Des militants et membres du MNCP (mouvement national des chômeurs et précaires) se sont rendus en mairie de Mulhouse le mercredi 5 décembre, dans le cadre de l’opération « Territoire zéro sans abri ». André Barnoin, l’un de ses animateurs, nous a laissé le texte ci-dessous en guise de premier bilan critique.
Mon ressenti à la sortie de la rencontre avec les services sociaux de la Mairie est un déni total de la gravité de la situation leur part. Alain COUCHOT, adjoint chargé du Logement et Françoise COULOT, chef du service social, tiennent le même langage que d’habitude, c’est à dire une individualisation extrême des cas de personnes sans abri ou en situation de mal-logement. Quelqu’un qui dort dans un squat insalubre n’est pas un sans-abri, ou qui est hébergé(e) plus ou moins volontiers par la famille ou un tiers, ou qui ne sait où aller pendant la journée, ou qui dort dans sa voiture ? n’en est pas un non plus. Apparemment, pour madame COULOT, il y a trois véritables sans-abris à Mulhouse, un déséquilibré et deux jeunes qui refusent obstinément toutes les solutions qu’on leur propose.
Les autres se subdivisent entre une multitude de catégories qu’il convient de traiter séparément. Le fait que ses services doivent traiter à la chaîne des milliers de cas de personnes en attente de logement, n’est pas un signe suffisamment fort de l’état de délabrement de la société, dû à un appauvrissement accéléré des personnes dont le revenu du travail ne suffit plus à assurer de quoi trouver un logement; conséquence directe de « la baisse du coût du travail ».
Et on s’attaque maintenant au salaire différé, autrement dit les cotisations sociales, qualifiées improprement, de « charges », dont chacun réclame l’abaissement voire la suppression, y compris celles et ceux qui en bénéficient le plus. Quand cette descente aux enfers s’arrêtera-t-elle ? Quand le total du salaire plus les cotisation sociales sera égal à zéro ?
On nous parle de places d’hébergement largement suffisantes et pas toujours occupées, du programme « logement d’abord » qui ne va pas tarder à s’appliquer, La délégation que nous formions demandait simplement l’ouverture du nouveau centre d’hébergement d’urgence ce soir-même, sans attendre la baisse de la température pour y mettre toutes celles et ceux qui n’ont nulle part où aller La réponse est : « On ne peut pas ouvrir le nouveau centre, les douches ne sont pas finies d’installer » D’ailleurs, ça ne servira à rien, il y a assez de places d’ores et déjà dans les structures d’accueil existantes. qui ne sont pas complètement remplies. On se pince. Alors, pourquoi le 115 refuse-t-il du monde dès le début de la matinée ? Pourquoi renvoie-t-il les candidats vers le 115 de Strasbourg, qui lui-même renvoie son trop-plein vers Mulhouse ? On dirait que le sapeur Camembert a reçu carte blanche en Alsace pour creuser des trous qui servent à reboucher les trous précédents..;
Une chose est sûre, tous les sans-abri vous le diront, le fait que les animaux ne sont pas admis dans les structures d’accueil fait que beaucoup refusent de se séparer de leur compagnon, et préfèrent passer la nuit dehors avec lui. Et que dire de la remise à la rue dès le matin pour celles et ceux qui ont eu la « chance » de passer une nuit au chaud, avec de nouveau la galère du 115 pour espérer décrocher le pompon la nuit suivante ?
Que dire du rejet de la responsabilité sur les associations qui ne savent pas prendre en charge correctement ces situations somme toute pas si dramatiques, pour peu qu’on explique aux personnes concernées ce qu’il convient qu’elles fassent pour se sortir elle-même de la mouise ? Et si elles n’y parviennent pas, elles n’ont qu’à s’en prendre qu’à elle-mêmes ? La pédagogie comme remède au logement précaire, fallait y penser !
On reste éberlué devant tant de précision chiffrée et de considérations techniques., devant l’habituel dé-faussement de la commune sur l’État, et de l’État sur la commune, comme si l’argent nécessaire ne sortait pas des mêmes caisses..;. l’échange a été courtois, surtout grâce à la présence constante d’un policier qui assistait à l’entretien, mais tendu, et les deux jeunes anciens SDF de la délégation ont eu du mal à garder leur calme en face des affirmations tranquilles des deux responsables qu’ils trouvaient manifestement fausses et biaisées.
Ils se revoyaient eux-mêmes à la rue, exposés à toutes les violences et vexations de l’autorité publique, et ressentaient dans leur être l’abîme qui sépare les institutions chargées d’organiser leur vie et eux-mêmes en butte à l’ignorance volontaire de ces mêmes institutions de la souffrance qu’ils ressentent dans leur chair et dans leur esprit. Il y a des solutions à l’étude, certes, qui vont s’appliquer bientôt, mais pas ce soir, là, on est pris de court, vous le savez bien, ça ne fait que trois semaines que vous lancez des signaux d’alerte, on n’a pas eu le temps d’y réfléchir…
Manifestement,
et je le dis tranquillement, les services sociaux de la Mairie, comme
d’ailleurs tous les services publics en charge de ces questions de
précarité sociale„ n’ont pas pris la mesure du malaise et de
l’exaspération qui se font jour dans la société tout entière, et il ne
suffira pas de continuer à jouer avec les mots et les concepts pour
retarder encore longtemps l’explosion qui menace dans tout le pays, et
particulièrement chez celles et ceux qui souffrent de toutes les formes
de mal-logement. il ne suffit pas de considérer que quelqu’un qui a
passé une nuit dans un centre d’hébergement n’est pas un sans-abri,
puisqu’il a été abrité temporairement, pour que la colère s’éteigne et
que celles et ceux « qui ne sont rien » rentrent dans le rang..
Pour
ma part, chacun le sait, j’ai été élevé dans le respect des personnes
et des institutions qui selon moi sont nécessaires à l’existence d’une
société civilisée, autrement dit je ne suis pas un anarchiste, loin s’en
faut. Mais encore faut-il que les institutions, et donc les personnes
qui ont en charge de les faire vivre, ne se moquent pas du monde à ce
point.
On ne peut pas vanter les mérites de
l’efficacité en toutes choses, et laisser empirer pendant des années la
situation sociale de tant de gens qui produisent de la richesse, et n’en
voient jamais la couleur; qui perdent leur travail pour cause
d’opportunité boursière, et sont sommés de se remettre au boulot et vite
avec des conditions de travail dégradées; qui sont menacés d’expulsion
pour hausse de loyer et baisse de salaire, mais restez cool, les gars, y
a un plan « logement d’abord » qui est en route…
Sans
compter la rénovation boboïsante du DROUOT qui va régler le problème
des mal-logés en leur faisant voir du pays dans des logements dégradés
d’autres quartiers,. Vous avez aimé les taudis du Drouot ? Vous adorerez
ceux de la ZUP en attendant leur gentrification ! Et ne parlons pas de
la vente par appartements de l’ancienne maternité du Hasenrein ! Des
logements sociaux ou pire un centre d’accueil d’urgence au pied du
Rebberg ? Vous n’y pensez pas j’espère !
Apparemment,
dans les bureaux de la Mairie, on ne craint ni l’intensification du
travail, ni le risque de mise à la rue pour perte de salaire ( la baisse
du coût du travail ne semble pas avoir atteint certains services
publics chargés de faire tenir le reste de la population tranquille)
J’en parle d’autant plus à l’aise, que j’ai été fonctionnaire pendant 24
ans, et que je sais ce que c’est que la sécurité de l’emploi et des
conditions de travail…
Alors, disons-le tout
net, heureusement, il y a les gilets jaunes… Vous avez cru que le feu
allait s’éteindre tout seul ? Caramba, encore raté ! Grâce à votre petit
numéro d’évitement des cornes en furie, j’ai soudain compris que la
solution des problèmes qui sont posés à la partie la plus fragile de la
population n’est pas de votre ressort. Votre rôle est de les faire
patienter jusqu’à la limite du possible, et là, vous réussissez fort
bien, l’efficacité est au rendez-vous, bravo, vous avez bien mérité
votre prime de Noël !
Et moi, vous m’avez rapproché un peu plus de la désobéissance civique.
Je
sens que ce n’est pas le moment de demander une subvention à la mairie,
au département, à la région ni à l’Europe; je vais essayer sur Mars,
ils ne sont peut-être pas encore au courant ?
Plus de 150 places ouvertes depuis un mois. Pas suffisant peut être mais il ne faut pas dire que rien n’est fait…