Christophe Lannelongue, l’actuel directeur de l’Agence régionale de santé (ARS) du Grand Est n’est pas un farfelu. On l’a vu régulièrement dans les médias affronter le personnel hospitalier en grève entre autres aux urgences de Mulhouse en appliquant rigoureusement les consignes que le gouvernement lui donnait. Cet l’image parfaite du haut fonctionnaire droit dans ses bottes qui est là pour exécuter les ordres, point barre. Ses paroles ne sont donc pas des élucubrations personnelles, ni dénuées de fondement. Sa rigidité et sa suffisance ne lui permettent pas toujours d’être habile dans ses propos mais est-ce cela que l’on demande à un haut-fonctionnaire ?
M. Lannelongue, donc, a affirmé le week-end dernier « qu’il n’y avait pas de raison d’interrompre les suppressions de postes et de lits au CHRU de Nancy », « qu’il n’y avait pas de raisons de remettre en cause la réforme hospitalière » prévoyant la suppression de dizaines de milliers de lits en France dans les cinq ans à venir. Rien que 16.000 seraient prévues dans les trois ans, selon le quotidien Le Figaro.
Évidemment, devant le tollé engendré par ces propos en pleine crise du coronavirus et d’applaudissements quotidiens des personnels de santé, il a bien fallu réagir : c’est Olivier Véran, l’actuel ministre de la Santé, qui a fait le travail… en ne démentant absolument pas les propos de son directeur de l’ARS du Grand Est. Rajoutant, et c’était le minimum : « Nous verrons plus tard » …
De l’honnêteté en politique
De nombreux observateurs avaient relevé un « infléchissement » de a politique de santé du gouvernement lors de l’intervention du Président de la République le 13 mars faisant l’éloge des services publics et rappelant le rôle régulateur de l’État, voire même laissant entendre une possible révision de sa politique.
Le Medef, en général plutôt bien au fait des intentions d’Emmanuel Macron, a aussitôt tempéré : « Ce qui est annoncé, ce sont des mesures exceptionnelles dans des circonstances exceptionnelles. Ce n’est pas un changement de paradigme », juge Emmanuel Jessua, directeur des études chez Rexecode, un institut proche du Medef.
Le monde économique ne croit donc pas en une transfiguration jupitérienne… Et les faits réels semblent bien lui donner raison.
D’abord pour que l’on puisse croire à un changement d’attitude aussi radical, il faudrait pouvoir croire en l’honnêteté de celui qui l’annonce. Or, M. Macron n’est pas un honnête homme. Ses propos de « construire un nouvel ordre social » se heurte à la dure réalité : depuis qu’il est en place, déjà sous Hollande, il n’a de cesse d’abattre le modèle social français qu’il juge obsolète. Il affirme « inventer » un nouveau modèle, mensonge encore puisqu’il n’applique que les systèmes déjà imposés sous Reagan, Thatcher, Blair, Schroeder, Sarkozy et Hollande : limiter le rôle de l’État à de vagues responsabilités régaliennes (qui peut s’accommoder d’une privatisation de l’armée !) et laisser le marché réguler la vie économique, sociale, culturelle…
En outre, s’agissant de l’homme Macron, est-il seulement imaginable que son égo, son arrogance, sa persuasion d’avoir raison et que le bon peuple est un ignorant inné, puisse être soluble dans une crise aussi importante soit-elle ? Voilà un homme qui prétend diriger L’État sans avoir assumer un seul jour la gestion d’une collectivité locale ! Sans avoir été soumis au suffrage universel ! Ses seules connaissances ont été acquises soit dans quelques écoles et dans une banque ! Et ce n’est pas en ces endroits que l’on apprend ce qu’est l’intérêt général et le rôle du politique et de ses rapports avec l’économie.
Une politique marquée par les dogmes de l’ordo-libéralisme
Mais n’en restons pas à l’homme Macron… qui somme toute n’est pas le plus intéressant. Venons-en plutôt à la politique qu’il applique. Tous les pouvoirs des pays développés ont mené la même politique depuis des décennies pouvant se résumer à : affaiblissement du rôle de l’État et l’Etat-social particulièrement, livrer les clés de la gestion de la société aux règles du marché, réduire les solidarités sociales… Il s’est trouvé des économistes pour impulser cette méthode, en France, le prix Nobel Jean Tirole en est un parfait exemplaire. Les autres, moins prestigieux, passent leur temps sur les plateaux télé pour appuyer ces choix : la réduction de la dette publique étant l’alpha et l’oméga de cette politique.
Il n’a pas fallu attendre la crise du Coronavirus pour constater que cette politique était bonne pour les 1% les plus riches de la planète et qu’elle était désastreuse pour la majorité des populations. Pourtant, devant l’absence d’alternative crédible, cette politique continue de faire ses ravages.
La social-démocratie porte une responsabilité écrasante : élue majoritairement par un vote populaire, elle devait restaurer et renforcer le rôle de l’État social. Mais c’est d’elle que sont venues les trahisons les plus crasses dans tous les pays où elle vint au pouvoir : Blair en Grande-Bretagne, Schroeder en Allemagne, Hollande en France, ont été les plus serviles caporaux de l’économie de marché capitaliste et ont cassé à tour de bras les principaux acquis sociaux. Même les si loués sociaux-démocrates scandinaves ont capitulé et on affaiblit considérablement leur système social.
La résistance plus forte de l’Allemagne dans la crise actuelle est à mettre sur le compte de son insolente réussite économique de ces dernières années. Pas sur la solidité de son modèle social qui a, depuis Schroeder, multiplié les pauvres dans le pays le plus riche de l’Europe.
Les restrictions imposées à L’État et les politiques d’austérité destinées à réduire la dette publique (engendrée, il faut le rappeler, en grande partie par une nationalisation de la dette privée des banques et grandes entreprises), ont conduit à un affaiblissement considérable de secteurs clés de notre société : l’éducation et la santé en priorité.
La solution imaginée par le gouvernement de M. Macron, c’était la « privatisation » de ces activités, le « privé » étant réputé « mieux gérer » que le public. Vaste fumisterie s’il en est : en clair ce transfert du public vers le privé était le moyen de réduire les emplois et de liquider les statuts de la fonction publique. Et uniquement cela !
L’exemple britannique du NHS (National Heath Service)
On me mesure à la crise que rencontre l’hôpital en Grande-Bretagne : les mesures de restrictions remontant aux Premiers ministres Thatcher et Blair ont réduit à néant le système médical britannique qui ne dispose aujourd’hui que de la moitié des lits d’hôpitaux par rapport à l’Allemagne et un tiers de moins que la France. Que le système britannique dût être réformé n’est en soi pas une nouveauté, mais il est intéressant de regarder les arguments avancés : une dette importante des hôpitaux, un coût trop important de gestion, des investissements insuffisants. Et la solution :
Par téléphone plutôt qu’aux urgences
La meilleure trouvaille du gouvernement de Tony Blair pour résoudre l’incurie du système de santé anglais fut la création, en 1997, du NHS Direct, centre d’appels téléphoniques tenu par des infirmières, qui répondent aux personnes inquiètes sur leur état de santé. Il visait à désengorger les urgences hospitalières et à décharger les médecins généralistes d’une partie de leur de rôle de « filtre » vers les spécialistes. Les appels téléphoniques coûtant moins cher que les visites auprès des médecins généralistes, ce fut également une source d’économie pour le NHS. Toutefois, les associations de médecins et de consommateurs s’accordent pour dénoncer les limites du NHS Direct, avec ses risques d’erreurs et leurs conséquences dramatiques.
Dans sa dernière mouture, la réforme du système de santé prévoit de confier la gestion de certains hôpitaux publics à des entreprises privées, censées être plus efficaces et résorber les interminables listes d’attente, préalable à de nombreuses opérations.
Quant on voit les dégâts monstrueux de cette politique 23 ans après ces décisions en Grande-Bretagne, et que le gouvernement français s’inspire de ces mesures pour « moderniser » l’hôpital, on se demande comment nous pourrions supporter une autre attaque virale dans les prochaines années si rien ne change.
Un retournement possible ?
Il est évident que la situation dramatique que nous connaissons chamboule l’exécutif ! Et cela n’est pas fini car il faudra bien qu’il rende compte non seulement de la manière de gérer la crise mais aussi celle des moyens insuffisants pour affronter une épidémie de ce type… dans la 5e ou 6e économie mondiale.
Mais est-ce suffisant pour, à long terme, contraindre Emmanuel Macron et ses soutiens, des conséquences catastrophiques de l’application d’un dogme libéral envers et contre tout ? J’ai personnellement des doutes. Ces gens-là sont persuadés d’avoir raison et ce n’est pas un microbe qui va les convaincre que le marché ne peut pas réguler, que le capitalisme est un prédateur et que seul le contrepoids public peut rendre une société capitaliste vivable !
Toutes les politiques gouvernementales de privatisations des services publics conduisent à des catastrophes car la nécessité de faire du profit sera toujours prioritaire sur les intérêts généraux, c’est dans la nature même du système.
Alors faut-il croire à la sincérité de nos dirigeants dans les circonstances actuelles ? Faut-il miser tout notre avenir sur ce fol espoir que, peut-être, un Macron d’hier cachait un Macron d’aujourd’hui ? Il faudra sûrement des changements politiques profonds pour inverser le cours des choses. Le rêve de ceux qui sont au pouvoir est de revenir à « avant » la crise, pas à devoir changer totalement de « paradigme ».
Ceux qui peut changer les choses ? Ce sera, par exemple si toutes ces personnes qui affichent leur soutien au personnel continuent de se manifester après quand M. Macron expliquera qu’il ne peut tenir ses promesses car la « récession est terrible, que l’État n’a plus d’argent et qu’il faudra attendre d’autres quinquennats » pour appliquer les principes qu’il a intégré dans sa communication de crise, à savoir recréer du service public non soumis aux règles du marché. Mais, cela il ne l’a pas appris ni à l’ENA, encore moins chez Rothschild… Que voulez-vous, il ne sait pas faire…