Comme chaque année depuis des mil­lé­naires, l’hi­ver arrive. Comme chaque année, le froid va mordre des mil­liers de per­sonnes en France, et va en lais­ser quelques cen­taines sur le carreau.

Et comme chaque année, les « ins­ti­tu­tions » vont être sur­prises par l’ar­ri­vée de l’hi­ver et ne vont pas savoir quoi faire, et vont se tordre les mains devant les caisses vides et devant l’é­tat du mar­ché de l’im­mo­bi­lier, qui com­porte de nom­breux loge­ments vides, certes, mais qui ne sau­raient être ouverts à des indi­vi­dus trop pauvres pour acquit­ter un loyer.

Elles sont comme ça les « ins­ti­tu­tions ». Elles vou­draient bien, mais elle peuvent point. Du moment qu’elles peuvent ren­trer chez elles à la fin de leur jour­née de bureau, car les « ins­ti­tu­tions » sont des humains comme les autres, se mettre bien au chaud et man­ger la soupe chaude en regar­dant à la télé les SDF se glis­ser dans leur duvet sur leur car­ton, les gilets jaunes brû­ler des palettes et hous­piller leurs frères de misère, et les étran­gers prendre la file de la pré­fec­ture dans le froid, les « ins­ti­tu­tions » sont contentes, elles ont fait leur devoir, il est bien nor­mal qu’elles jouissent de leurs droits.

Et puis, on s’ha­bi­tue à tout, même à la pire des vio­lences, celle qui consiste à refu­ser un toît à un être humain, tant que ça reste un spec­tacle… Pour le vivre, c’est autre chose : on ne s’ha­bi­tue JAMAIS à la vio­lence subie, et cette vio­lence-là s’ac­cu­mule quelque part, à bas bruit…

Et alors ? Et alors, en ce moment-même, pen­dant que j’é­cris bien au chaud ces quelques lignes, il y a des gens qui dorment dans la rue. En France. En 2018. Ils sont venus me voir, moi, « ins­ti­tu­tion », ce soir, pour que je les aide à trou­ver un toît, là, ce soir, avant que le froid les enve­loppe et leur offre une nou­velle nuit bien au froid, au pied de nos immeubles chauf­fés, une nuit de plus à rumi­ner leur rage de n’être dans cette sixième pays le plus riche du monde, que des intrus, des parias, des rebuts, des moins que rien…

Ils sont venus avec leur colère, leur intran­si­geance, leur impa­tience, leur mal­po­li­tesse, leur mépris aus­si devant mon impuissance…30 ans de mili­tan­tisme, de réunions, de plans sur la comète, tout ça pour caler devant un groupe de jeunes déses­pé­rés qui croyaient que quand on écrit des choses géné­reuses, on fait des actes généreux ?

Comme toute « ins­ti­tu­tion », car j’en suis une mine de rien, même si je n’ai pas de bud­get et que je béné­vole trente heures par semaine depuis 13 ans, les autres heures je les passe à l’a­bri dans ma tête, dans ma famille, dans mes loi­sirs… Comme tout le monde, quoi… Enfin, PRESQUE tout le monde…

Alors ? Alors, frères humains, soeurs humaines, à l’a­bri, vous voyez bien, vous sen­tez bien que ça ne peut plus durer. Et les éco­no­mistes auront beau vous prou­ver par A+B qu’on ne peut pas faire autre­ment : d’un côté des riches riches riches à en cre­ver et de l’autre côté tous les autres, autre­ment dit nous tous, qui nous bat­tons pour un croû­ton de pain,  une nuit dehors c’est une éter­ni­té. Et c’est une éter­ni­té qui revient toutes les nuits. Qui d’entre vous sup­por­te­rait ça sans prendre un tour­ne­vis, cas­ser une porte et ren­trer dans le monde des humains ?

Moi je vous le dis : avant de m’in­ter­ro­ger sur la gra­tui­té, le béné­vo­lat obli­ga­toire ou non, et les menus sans glu­ten à la can­tine,  je n’au­rai pas de repos tant qu’un seul être humain dor­mi­ra dans la rue à Mul­house. Je veux que Mul­house devienne un endroi civi­li­sé, où per­sonne, je dis bien : PERSONNE ! Ne soit obli­gé de dor­mir dans la rue, un endroit où nous pre­nons soin les uns des autres autre­ment qu’en paroles; Car si nous, nous avons le temps de réflé­chir au chaud et le ventre plein, elles et eux n’ont qu’une idée qui les ronge et qui les détruit, avant de nous détruire à notre tour : Je suis un être pen­sant, doué de rai­son et jouis­sant de droits consti­tu­tion­nels, et pour­tant je dors dans la rue et tout le monde s’en fout !

Alors, cama­rades que je ren­contre tous les jours pour refaire le monde d’a­près-demain, je vous demande  de me prê­ter main-forte: à nous toutes et tous, on peut, rien qu’en cla­quant dans les doigts, faire que demain plus per­sonne à Mul­house ne dorme dans la rue. 4000 loge­ments vides, y paraît, ça sert à quoi de res­sas­ser ce chiffre si per­sonne n’a le droit de tordre les lois pour qu’elles pro­tègent enfin les faibles et liment les dents des puissants ?

Il y a un col­lec­tif qui s’ap­pelle AU68 et qui se réunit exprès pour par­ler du « loge­ment d’a­bord ». Et pour « oser la soli­da­ri­té ». C’est à lui que je m’a­dresse d’a­bord, et à qui je demande d’o­ser. Oser bous­cu­ler le conseil dépar­te­men­tal, qui ne pense qu’au tra­vail gra­tuit, et à rap­pe­ler leurs devoirs à celles et ceux à qui ils dénient leurs droits. Au  pré­fet, char­gé de pro­té­ger les biens plu­tôt que les per­sonnes, enfin, celles qui n’ont pas de biens, les autres se pro­tègent bien toutes seules, aux mul­tiples couches d’é­lus d’i­ci, de là , d’en haut, d’en bas, tous vice-pré­si­dents ou délé­gués à quelque chose, qui paient sans sour­ciller, mais non sans trem­bler, les banques qui nous ont offert la crise de 2008, et qui nous prêtent à taux usu­raire le pognon qu’ils nous ont volé et que nous leur rem­bour­sons au lieu de l’u­ti­li­ser pour satis­faire les besoins de la population…

Tant de richesses, tant de bons sen­ti­ments, tant de bras levés au ciel en guise de réponse à des besoins criants, tant de bonne conscience..

Alors, voi­là. A par­tir de main­te­nant, et jus­qu’à mise à l’a­bri de TOUTES et TOUS les SDF de MULHOUSE (soyons modestes, com­men­çons petit), je ne par­ti­ci­pe­rai plus à aucune autre action, aus­si légi­time et esti­mable soit-elle. Démer­dez vous, à nous tous, nous savons tout faire.

Sau­tons de l’autre côté du gui­chet, met­tons nos neu­rones en réseau, bous­cu­lons les vaches sacrées qui ont toutes les réponses, pour­vu que ce soit « NON », « il n’y a pas de solu­tion », et « lais­sez-moi tran­quille, la soupe m’attend »

Celles et ceux à qui ce mes­sage parle, qui ont comme moi l’en­vie que ça change, ici, là, main­te­nant et pas demain ni après-demain, mani­fes­tez-vous, répon­dez à mon email pour qu’on mette en place les actions qui vont mettre à l’a­bri très vite tous les sdf de Mul­house. L’in­for­ma­tique, le télé­phone, per­mettent de s’or­ga­ni­ser très vite et faire de choses effi­caces et pérennes.

Alors à vos cla­viers. Il y a déjà des choses en route, mais seul(e)s ceux qui me répon­dront per­son­nel­le­ment sau­ront quoi. Et venez avec vos propres idées et vos propres réseaux. Sur­pre­nons-nous dans notre effi­ca­ci­té endor­mie qui ne demande qu’à se réveiller.

André BARNOIN

abarnoin@gmail.com

06 30 80 32 19