Le ministre de l’intérieur plaide pour l’  »urgence » à agir, la nécessité  de « regarder en face » la société pour la « faire aller de l« avant », grâce à « trois objectifs majeurs »: immigration maîtrisée, intégration réussie, droit d’asile effectif.

Il reven­dique de gagner en « effi­ca­ci­té » et en « huma­ni­té; dont acte…

 La réa­li­té est évi­dem­ment à mille lieux de ce dis­cours qui frise l’im­pos­ture et les asso­cia­tions de défense des migrants se mobi­lisent, en vue notam­ment des Etats géné­raux de la migra­tion impli­quant à ce jour plus de 500 asso­cia­tions de défense des droits des migrants en France.

Par­mi toutes les assem­blées locales tenues sur tout le ter­ri­toire pour pré­pa­rer l’ex­pres­sion asso­cia­tive natio­nale de fin mai à Paris, la Mai­son de la Citoyen­ne­té à Kin­ger­sheim a vu ce 14 avril les acteurs asso­cia­tifs d’Al­sace réunis pour faire le point, éla­bo­rer des pro­po­si­tions, ren­for­cer le mou­ve­ment d’une opi­nion publique qui n’ou­blie pas, elle, les valeurs élé­men­taires, les Droits humains.

Des nom­breux ate­liers, expo­sés, exper­tises, échanges de ce 14 avril rele­vons sim­ple­ment deux points spé­ci­fiques: des pra­tiques admi­nis­tra­tives et « régle­men­taires  » cou­rantes  qui ont cours dans le 68, dénon­cées par les asso­cia­tions locales, et des moda­li­tés inac­cep­tables de prise en charge des mineurs étran­gers iso­lés, notam­ment dans le 68.…

Pour les ser­vices pré­fec­to­raux du Haut – Rhin et, sur cer­tains points pour la ville de Mul­house,  les inter­ve­nants ont évo­qué « des pra­tiques locales sélec­tives », « un bri­co­lage » des ser­vices pré­fec­to­raux com­pé­tents », « le pou­voir du gui­chet », de trop fré­quentes pré­somp­tions de « mau­vaise foi, » voire de « faux », pour toutes expli­ca­tions, docu­ments, témoi­gnages, évo­qués à l’ap­pui de la demande d’a­sile notam­ment, la durée d’at­tente des déci­sions des admi­nis­tra­tions  – sou­vent hors  délais à carac­tère légal –  des inter­pré­ta­tion « spé­cieuses  » des textes, des pièces non obli­ga­toires récla­mées, des pra­tiques « à la tête du client », la «gué­rilla admi­nis­tra­tive », des pra­tiques admi­nis­tra­tives plus que rigou­reuses appli­quées aux débou­tés du droit d’a­sile, à l’op­po­sé des pra­tiques des ser­vices du 67 notamment.

Emma­nuel reçoit une lettre!

Au-delà du pro­jet de loi en dis­cus­sion à l’as­sem­blée natio­nale, a été dénon­cée la situa­tion des mineurs étran­gers non accom­pa­gnés (« MNA ») dans notre dépar­te­ment, car le Conseil dépar­te­men­tal n’y semble pas très zélé (euphé­misme) quant aux moyens mis en œuvre pour satis­faire ses obli­ga­tions légales; les jeunes deve­nus majeurs ren­contrent dès lors de grandes dif­fi­cul­tés dont la lettre, rédi­gée à l’at­ten­tion du Pré­sident de la Répu­blique par un col­lec­tif local de citoyens et citoyennes et cosi­gnée par les asso­cia­tions pré­sentes,  donne un aperçu:

Mon­sieur le Président.

OBJET : Sco­la­ri­sa­tion au-delà de 16 ans, pour­suite de la prise en charge par l’ASE  [n.d.l.r: ser­vice d’aide à l’en­fance des dépar­te­ments] après leur majo­ri­té et (pour) obten­tion d’un titre de séjour « de droit » pour les mineurs iso­lés étrangers. 

Ils s’appellent Fodé, Issa, Tid­jane, Mama­dou Kaba, Salif, et ce sont des enfants.

Ils ont quit­té leur pays, leur famille, leurs amis et ont che­mi­né seuls pen­dant des mois.

Ils ont 15, 16,17 ans.

Ce sont des enfants et pour­tant ils portent en eux à jamais les trau­ma­tismes phy­siques et psy­cho­lo­giques pro­vo­qués par tous les dan­gers qu’ils ont dû affronter.

Salif a été rete­nu 23 jours dans une cave en Libye, atten­dant que ses parents envoient l’argent récla­mé par ses geôliers.

Fodé a failli se noyer lorsque le pas­seur l’a jeté à la mer à l’ap­proche des côtes espagnoles.

Kei­ta a vu sa petite sœur mourir.

Qu’est ce qui pousse donc ces jeunes à endu­rer toutes ces souffrances?

Tout sim­ple­ment l’es­poir d’un avenir.

Ce sont encore des enfants et ils risquent leur si courte vie pour venir vers nous, chez nous, cher­cher l’é­cole qui chez eux leur est refusée. 

Leur nombre et leur moti­va­tion consti­tuent tout le contraire de «  ces hordes d’en­va­his­seurs », ces gens qui consti­tuent «la crise migra­toire»!!! 

La Conven­tion Inter­na­tio­nale des Droits de l’En­fant de 1989 donne droit à ces enfants d’être accueillis et pro­té­gés dans notre pays.

Après avoir été pris en charge par les ser­vices dépar­te­men­taux d’Aide Sociale à l’En­fance», ils se croient sauvés. 

La Répu­blique leur assure certes le gîte, le cou­vert, les titres de trans­port, des frais de vêture, voire quel­qu’argent de poche.

Quel­que­fois même, ils accèdent à cette sco­la­ri­té tant rêvée. 

Mais le tableau a besoin d’être très for­te­ment  nuancé:

La plu­part des mineurs iso­lés étran­gers ont sou­vent 16 ans révo­lus quand ils arrivent en France, et sont de ce fait écar­tés de l’o­bli­ga­tion scolaire.

Com­mence alors pour eux une  seconde route, bien plus éprouvante.

S’ils ne sont pas affec­tés dans un éta­blis­se­ment sco­laire, ces nom­breux  jeunes passent leur jour­née dans leur chambre, sur leur lit. 

On les a mis à l’a­bri, mais dans leurs yeux ne se lisent plus que tris­tesse et désillusion.

Quand ils se livrent, ils racontent leur dés­œu­vre­ment, leur inquié­tude, leur incom­pré­hen­sion de ne pou­voir aller à l’école.

Et jour après jour, s’ap­proche le temps, le jour de leur majo­ri­té, date cou­pe­ret dont trop sou­vent per­sonne ne leur a expli­qué qu’elle signi­fiait la fin bru­tale de leur prise en charge.

Leur ennui se trans­forme alors en angoisse, insom­nie, troubles de l’a­li­men­ta­tion, idées noires.

Pour d’autres qu’eux, on par­le­rait de dépression.

L’ac­com­pa­gne­ment par de nom­breux  béné­voles dont nous sommes leur per­met, d’ac­cé­der, au tra­vers de cours de fran­çais et d’ac­ti­vi­tés de culture fran­çaise, à un mini­mum d’ins­truc­tion et de par­ti­ci­per à l’é­la­bo­ra­tion d’un pro­jet où ils peuvent confron­ter leurs rêves à la réalité.

Dans ces moments-là, nous consta­tons de leur part une moti­va­tion et un enga­ge­ment exem­plaires. Cer­tains s’in­ves­tissent à leur tour avec beau­coup de sérieux dans des acti­vi­tés béné­voles (jour­nées citoyennes, aide à la pré­pa­ra­tion du Fes­ti­val du livre Ram­dam de Wit­ten­heim, enca­dre­ment de jeunes enfants lors des «pauses solidaires»…).

Ces jeunes sont cou­ra­geux, intel­li­gents, ambi­tieux, polis, respectueux.

Ils sont une vraie chance pour la France.

La légis­la­tion actuelle sti­pule qu’à leur majo­ri­té, ils ne soient plus pris en charge par l’é­tat français

Seront-ils alors condam­nés, à par­tir du jour de leur dix-hui­tième anni­ver­saire à ali­men­ter le monde des «clan­des­tins» sans papiers?

Auront-ils un  autre choix pour sub­sis­ter que celui de tom­ber dans la pré­ca­ri­té et la délin­quance ou celui d’être la proie de tous les dangers?

Conti­nue­rons-nous encore long­temps à faire sem­blant de ne pas savoir que du jour au len­de­main ces enfants sont jetés à la rue, sans toit ni subsistance? 

Devrons-nous attendre pour nous ques­tion­ner, que des réac­tions de vio­lence, contre autrui ou contre eux ‑mêmes, soient mises au grand jour?

Cette pers­pec­tive nous révolte pro­fon­dé­ment et  motive la rai­son pour laquelle nous nous adres­sons à vous aujourd’hui.

Devant cette réa­li­té, nous nous sen­tons tou­chés dans notre digni­té de citoyens fran­çais et pro­fon­dé­ment déçus de notre pays.

La France ne s’ho­no­re­rait-elle pas, au contraire, en per­met­tant à ces jeunes de pour­suivre une sco­la­ri­té sou­vent brillante, en leur accor­dant de droit un titre de séjour pour mener à terme une for­ma­tion pro­fes­sion­nelle, et leur ouvrir un accès à l’emploi?

Nous consta­tons en outre que s’ils accé­daient à cette régu­la­ri­sa­tion, de nom­breux citoyens seraient prêts à les sou­te­nir en leur pro­po­sant accom­pa­gne­ment et même hébergement.

Ces jeunes en deve­nir pour­raient alors s’é­pa­nouir vers l’âge adulte en toute séré­ni­té, apprendre un métier qu’ils pour­raient ensuite mettre au ser­vice de leur pays en retour­nant digne­ment vers leur famille, ou à celui de la France s’ils font le choix d’y rester.

Mon­sieur le Pré­sident, nous savons bien évi­dem­ment que vous êtes conscient de cette réa­li­té. Nous nous per­met­tons néan­moins d’at­tes­ter que dès que celle-ci est mise au jour, que ces jeunes sont «visibles», la socié­té civile dans une très grande pro­por­tion se sent réel­le­ment concer­née, exprime son désir de faire preuve de soli­da­ri­té, et se met en mouvement.

Renon­cer à accueillir ces jeunes et à leur per­mettre de res­ter léga­le­ment en France, les reje­ter vers la clan­des­ti­ni­té, accré­di­te­ra auprès d’une par­tie de l’o­pi­nion publique les menaces que sont cen­sés repré­sen­ter les migrants, et ali­men­te­ra le repli sur soi, les peurs et le vote populiste.

Ce n’est pas l’a­ve­nir que nous envi­sa­geons pour notre pays.

Nous nous per­met­tons donc de vous inter­pel­ler, comme nous le fai­sons auprès des ser­vices de l’Éducation Natio­nale, des conseils dépar­te­men­taux qui gèrent l’ASE, et des pré­fets. Nous vous deman­dons de prendre les orien­ta­tions conformes aux droits de l’homme, aux droits de l’en­fant, et à l’intérêt de notre pays.

La sco­la­ri­sa­tion, la pour­suite de leur prise en charge par les ser­vices de l’ASE jus­qu’à leur auto­no­mie, (en leur accor­dant le contrat de jeune majeur) et  l’ob­ten­tion d’un titre de séjour de « droit »à leur majo­ri­té nous semble une reven­di­ca­tion juste.

Nous vous joi­gnons les témoi­gnages de ces jeunes; ils sont bien plus par­lants que de nom­breux discours.

En espé­rant que vous pren­drez notre cour­rier avec consi­dé­ra­tion, nous vous adres­sons, Mon­sieur le Pré­sident, nos res­pec­tueuses salutations.

Fodé, Salif, Tid­jane.… et tant d’autres, ne vous inquié­tez pas! 

Gérard et Emma­nuel connaissent bien ces « pro­blé­ma­tiques com­plexes, sen­sibles qu’il faut trai­ter avec beau­coup de rete­nue», comme dit Gérard.

Il faut donc sim­ple­ment mieux leur  expli­quer le sens des mots  « effi­ca­ci­té  » et « humanisme».

Mobi­li­sons pour les Etats géné­raux des Migrations

Pour contrer ce pro­jet de loi et réex­pli­quer le sens des mots, le che­min des valeurs, des Droits humains !

 

Chris­tian Rubechi