des sala­riés devraient conduire les employeurs, « libé­rés » de toute contrainte sociale, à embau­cher. Or, per­sonne n’a pu prou­ver la moindre cor­ré­la­tion entre « rigi­di­té sociale » et chô­mage. Des exemples prou­ve­raient même le contraire : ain­si, comme le révèle l’excellent men­suel Alter­na­tives Eco­no­miques dans son numé­ro de sep­tembre, l’Allemagne a des mesures bien plus rigides en matière de licen­cie­ment et a pour­tant moins de chômeurs !

Le Job-Act que Matéo Ren­zi a infli­gé en 2014 à l’Italie et dont le cœur du dis­po­si­tif est l’ins­tau­ra­tion d’un CDI unique à « pro­tec­tion crois­sante » per­met­tant aux employeurs de licen­cier un sala­rié, même sans cause réelle, en échange d’une indem­ni­té d’une valeur maxi­male de 24 men­sua­li­tés, a appa­rem­ment for­te­ment ins­pi­rée M. Macron.

Or, après un effet d’aubaine essen­tiel­le­ment lié aux aides fis­cales qui a fait recu­ler le chô­mage d’un point (de 12,5% à 11,5%) en 2015, les choses se sont sta­bi­li­sées, les créa­tions d’emplois se sont taries… Reste une immense pré­ca­ri­sa­tion des sala­riés frap­pant essen­tiel­le­ment les plus jeunes.

L’objectif affi­ché de dyna­mi­ser l’emploi est donc loin d’être avé­ré. On peut donc consi­dé­rer que ces ordon­nances sont avant tout faites pour modi­fier pro­fon­dé­ment notre modèle social basé sur la soli­da­ri­té natio­nale en rédui­sant les droits des plus faibles pour ren­for­cer les pou­voirs des plus nantis.

SUPPRIMER DES EMPLOIS AIDES… ET LE CICE ?

Une autre mesure est en train de révol­ter de nom­breuses col­lec­ti­vi­tés locales et asso­cia­tions : la sup­pres­sion des emplois aidés entre autres les CUI-CAE. Rap­pe­lons que le CICE et ses aides fis­cales aux entre­prises en échange de créa­tion d’emplois, a coû­té 24 mil­liards par an à l’Etat. Sans géné­rer de l’emploi. Et pour­tant, le gou­ver­ne­ment ne le remet pas en cause.

Les emplois aidés type CUI-CAE sont sup­pri­més car « trop coû­teux » et « pas effi­caces ». Or, ils ont coû­té 3 mil­liards par an à l’Etat et ont géné­ré des emplois, des expé­riences pour des jeunes qui ont pu les valo­ri­ser ensuite en d’autres lieux. Ils ont éga­le­ment per­mis de conso­li­der les actions d’associations qui pal­lient aux défaillances de l’Etat. Encore un exemple des choix faits par le « libé­ral » Macron…

D’autres mesures sont en ges­ta­tion : la réforme des retraites, celle de l’allocation chô­mage, la réforme de l’allocation chômage.

Les argu­ments uti­li­sés par le pré­sident de la Répu­blique dans son inter­view à l’hebdomadaire Le Point sont sidé­rants : les retrai­tés sont consi­dé­rés comme des « nan­tis » (à par­tir de 1.200 euros par mois !) et devraient donc être mis à contri­bu­tion. Oser dire cela quand paral­lè­le­ment, on veut sup­pri­mer tout un pan de l’impôt sur la for­tune (ISF) est plus qu’un abus de langage !

Il est à craindre que toutes les « trans­for­ma­tions » à venir aillent dans le même sens pour pré­ser­ver les grandes richesses sup­po­sées être les inves­tis­seurs futurs.

PEUT-ON CONTESTER UNE LEGITIMITE DANS LA RUE ?

C’est une des liber­tés fon­da­men­tales qui a coû­té de nom­breuses vies et de mal­heurs pour les mili­tantes et mili­tants des droits de l’Homme : le droit de grève, le droit de mani­fes­ter, le droit d’exprimer son oppo­si­tion… n’ont pas été accep­té de bon gré par les possédants.

Une petite musique dan­ge­reuse com­mence à réson­ner : M. Macron a été élu, il a donc la légi­ti­mi­té pour appli­quer son pro­gramme et la rue ne sau­rait contes­ter cette légi­ti­mi­té (M. de Rugy, pré­sident de l’Assemblée nationale).

Mais M. Macron a obte­nu moins de 20% des ins­crits lors du 1er tour de la pré­si­den­tielle : on peut donc esti­mer que c’est à ce niveau que se situe l’adhésion à son « pro­gramme ». Le fait que de nom­breux élec­teurs aient voté contre Le Pen au 2e tour, ne légi­time pas le pro­jet éco­no­mique et social du Pré­sident et de son gouvernement.

Pré­tendre que dans ces condi­tions, il n’est pas légi­time de contes­ter ses choix dans la rue est une drôle de manière de consi­dé­rer la démocratie !

Des syn­di­cats comme la CGT, Soli­daires, l’UNEF et d’autres asso­cia­tions appellent à mani­fes­ter le 12 sep­tembre. C’est non seule­ment leur droit mais plu­tôt leur devoir s’ils estiment n’avoir que ce moyen pour s’opposer à des mesures iniques.

A QUOI JOUE FORCE OUVRIERE ?

D’autres font un choix dif­fé­rent. On peut d’ailleurs se deman­der à quoi joue Force Ouvrière. Vent debout contre la loi El Khom­ri, sou­vent plus radi­cale que la CGT, la cen­trale de Jean-Claude Mailly semble trou­ver des attraits aux ordon­nances Macron pour­tant bien plus dan­ge­reuses pour le monde du tra­vail. Par quel mys­tère ? En tout cas, ce n’est pas bien clair… Même Laurent Ber­ger, de la CFDT, pour­tant fervent sup­por­teur de la loi Tra­vail pré­cé­dente, est plus critique.

Il est clair que ces ater­moie­ments, ces renon­ce­ments, ces cir­con­vo­lu­tions céré­brales, désar­çonnent les sala­riés. La divi­sion syn­di­cale a tou­jours été un poi­son pour le monde du tra­vail et pèse néga­ti­ve­ment sur sa capa­ci­té d’action.

Le syn­di­ca­lisme est en recul. Certes, la CFDT se targue d’être deve­nu le 1er syn­di­cat dépas­sant la CGT. Mais elle oublie de dire que cela se fait mal­gré un recul de son influence : elle se retrouve pre­mière uni­que­ment parce que la CGT a recu­lé plus qu’elle ! Il n’y a donc pas de quoi se réjouir, sur­tout à un moment où les ordon­nances Macron vont affai­blir le syn­di­ca­lisme dans sa tota­li­té en don­nant au patro­nat la main pour les négo­cia­tions d’entreprise. Une vraie évo­lu­tion posi­tive aurait été de ren­for­cer les syn­di­cats, de don­ner aux Comi­té d’entreprises plus de droits sur­tout en matière de licenciement.

Les échéances élec­to­rales sont bien trop éloi­gnées pour arrê­ter la bou­li­mie des­truc­trice du gou­ver­ne­ment. C’est donc au tour de la démo­cra­tie sociale de reprendre la main et il est heu­reux que des syn­di­cats prennent leur res­pon­sa­bi­li­té. Le 12 sep­tembre, ils méritent d’être sou­te­nus. En espé­rant que l’unité syn­di­cale se construi­ra lors de futures échéances dan­ge­reuses pour notre modèle social.

Michel Mul­ler

 

MANIFESTATION LE 12 SEPTEMBRE A MULHOUSE

14 h PLACE DE LA BOURSE