Ce texte est paru ori­gi­nel­le­ment sur le site de Thur Eco­lo­gie Transports 

Les élec­tions euro­péennes n’ont pas seule­ment été mar­quées par le suc­cès des natio­na­listes et de leur pen­chant fas­ci­sant, mais aus­si par celui des can­di­dats éco­lo­gistes. La rai­son en est fort simple : les volon­tés poli­tiques des classes diri­geantes sont à mille lieux de la tran­si­tion éco­lo­gique. Cette réa­li­té est le résul­tat de l’ensemble des ins­tances ter­ri­to­riales (com­mune, région, Etat…), comme l’implantation de Cycla­men : socié­té de recy­clage de métaux non fer­reux, à 20–30 mètres des pre­mières mai­sons d’habitation à Mal­mers­pach (voir nos pré­cé­dents articles). Les annonces faites par Fran­çois Tac­quard, le pré­sident de la Com­mu­nau­tés des com­munes de St Ama­rin, pro­prié­taire de la zone indus­trielle, ain­si que de celles d’Adrien Ante­nen le PDG, ont don­né à pen­ser que la ques­tion d’autorisation de la DREAL et de la pré­fec­ture n’é­tait qu’une simple for­ma­li­té, et que l’usine ouvri­rait bien début juillet. D’ailleurs, diverses machines avaient déjà élu domi­cile et les avan­cées du chan­tier allaient bon train.

En paral­lèle, les oppo­sants (rive­rains et asso­cia­tions) ne seront pas res­tés les bras bal­lants : mani­fes­ta­tions, réunion publique, recherches sur le « pédi­grée » du PDG Mr Antenen.

Fâcheux anté­cé­dents

Révé­la­tions : CITRON, une indus­trie de recy­clage ins­tal­lée près du Havre (76), a mis les clefs sous la porte en 2010,  avec une mise au chô­mage de tout le personnel.

A. Ante­nen, pour le compte d’actionnaires suisses au sein de Citron, est deve­nu PDG de cette socié­té de recy­clage qu’il a fon­dée en 1997. En 2007, suite à une OPA, il est viré… S’en sui­vra de graves évè­ne­ments : incen­die dû aux condi­tions de sécu­ri­té sca­breuses, recy­clage de déchets non pré­vu ini­tia­le­ment, condi­tions de tra­vail cri­mi­nelles (sécu­ri­té, acci­dents de tra­vail, pro­duc­ti­vi­té accrue, plaintes aux Prud’hommes, etc.) Suite à ces manœuvre, du 22 au 24 mai der­nier s’est tenu au Havre un pro­cès en Appel où com­pa­raissent trois ex diri­geants de Citron. En pre­mière ins­tance, l’Ex PDG et l’ancien direc­teur d’exploitation furent condam­nés à trois et deux ans de pri­son ferme. D’où l’Appel, la confir­ma­tion des peines pou­vant être requis, le déli­bé­ré sera ren­du le 16 sep­tembre prochain. 

Si Ante­nen n’a pas été direc­te­ment concer­né par ce scé­na­rio catas­trophe, il a cepen­dant été res­pon­sable, du mode, des moyens et de l’organisation de la pro­duc­tion, ain­si que des nom­breuses plaintes de sala­riés, anté­rieu­re­ment à son éviction.

En 2008, pour le compte d’une socié­té concur­rente suisse de Citron (Immarck), A. Ante­nen ins­tal­le­ra IMMARCK France à Beau­caire (30). Avec le pro­jet de recy­cler les DEEE (1). Suite au licen­cie­ment du direc­teur géné­ral de l’entreprise en 2012 (alors qu’Antenen est action­naire), plus de 80 sala­rié-es (la qua­si tota­li­té) feront grève pour la réin­tro­duc­tion de leur DG.

Deux ans plus tard, Immarck France sera en liqui­da­tion judi­ciaire, et ren­voi donc tous et toutes chez Pôle Emploi.

Pour Immarck comme et pour Citron, la tac­tique patro­nale est la même, l’apports de sub­ven­tions publiques pour le démar­rage des usines et des emplois créés, des béné­fices pour les action­naires, et une seconde contri­bu­tion à la charge du contri­buable pour la dépol­lu­tion des sites.

Consomme, tais-toi et meurt

Une par­tie du pas­sé indus­triel du PDG de Cycla­men a été divul­guées une pre­mière fois le 13 mai  lors de la réunion publique orga­ni­sée par les oppo­sants (les rive­rains, Alsace Nature (AN) et Thur Eco­lo­gie & Trans­ports TET)), au constat que les ins­tances locales n’avait pas trop à cœur d’informer la popu­la­tion du pro­jet. Près de 200 per­sonnes furent pré­sentes, toutes en oppo­si­tion avec l’installation d’un tel centre de pro­duc­tion, alors que le maire de la com­mune et le pré­sident de la Com­com décli­nèrent l’invitation…

Lors de cette réunion publique le « feuille­ton » Citron fut dévoi­lé par TET infor­mée par Eco­lo­gie Pour Le Havre (EPLH), l’association qui a dénon­cé en son temps le scan­dale envi­ron­ne­men­tal et social en Seine Mari­time pro­vo­qué par Citron.

Ici, les rive­rains orga­ni­sèrent un sit-in sur le rond point proche de Mal­mers­pach le same­di sui­vant, avec une dis­tri­bu­tion de cen­taines de tracts afin d’informer les auto­mo­bi­listes de l’indigne trame et du rôle joué par Tac­quard dans ce dossier.

Enfin, face à une mobi­li­sa­tion qui s’est inten­si­fiée jour après jour (notam­ment avec un pique nique au rond point le same­di sui­vant), le pré­sident Tac­quard déci­da enfin de la tenue d’une réunion publique, pré­pa­rée avec les acteurs du pro­jet, pour le 3 juin, à 3 jours de la fin de la consul­ta­tion publique pré­vue pour le 6 juin. L’opacité des der­niers mois sur le pro­jet Cycla­men coïn­cide avec l’insistance de ne pas vou­loir don­ner du grain à moudre à la popu­la­tion au risque (bien fon­dé) du rejet mas­sif d’une telle implan­ta­tion, si ce n’est à la veille de la clô­ture de la dite consul­ta­tion et donc à une fin de non recevoir…

Ce soir là, à la tri­bune, une dizaine d’intervenants : les élus concer­nés, le PDG, des ingé­nieurs et « experts » en recy­clage… Dans la salle, près de 400 per­sonnes, les rive­rains, des élus des com­munes limi­trophes, AN et TET. Qui ne pour­ront s’exprimer que 30 mn ; ceux-ci les dépas­se­ront à trois reprises. A quelques excep­tions près pos­sible, tous & toutes affirment êtres contre l’implantation de Cycla­men. A la tri­bune, c’est le désarroi !

Sous la direc­tion de Tac­quard, les argu­ments tech­niques, envi­ron­ne­men­taux et sociaux (avec sup­port vidéo) des por­teurs du pro­jet sont élo­gieux, tour à tour, PDG, ingé­nieurs, élus… ten­te­ront en vain de char­mer un public, qui rejet­te­ra avec rai­son leurs expo­sés. S’exprimant dans un vocable roma­nesque, les res­pon­sables de l’entreprise sont sidé­rés par un public « qui ne veut rien com­prendre pour un pro­jet nova­teur, pro­to­type et high tech. » Jus­te­ment, clame l’assistance ; « …à 20 mètres des pre­mières mai­sons d’habitation…». Pour le pré­sident Tac­quard, le public est anti démo­cra­tique, puisque celui-ci cri­tique ver­te­ment – façon un peu  gilets jaunes – tour à tour toute la tri­bune. Car l’opposition est bien ren­sei­gnée et ins­truite des anté­cé­dents et donc per­plexe pour le pro­jet actuel : infor­mée de l’extrême fai­blesse tech­no­lo­gique de l’industrie de recy­clage pour ce type de maté­riaux, et de fait des nui­sances consé­quentes et des dan­gers pour les rive­rains. Rap­pe­lons qu’il s’agissait de recy­cler des métaux non fer­reux pro­ve­nant des centres d’incinération, de minus­cules mâche­fers, der­nière étape avant le déchet ultime. Et qu’un site indus­triel éloi­gné de zones habi­tées ferait très bien l’affaire.

La région Grand Est cher­chait pour l’industriel un site, la friche indus­trielle dans la val­lée de la Thur semble faire l’affaire pour le pré­sident de la Com­com, d’autres entre­prises – sans risque majeur de pol­lu­tion – s’y sont ins­tal­lées sans que les habi­tant-es proches n’aient à s’en plaindre. Hors, contre vents et marées, Tac­quart défen­dra le pro­jet jusqu’au bout, s’au­to-per­sua­dant qu’il n’y aura aucune pol­lu­tion et aucune nui­sance. Pour­tant, il était pré­vu au mini­mum un bruit de 45 déci­bels que devraient éprou­ver les rive­rains de jour comme de nuit. Agréable pour les habi­tants de cer­taines habi­ta­tions situées à moins de 30 m du site indus­triel ! D’ailleurs, le PDG avait ini­tia­le­ment pré­ci­sé que Cycla­men devrait être ins­tal­lée au mini­mum à 200 mètres des pre­mières habi­ta­tions (sic). Ajou­tons que la matière à recy­cler pro­vien­drait de Suisse, pays où cette indus­trie ne fait pas des émules publiques, alors qu’en France pour­quoi fau­drait-il en tenir compte !Tou­te­fois, il est envi­sa­gé de cher­cher les pro­duits d’in­ci­né­ra­tion sur le Grand Est…

 La lutte paye !

Suite à cette réunion publique, les rive­rains en colère, équi­pés d’une péti­tion, déci­dèrent de tenir quo­ti­dien­ne­ment un sit in devant les bureaux de la Com­mu­nau­té des com­munes. Et alors que la mobi­li­sa­tion ne fai­blit pas, ceux-ci apprennent que A. Ante­nen  a pris la déci­sion le 11 juin de cher­cher un autre site : « C’était un pro­jet que je vou­lais emme­ner à matu­ri­té. J’ai com­men­cé à appré­cier les acteurs de la val­lée (…) C’est avec beau­coup de tris­tesse qu’on aban­donne le pro­jet d’implantation à Mal­mers­pach. Si nous arrê­tons c’est pure­ment et uni­que­ment à cause des rive­rains. » (2)Cette déci­sion est une consé­quence de la soi­rée publique du 3 juin : face aux révé­la­tions, face au tol­lé de tout le public, face au doute quant aux risques de nui­sance tech­ni­que­ment expli­ci­tés… Et alors que Tac­quard n’avait connais­sance – de sa propre bouche – du conte­nu du pro­jet que depuis une dizaine de jours (re-sic). Enfin, face à une déter­mi­na­tion des oppo­sants qui non seule­ment ne s’affaisse pas, mais au contraire prend de l’ampleur dans la val­lée et alors qu’enfin les médias régio­naux s’intéressent au sujet, la légi­ti­mi­té pour une dite indus­trie propre s’écornera jour après jour.

Sans crier victoire

Cette épi­sode aura mar­qué les esprits. TET et Fran­çois Tac­quard se connaissent bien, ils ont par le pas­sé œuvré en com­mun sur des sujets envi­ron­ne­men­taux… Est-ce une rai­son pour lais­ser faire ?! Le refus de l’implantation de Cycla­men empor­te­ra dans la colère le pré­sident Tac­quard jusqu’à l’intolérance. Idem pour Ante­nen, qui affir­me­ra tout et son contraire quant à quel type et quels moyens de pro­duc­tion, de mon­tant du pro­jet, du nombre de créa­tions d’emplois…

Ajou­tons à cela, les juge­ments de valeur et de favo­ri­tisme de la presse locale et régio­nale (3) appe­lant impli­ci­te­ment à la négo­cia­tion et à l’apaisement – visant de fait les asso­cia­tions de sou­tien et les rive­rains,  soit-disant intran­si­geants… Ces der­niers répon­dront par un com­mu­ni­qué de presse (voir ci-des­sous). En effet, la ques­tion n’est pas celle de la légi­ti­mi­té d’un jus­qu’au bou­tisme. C’est celle du refus caté­go­rique d’une implan­ta­tion d’un tel centre de pro­duc­tion à proxi­mi­té d’ha­bi­ta­tions : ce n’est pas à négocier !

Et quoi, la popu­la­tion de Mal­mers­pach devrait-elle culpabiliser ?!

L’opacité, les bobards, les insul­tants reproches (notam­ment dans un média), tout est ten­té pour divi­ser et dégou­ter les oppo­sants, en revanche ceux-ci vont conti­nuer à en apprendre, exemple : le mon­tant d’une aide à l’in­ves­tis­se­ment allouée par la région Grand Est en juillet 2018 – aucun élu, aucune auto­ri­té admi­nis­tra­tive n’a osé en par­ler publi­que­ment – est de 384 254 euros.

Le suc­cès des oppo­sants est une vic­toire en demi teinte : réus­sir à ren­voyer sous d’autres cieux le PDG et son pro­jet se confir­me­ra dans les jours à venir : d’une part des tra­vaux sont tou­jours en cours, de plus les élus semblent pris de com­pas­sion pour le PDG ; la région lui aurait pro­mis un autre point de chute, l’affaire n’est donc pas encore à son terme. Il importe de connaître le futur site.

Se pose enfin la ques­tion du recy­clage dans sa glo­ba­li­té. La socié­té doit bien à un moment don­né – et on y est à ce moment – prendre en compte que toute consom­ma­tion de matière doit être recy­clée : du jar­din et de son com­poste (bio­dé­gra­dable), du papier (ce qu’on sait a peu près faire), du plas­tique (pas encore au point), et mille maté­riaux non bio­dé­gra­dables où notre socié­té est en inca­pa­ci­té à recy­cler cor­rec­te­ment et dans des condi­tions envi­ron­ne­men­tales saines, au risque de devoir recy­cler et net­toyer en cas­cade… Pour moins recy­cler, une autre solu­tion : moins consommer… !

(1) Déchets d’équipement élec­triques et électroniques.

(2) Le quo­ti­dien L’Alsace du 12 juin.

(3) Si la par­tia­li­té des DNA, de l’Alsace et de France 3 n’est pas une grande sur­prise, en offrant plus de cré­di­bi­li­té et de lisi­bi­li­té aux argu­ties de ceux qui étaient favo­rables à l’im­plan­ta­tion à Mal­mers­pach elle bles­se­ra néan­moins les opposants.