Quand « Doc­tor Who » remonte le temps à l’hô­pi­tal de Mul­house

Le dra­ma­turge anglais Hen­ry Fiel­ding sou­te­nait que: “Chaque méde­cin a sa mala­die favo­rite.” Est-ce pareille­ment le cas du bon doc­teur Rott­ner qui connait pré­sen­te­ment une sorte de rechute pro­fes­sion­nelle pour tiraille­ment de conscience ? 

Nous appre­nions en effet cette semaine que Jean Rott­ner, ex-maire et pre­mier adjoint de Mul­house, éga­le­ment pré­sident de la Région Grand-Est, et ancien pré­sident du Conseil de sur­veillance du Grou­pe­ment hos­pi­ta­lier du Rhin Mul­house sud-Alsace (GHRMSA) en ver­tu de sa fonc­tion d’é­dile, ren­file sa blouse de méde­cin urgen­tiste, et réin­té­gre­ra le ser­vice d’accueil des urgences (SAU) du site Émile Mul­ler, à par­tir du mois d’oc­tobre 2019. 

Mais un temps seule­ment. Le temps de « sus­ci­ter un effet d’en­trai­ne­ment » sur sa per­sonne, puis de repar­tir la conscience savon­née de tout scru­pule, voire de tout cynisme élec­to­ra­liste à quelques mois des élec­tions muni­ci­pales, vers sa des­ti­née de Hérault super régio­nal, ou peut-être mieux encore ?

Renouant ain­si avec son ancienne pro­fes­sion au sein du même ser­vice, où il était (déjà) le chef. Ce fut avant de par­tir étreindre le corps poli­tique mul­hou­sien, et de ten­ter déses­pé­ré­ment sa réani­ma­tion par diverses manœuvres, pas tou­jours des plus recom­man­dables démocratiquement. 

Son come-back s’ins­crit tou­te­fois dans un contexte à peine ima­gi­nable s’a­gis­sant des urgences du grand hôpi­tal public mul­hou­sien: l’au­to­ri­té régio­nale de san­té (ARS) songe en effet sérieu­se­ment à fer­mer le ser­vice, au moins un temps, étant don­né la fuite mas­sive des effec­tifs en son sein, réduit à bien­tôt 7 ETP (équi­valent temps plein) au lieu des 22 pré­vus en fonc­tion­ne­ment ordinaire. 

L’annonce du retour de l’an­cien chef de ser­vice aura donc sur­pris autant que décon­te­nan­cé sur le site mul­hou­sien, et bien ailleurs, au point de pro­vo­quer quelques larmes, dûment rap­por­tées par L’Al­sace, d’une frac­tion du per­son­nel suf­fi­sam­ment à bout pour croire en l’ef­fet miri­fique du doc­teur pro­vi­dence. Pré­ci­sons que l’homme fut un mana­ger appré­cié, dans une situa­tion il est vrai bien moins cri­tique pour le site, entre 1997 et 2009, période de son exer­cice pro­fes­sion­nel, ce qui peut aisé­ment expli­quer les quelques effu­sions recensées. 

Pour­tant, quand bien même les 8 der­niers méde­cins res­tés en poste, s’efforcent chaque jour de sol­li­ci­ter l’aide de leurs confrères hos­pi­ta­liers et libé­raux, il est à craindre que cela ne suf­fise pas. Et ce n’est pas en appe­lant des méde­cins retrai­tés à la res­cousse, ou en mobi­li­sant ceux de la réserve sani­taire, que l’on pour­ra s’at­ta­quer aux pro­blèmes de fond. 

Le fait est qu’une conjonc­tion de fac­teurs socioé­co­no­miques est à l’oeuvre, qui rend pos­sible une situa­tion sani­taire dra­ma­tique, et sans pré­cé­dent, dans une agglo­mé­ra­tion de la taille de Mul­house. Voyons quelques pistes pour ten­ter de contex­tua­li­ser, sinon de com­prendre, com­ment on en est arri­vé là. 

Nume­rus Clau­sus Super Delirium

Ins­tau­ré en 1971, le Nume­rus Clau­sus est fixé par le Gou­ver­ne­ment en fonc­tion des régions et selon l’é­tat de pénu­rie ter­ri­to­riale de méde­cins. Mais aus­si, et peut-être sur­tout, en fonc­tion des plans d’é­co­no­mies bud­gé­taires impo­sés conti­nu­ment à la Sécu­ri­té Sociale ces trente der­nières années. 

Aujourd’hui, beau­coup par­mi ces pro­fes­sion­nels de san­té choi­sissent de s’ins­tal­ler dans de grandes villes, à Paris ou vers les lit­to­raux. Le nombre de méde­cins a beau être net­te­ment insuf­fi­sant sur l’en­semble du ter­ri­toire, il est dou­blé d’une situa­tion aggra­vante en matière de maillage géo­gra­phique, qui se tra­duit par un excès (très rela­tif) de méde­cins dans les zones urbaines den­si­fiées, pen­dant que le manque per­dure dan­ge­reu­se­ment en pro­vince, et notam­ment dans les campagnes. 

La gra­vi­té de la situa­tion démo­gra­phique se résu­mé à la consé­quence directe de cette seule équa­tion: sur les 3000 à 5000 départs à la retraite annuels fran­çais, ne s’ins­tallent que 400 jeunes méde­cins généralistes… 

Par ailleurs, la logique ter­ri­to­riale à l’o­ri­gine du cal­cul pros­pec­tif du Nume­rus Clau­sus est contour­née sans aucune dif­fi­cul­té par les pre­miers concer­nés, puisque les méde­cins sont par­fai­te­ment libres de leur installation. 

Aujourd’­hui, le dis­po­si­tif est remis en cause et iden­ti­fié par les pou­voirs publics comme l’une des causes de la pénu­rie de méde­cins. De sorte que le quo­ta d’admission en deuxième année, aux termes de l’an­née com­mune de méde­cine, phar­ma­cie, den­taire et maïeu­tique (PACES) a été aug­men­té d’un volume de 10% en 2019, et sera défi­ni­ti­ve­ment enter­ré en 2020. 

Cepen­dant, rien n’est sen­si­ble­ment amé­lio­ré pour autant. Bien sûr des cohortes plus nom­breuses de méde­cins arri­ve­ront dans les cabi­nets, d’i­ci une dizaine d’an­nées au mieux, mais par-des­sus tout, la cor­po­ra­tion compte veiller sèche­ment à main­te­nir l’i­ner­tie du système.

Pas ques­tion en effet de per­mettre l’ac­cès à la for­ma­tion pour un nombre signi­fi­ca­ti­ve­ment plus consé­quent d’étudiant(e)s. « La sélec­tion pour les étu­diants en méde­cine per­du­re­ra », pré­vient par avance Michael Pey­ro­maure, chef du ser­vice uro­lo­gie de l’hô­pi­tal Cochin à Paris. Offi­cie­lelment parce que les struc­tures uni­ver­si­taires ne sau­raient en accueillir davan­tage. Et com­ment fai­sait-on avant le gou­let d’é­tran­gle­ment de fin de pre­mière année ? 

Dif­fi­cile de ne pas y voir plu­tôt la consé­quence d’un autre « effet d’en­trai­ne­ment », mais fan­tas­ma­tique, celui-là, qui tend à lais­ser croire que le Nume­rus Clau­sus est gage de qua­li­té ou de sérieux de la for­ma­tion, et que sa dis­pa­ri­tion enga­ge­rait à lui seul une forme de dépré­cia­tion du diplôme ! 

Un choix impli­cite de ser­vir plu­tôt les hôpi­taux situés en zones admi­nis­tra­tives pré­fec­to­rales d’importance 

C’est une conclu­sion empi­rique, et dif­fi­cile à véri­fier dans le détail, à laquelle nous sommes pru­dem­ment par­ve­nus par repé­rage des villes dont les ser­vices hos­pi­ta­liers sont en grève depuis plu­sieurs mois (envi­ron 520 à un moment ou un autre dans l’hô­pi­tal public, d’où la dif­fi­cul­té). Si l’on sélec­tionne les plus actifs: Lens, Ver­dun, Aul­nay-sous-Bois, Sis­te­ron, Gué­ret, Pithi­viers, Le Creu­sot, Cahors, Pois­sy, Castres, Deca­ze­ville, Poi­tiers, et en Alsace: Mul­house et Séles­tat, on n’y trouve, à l’ex­cep­tion de Poi­tiers et Cahors (qui sont de petites pré­fec­tures), que des sous-pré­fec­tures ou de petites villes. 

On rétor­que­ra bien sûr que de grandes villes, comme Stras­bourg, connaissent éga­le­ment des pous­sées de fièvres dans le fonc­tion­ne­ment de leurs ser­vices d’ur­gences. Cela est vrai, mais le mou­ve­ment de grève y reste ponc­tuel et cir­cons­crit, car les pro­blèmes sont moins pré­gnants, et ne menacent pas l’exis­tence des ser­vices eux-même. Rien à voir, pour notre exemple local, avec la détresse actuelle que connait le ser­vice d’ac­cueil d’ur­gence de Mul­house, et les consé­quences impen­sables en matière de san­té publique que sa fer­me­ture pour­rait avoir sur la population. 

Il y a là quelques élé­ments réunis pour sup­pu­ter que la logique d’a­tro­phie bud­gé­taire menée par les agences régio­nales de san­té, assu­jet­ties au minis­tère de la San­té reste tou­jours de vigueur, quoique de façon dif­fé­ren­ciée. Prio­ri­sant (à défaut de pri­vi­lé­gier) ain­si les grandes usines à soins, situées dans les grands centres urbains, plu­tôt que les hôpi­taux de ville moyenne ou de proxi­mi­té. Comme en témoigne d’ailleurs le com­bat de la coor­di­na­tion défense san­té, qui lutte natio­na­le­ment pour l’hô­pi­tal et la mater­ni­té publics de proxi­mi­té, depuis son siège de Lure, dont l’hô­pi­tal est mena­cé de fer­me­ture, à l’ins­tar de ceux de Thann et Altkirch. 

Évi­dem­ment, dans le cas d’espèce du Haut-Rhin, la situa­tion est d’au­tant plus aber­rante que la démo­gra­phie médi­cale dément la pri­mau­té admi­nis­tra­tive. De sorte que la capi­tale admi­nis­tra­tive qu’est Col­mar, est pro­por­tion­nel­le­ment mieux dotée en moyens maté­riels et humains que le centre hos­pi­ta­lier de Mul­house, alors que la pre­mière compte 60 000 habi­tants intra-muros pour un bas­sin de popu­la­tion de 200 000 per­sonnes envi­ron, et que la seconde en com­porte le double, pour un bas­sin de popu­la­tion comp­tant 450 000 habi­tants, en y addi­tion­nant le sud du département. 

C’est dire com­bien l’en­jeu sani­taire, et même poli­tique, est consi­dé­rable au regard de la situa­tion mulhousienne. 

Un sec­teur pri­vé souple et réac­tif, mais opaque, qui coute et revient en fait bien plus cher à la Sécu et aux patients !

La même « coor­di­na­tion défense san­té », dont nous par­lions plus haut, publiait il y a quelque semaines un bul­le­tin élec­tro­nique, dans lequel l’é­di­to­rial expli­ci­tait ceci: 

Dans un réfé­ré paru fin juin, la Cour des comptes sou­ligne l’o­pa­ci­té finan­cière des cli­niques pri­vées, les choix faits pour pri­vi­lé­gier les actes ren­tables, la par­ti­ci­pa­tion finan­cière deman­dée aux patients (dépas­se­ment d’ho­no­raires, fac­tu­ra­tion des chambres indi­vi­duelles), l’ab­sence de contrôle par les ARS… Elle indique que « En revanche, la situa­tion des méde­cins en cli­nique est glo­ba­le­ment de plus en plus favo­rable. » La ministre n’a pas dai­gné répondre à la Cour des Comptes dans les deux mois avant publi­ca­tion de ce réfé­ré comme la loi l’y auto­rise. Les lais­se­ra-t-on encore long­temps assé­cher l’hôpital public, pri­vant de l’accès aux soins de nom­breuses populations ?

La coor­di­na­tion fait ici réfé­rence aux conclu­sions de la Cour des Comptes, qui, dans un rap­port remis à la ministre de la San­té Agnès Buzyn le 26 mars 2019, appelle à «ren­for­cer les outils de régu­la­tion des cli­niques pri­vées dont dis­posent les agences régio­nales de san­té (ARS)», car le sui­vi actuel par l’ARS est super­fi­ciel et «se limite aux auto­ri­sa­tions d’ac­ti­vi­té et d’é­qui­pe­ments lourds». Il ignore «la mise en oeuvre des contrats plu­ri­an­nuels d’ob­jec­tifs et de moyens (…) en lien avec les recom­man­da­tions issues de la cer­ti­fi­ca­tion par la Haute Auto­ri­té de San­té (HAS)».

En somme, la Cour des comptes vou­drait voir l’ac­ti­vi­té des cli­niques pri­vées mieux régu­lée. Ce que ne fait pas l’ARS. Elle sou­haite contrô­ler les hono­raires per­çus par les méde­cins, dans un sec­teur dont la pro­fi­ta­bi­li­té est dif­fi­cile à mesu­rer, en rai­son de cir­cuits finan­ciers jugés opaques. «Or, la trans­pa­rence de ces rela­tions est néces­saire à la bonne com­pré­hen­sion du sec­teur par le régu­la­teur et à la bonne infor­ma­tion de l’as­su­rance-mala­die», qui «finance indi­rec­te­ment» ces éta­blis­se­ments, rap­pelle-t-elle. C’est la pre­mière enquête effec­tuée par la magis­tra­ture finan­cière depuis la loi de 2016, qui lui confiait cette nou­velle mission. 

Enfin, la Cour rap­pelle que les dépas­se­ments d’ho­no­raires pra­ti­qués qua­si-sys­té­ma­ti­que­ment par les méde­cins ser­vant en cli­nique «ont net­te­ment aug­men­té, plus vite que les hono­raires eux-mêmes», variant de 765 mil­lions d’eu­ros en 2012 à plus d’un mil­liard en 2017, soit une pro­gres­sion supé­rieure à 31% ! 

Bref, si les ges­tion­naires du sec­teur médi­cal pri­vé pré­tendent cou­ter rela­ti­ve­ment moins cher par acte médi­cal, par rap­port au ser­vice public, c’est oublier d’a­bord que les cli­niques choi­sissent les spé­cia­li­tés médi­cales qu’elles pro­meuvent, parce qu’elles leur sont pro­fi­tables, et que par ailleurs cela s’o­père dans le cadre de dépas­se­ments d’ho­no­raires pra­ti­qués par les méde­cins qui y exercent en libé­ral, payés par les seuls patient sur leurs deniers personnels. 

Comble de l’es­prit de lucre à colo­ra­tion médi­cale, une enquête de la Direc­tion Géné­rale de la concur­rence, de la consom­ma­tion et de la répres­sion des fraudes (DGCCRF) opé­rée en 2018 auprès de 209 cli­niques pri­vées (sur un mil­lier d’é­ta­blis­se­ment fran­çais), révèle que 50% d’entre elles pra­tiquent des tari­fi­ca­tions abu­sives !

Les per­ver­sions du finan­ce­ment à l’acte 

La tari­fi­ca­tion à l’acte (ou T2A), est entrée en vigueur depuis plus de dix ans dans les hôpi­taux publics fran­çais. Elle est cal­quée sur le mode de finan­ce­ment des cli­niques pri­vées. Aupa­ra­vant, les hôpi­taux rece­vaient une dota­tion glo­bale, quel que fut leur « ren­de­ment » médi­cal. Mais ce sys­tème n’en­cou­ra­geait pas la per­for­mance. Quoi de plus anor­mal de nos jours ? 

Avec la tari­fi­ca­tion à l’acte, chaque pres­ta­tion médi­cale donne droit à une dota­tion consé­quente pour l’hô­pi­tal. Donc, plus il y a d’actes, plus la dota­tion est éle­vée. Cela encou­rage-t-il le bien-être des patients et des soi­gnants ? Certes non. Mais cela entre­tient l’es­prit de per­for­mance pour la per­for­mance, comme dans le pri­vée, car tout doit tendre néces­sai­re­ment vers ce modèle. 

Un mal-être des patients aux prises avec une exi­gence insou­te­nable de per­for­mance pour le per­son­nel médi­cal. Ne serait-ce pas un résu­mé de l’é­tat actuel des urgences de Mulhouse ?

C’est que les effets per­vers de la tari­fi­ca­tion à l’acte se font aujourd’hui dure­ment res­sen­tir: mul­ti­pli­ca­tion des actes inutiles, non prise en compte de la qua­li­té des soins impos­sible à quan­ti­fier par nature, sur­va­lo­ri­sa­tion des actes dits tech­niques. Trop d’actes qu’il faut finan­cer pour un ser­vice public qu’il faut, semble-t-il, dégra­der. Les dota­tions ont donc été revues à la baisse. Aujourd’­hui le gou­ver­ne­ment sou­haite pla­fon­ner la tari­fi­ca­tion à l’acte à 50% dans les hôpi­taux et trou­ver d’autres modèles de tarification… 

Il y a là aus­si urgence: le minis­tère de la San­té veut en finir avec les opé­ra­tions inutiles et les actes super­flus, que recon­naissent pra­ti­quer 9 méde­cins sur 10 (88%), via un son­dage Odoxa com­man­dé par la Fédé­ra­tion hos­pi­ta­lière de France, qui repré­sente les hôpi­taux publics. L’en­jeu pour les finances publiques est consi­dé­rable: il s’a­git rien moins que d’é­co­no­mi­ser 50 mil­liards d’euros ! 

Mais à quel prix ? Car les limites et la gabe­gie induites par la tari­fi­ca­tion à l’acte tra­duisent sur­tout l’in­co­hé­rence glo­bale à pen­ser le deve­nir d’un ser­vice public matri­ciel, consti­tué par les ser­vices de san­té publique, par une logique d’en­tre­prise, et a for­tio­ri dans une visée ges­tion­naire. Com­bien de morts fau­dra-t-il décou­vrir aux urgences avant de l’admettre ? 

La pers­pec­tive d’un tou­risme sani­taire trans­fron­ta­lier avec la Suisse

Ce n’est cer­tai­ne­ment pas le plus connu, ni le plus essen­tiel des fléaux sur lequel il urge de se pen­cher, mais il recèle une forme d’hy­po­cri­sie et de lâche­té qui pour­rait avoir des effets délé­tères en matière de finan­ce­ment et d’in­ves­tis­se­ment pour les ser­vices publics de san­té au niveau local et régional. 

A ce titre, l’ac­tion du CDTF (comi­té de défense des tra­vailleurs fron­ta­liers), situé à Saint-Louis, fait dans le très fort de café indi­geste. Car pour ten­ter de com­pa­tir en appa­rence à la situa­tion dra­ma­tique des urgences de Mul­house (car beau­coup de tra­vailleurs fron­ta­liers relèvent du bas­sin de popu­la­tion concer­né par les dys­fonc­tion­ne­ments de l’hô­pi­tal), l’un des textes publié sur leur site inter­net dénigre sciem­ment l’hô­pi­tal public, de Mul­house en par­ti­cu­lier, au pro­fit de la méde­cine suisse. 

Le moyen est d’au­tant plus effi­cace en usant de com­pa­rai­son entre les moyens alloués glo­ba­le­ment aux urgences en France (750 mil­lions d’eu­ros) et la dota­tion que va rece­voir le seul Centre hos­pi­ta­lier uni­ver­si­taire de Bâle: 1,5 mil­liard ! Les voyez-vous venir que déjà la déné­ga­tion est prête à ser­vir: « Il est impor­tant de noter que notre action dans ce domaine n’est en aucun cas de cri­ti­quer qui que ce soit, ni de souf­fler sur les braises par déma­go­gie ou popu­lisme ».

Mais peu importe, puisque plus loin le comi­té incite clai­re­ment ses adhé­rents à choi­sir de se soi­gner en Suisse, ce qui leur est pos­sible, grâce aux dis­po­si­tions spé­ciales de sécu­ri­té sociale dont dis­posent les fron­ta­liers qui adhé­rent à une assu­rance pri­vée suisse. L’ar­gu­men­ta­tion, spé­cieuse au pos­sible, étant de favo­ri­ser un sou­la­ge­ment des urgences de Mulhouse. 

Le tableau presque idyl­lique de la situa­tion de l’hô­pi­tal bâlois qui est expo­sé (peu d’at­tente, pres­ta­tions sans com­pa­rai­son…) ne trompe d’ailleurs pas. Plu­tôt que de récla­mer des moyens consé­quents pour Mul­house, et l’en­semble des hôpi­taux publics, le CDTF favo­rise au contraire un tou­risme médi­cal réser­vé à ceux qui ont les moyens d’en pro­fi­ter, dans une pers­pec­tive indi­vi­dua­liste et consu­mé­riste du soin médi­cal, qui fait peu de cas de la soli­da­ri­té natio­nale et légi­time une méde­cine à deux vitesses. 

Vous trou­ve­rez ci-des­sous, pour illus­tra­tion, un petit texte de notre col­la­bo­ra­teur Chris­tian Rube­chi, retra­çant son par­cours de soin actuel, et ses dif­fi­cul­tés pra­tiques pour le mener à bien, dans le cadre de la rura­li­té:

Urgences médi­cales et rura­li­té dans le 68. Un petit témoi­gnage per­son­nel d’un par­cours « urgence médi­cale rurale ».

Jour 1: Week – end du 15 août. Impos­si­bi­li­té abso­lue de mar­cher, symp­tômes clas­siques dune her­nie dis­cale extrê­me­ment douloureuse. 

Pas de trans­ports en com­mun pos­sibles. Inca­pa­ci­té totale de conduire…et donc accom­pa­gne­ment familial. 

7h.Cabinet médi­cal de groupe de proxi­mi­té du domi­cile (5kms) fer­mé pour le w. end, indi­quant de s’a­dres­ser à l’hô­pi­tal de Thann (30 kms) ou de télé­pho­ner au 15. 

8h. Thann: ren­voi à une mai­son médi­cale proche (ouverte seule­ment à par­tir de 10 heures – sauf pour cer­tains type de plaies) ou au 15. 

9h 30: retour domi­cile et tel. au 15. Non réponse. Essais renou­ve­lés puis bas­cu­lé vers le 116 117. Accueil sym­pa­thique et indi­ca­tions pour s’a­dres­ser.… au cabi­net médi­cal de groupe.…fermé donc.… mais pro­po­sant de recher­cher d’autres pos­si­bi­li­tés.… mais de proxi­mi­té très très rela­tive et… ouverts. 

Jour 2: domi­cile

Jour 3: cabi­net de groupe de proxi­mi­té, réou­vert, et pres­crip­tions médicamenteuses.…inefficaces. A. R à Thann (60 kms) pour radio­lo­gie confir­mant double her­nie dis­cale, le jour même. 

Jour 6: cabi­net de groupe, autres pres­crip­tions médi­cales et prise de ren­dez vous cli­nique mul­hou­sienne.… 8 jours d’at­tente pour un scan­ner à Mul­house (80 kms A. R), 8 jours d’at­tente mais délai « court », me dit-on. 

Jours sui­vants: autres pres­crip­tions médi­ca­men­teuses, A.R Mul­house, scan­ner, prise de ren­dez- vous à Mul­house (même cli­nique) pour I. R. M pres­crit en complément. 

Jours sui­vants… I. R. M, A.R Mul­house (80 kms tou­jours…), cabi­net de proxi­mi­té, pres­crip­tions médi­ca­men­teuses etc… 

Dans 14 jours (délai de dis­po­si­tion du scan­ner) petite inter­ven­tion en prin­cipe suf­fi­sante pré­vue à Mul­house, sous scan­ner donc. 

Au qua­ran­tième deuxième jour du blo­cage due à la her­nie dis­cale (double) et après 400 kms en voi­ture avec une aide fami­liale indis­pen­sable pour la conduite, je pour­rai en prin­cipe mar­cher seul et conduire. 

Tou­jours très peu de trans­ports en com­mun dans la vallée. 

Aurait- il fal­lu pas­ser par l’hô­pi­tal de Mul­house et son ser­vice « urgences »? 

L’hô­pi­tal de Thann est quant à lui dans la tour­mente restructuration/fermetures de services. 

Mais pour­quoi donc habi­ter dans une val­lée alsacienne ? 

Au fait, qui a par­lé de déserts médicaux ? 


C. Rube­chi