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Noyés, étouf­fés, écrasés…chaque jour l’ac­tua­li­té est rem­plie des drames de ceux qui fuient leur pays pour rejoindre l’Eu­rope, dans des condi­tions extrêmes et sou­vent au péril de leur vie.

Ils fuient la guerre, la misère, les persécutions…

Selon Fron­tex, orga­nisme char­gé du contrôle des fron­tières exté­rieures de l’es­pace Schen­gen, pour les seuls sept pre­miers mois de l’an­née plus de 340 000 hommes, femmes, enfants ont ten­té de ral­lier l’Eu­rope; ils n’é­taient « que » 123 000 en 2014. Ils viennent prin­ci­pa­le­ment d’A­frique saha­rienne, du Pakis­tan, de Syrie, du Bengladesh.

Depuis la fin de la seconde guerre mon­diale aucun flux de réfu­giés de cet ordre ne s’é­tait pro­duit en Europe.

Les « réponses « de l’U­nion euro­péenne et des pays qui la com­posent se mul­ti­plient et se res­semblent: bar­rages et refou­le­ments à Calais pour ceux qui veulent rejoindre l’An­gle­terre, contrôles et blo­cages poli­ciers à Vin­ti­mille pour ceux qui veulent tra­ver­ser la France vers d’autres pays de l’U­nion, clô­ture tout au long des 175 kilo­mètres en Hon­grie au long de la fron­tière avec la Ser­bie, mobi­li­sa­tion mili­taire en Macé­doine, camps de réten­tion nau­séa­bonds et contrô­lés par des mafias diverses en Hon­grie, îles grecques sans infra­struc­tures ni même eau potable sub­mer­gées par les arri­vants, sud de l’I­ta­lie où les pêcheurs ramènent régu­liè­re­ment dans leurs filets les noyés et n’en peuvent plus de n’a­voir rien à pro­po­ser aux survivants.…

Dans ce drame qui dure et s’ag­grave les pays euro­péens  riva­lisent d’i­ma­gi­na­tion pour ne pas gérer le flux d’ar­ri­vants, fuir leurs res­pon­sa­bi­li­tés morales et poli­tiques, dur­cir leurs légis­la­tions et pra­tiques poli­cières sur le droit d’a­sile (« com­man­de­ment uni­fié » entre la Grande Bre­tagne et la France pour blo­quer les arri­vants à Calais, renon­cia­tion de cer­tains pays de l’U.E à l’en­re­gis­tre­ment des arri­vants pour ne pas avoir à trai­ter leurs dos­siers de demandes d’a­sile en appli­ca­tion des accords Schen­gen, extrême tolé­rance pour « lais­ser pas­ser, lais­ser filer » vers le pays voi­sin quand il existe une pos­si­bi­li­té – la Ser­bie, non membre de l’U­nion par ailleurs, pous­sant l’o­bli­geance jus­qu’à orga­ni­ser la tra­ver­sée de son ter­ri­toire par les réfu­giés dans les meilleures condi­tions de nour­ri­ture, loge­ments pro­vi­soires et trans­port en auto­bus vers la fron­tière voi­sine de leur choix …).

Même les pro­po­si­tions les plus modestes de la Com­mis­sion euro­péenne pour mieux répar­tir ces flux d’ar­ri­vants entre pays de l’U­nion sont écar­tées, notam­ment par la France qui oublie qu’elle est ou fut par­tie pre­nante dans des guerres qui contri­buent lar­ge­ment à ces afflux de réfu­giés (Libye, Syrie, Afgha­nis­tan, Afrique subsaharienne…)..

Les pro­cé­dures dites « Dublin » sur l’o­bli­ga­tion pour le pays d’en­trée dans l’U.E de trai­ter les dos­siers de demande d’a­sile sont de fait remises en causes par l’in­ca­pa­ci­té évi­dente de pays comme la Grèce et  l’I­ta­lie, prin­ci­paux points d’en­trée  en Europe pour nombre de réfu­giés, d’as­su­mer ces obli­ga­tions, ou par le fait qu’il devient (enfin) admis par cer­tains gou­ver­ne­ments euro­péens que ren­voyer les réfu­giés en Hon­grie pour qu’ils y déposent leur demande d’a­sile est tout sim­ple­ment indécent.

L’Eu­rope est chaque jour plus  dépas­sée

Des réac­tions natio­nales élec­to­ra­listes, oublieuses du Droit et des droits, la réac­ti­va­tion de conten­tieux entre pays, les dis­cours  de  xéno­pho­bie ouverte, l’hy­po­cri­sie poli­ti­cienne, les réac­tions de vio­lence de popu­la­tion locales inquiètes et sou­vent mani­pu­lées, se mul­ti­plient devant cette faillite huma­ni­taire et poli­tique et tiennent lieu de réponse européenne.

Et devant ces drames, les bou­le­ver­se­ments géo­po­li­tiques qu’ils révèlent et dont ils sont le résul­tat, les dis­cours de la xéno­pho­bie ordi­naire et des égoïsmes natio­naux s’en­ri­chissent désor­mais d’une ver­sion poli­ti­que­ment « cor­recte », faute de posi­tions plus cou­ra­geuses sans doute.

Signe du temps mau­vais la vieille dis­tinc­tion entre « migrants volon­taires pour rai­sons éco­no­miques » et « réfu­giés » au sens du droit inter­na­tio­nal et de la Conven­tion de Genève de 1951 signée par 145 pays membres des Nations Unies – est de retour dans les dis­cours et déclarations.

Et si elle est réac­ti­vée c’est que les réfu­giés ont droit à l’exa­men de leurs demandes d’a­sile par­ti­cu­lières selon des pro­cé­dures nor­mées et des condi­tions d’exa­men de leur demande pré­cise, rela­ti­ve­ment pro­tec­trices, contrai­re­ment aux simples  « migrants ».

Le porte parole du Haut Com­mis­sa­riat de l’O­NU vient donc de rap­pe­ler qu’il n’é­tait pas ques­tion de pré­su­mer « migrants éco­no­miques » – expul­sables  selon les légis­la­tions natio­nales – des gens qui sont à l’é­vi­dence  des réfu­giés au sens du droit international.

Il a deman­dé une véri­table réflexion sur le sens de ces mots qui ont des impli­ca­tions lourdes, voire vitales, pour des cen­taines de mil­liers de personnes.

Un jour­na­liste du quo­ti­dien qata­ri « Al ‑Jezi­ra » vient d’an­non­cer ce 20 août qu’il ne par­le­rait plus de « migrants médi­ter­ra­néens » pour ne pas contri­buer à cette confu­sion des mots qui ren­voie à des approches très dif­fé­rentes de la ques­tion et de son traitement.

Une mili­tante auprès d’or­ga­ni­sa­tions de pro­tec­tion des réfu­giés (Judith Von­berg, doc­to­rante bri­tan­nique, citée par le quo­ti­dien Libé­ra­tion du 28 août) déclare vou­loir réha­bi­li­ter la digni­té du mot de migrant et le droit à la com­pas­sion qui leur est dû.

Et main­te­nant?

Lais­ser pros­pé­rer, voire encou­ra­ger, les dis­cours xéno­phobes dans l’a­nar­chie ins­ti­tu­tion­nelle euro­péenne actuelle? Lais­ser régner l’art du non – choix, des poli­tiques d’ex­pul­sion et de refou­le­ment reven­di­quées ou hon­teuses, de la démis­sion du poli­tique? Attendre l’Eu­rope comme on attend Godot? Pour cer­tains pays euro­péens – la France tout par­ti­cu­liè­re­ment – lais­ser se pour­suivre  des aven­tures guer­rières sou­vent désta­bi­li­sa­trices pour les pays concer­nés et plus par­ties du pro­blème que par­ties des solu­tions? Oublier les valeurs morales qui fondent un Etat de droit? Conti­nuer d’es­sayer de se défaus­ser sur le pays voi­sin dans un mor­tel jeu de mistigri?

Nous savons, nous sen­tons, que L’Eu­rope est désor­mais confron­tée à des enjeux vitaux et l’ab­sorp­tion et la ges­tion des vagues migra­toires ne sont pas les moindres.

Nous atten­dons de sa part des actions com­mu­nau­taires d’ur­gence conformes au droit inter­na­tio­nal pour l’ac­cueil des réfu­giés et l’exa­men de leur demande d’a­sile, la mise en place de dis­po­si­tifs d’ac­cueil ren­for­cés, la mobi­li­sa­tion immé­diate des acteurs publics pour évi­ter les drames huma­ni­taires et les moyens néces­saires pour les éviter.

Nous espé­rons aus­si la prise en compte de la richesse humaine et du dyna­misme qu’ap­portent les migrants dans leur ensemble à nos vieux pays.

Mais nous atten­dons aus­si une vision et des pro­jets de long terme pour impul­ser des actions de déve­lop­pe­ment éco­no­mique dans  les pays d’où viennent ces migrants/réfugiés.

Sont à reje­ter les dis­tin­guos juri­diques erro­nés, les pseu­dos poli­tiques qui se résument à la chasse aux pas­seurs, au sui­vi défé­rent d’o­pi­nions publiques débous­so­lées, les poli­tiques de refou­le­ment sys­té­ma­tique des arri­vants, les ten­ta­tives de cri­mi­na­li­sa­tion légale des réfu­giés, voire la répres­sion des orga­ni­sa­tions d’aide aux deman­deurs d’a­sile (là encore la France n’est pas un modèle.…).

Nous n’at­ten­dons pas des dis­cours creux, des murs hauts et des dizaines de mil­liers de morts supplémentaires.

Si l’Eu­rope doit être autre chose qu’une tech­no­cra­tie a‑démocratique et amo­rale et un ter­rain de chasse pour les inté­rêts finan­ciers mon­dia­li­sés c’est d’a­bord sur le dos­sier des réfu­giés qu’elle doit le montrer.

Il en va de sa survie.

Chris­tian Rubechi