Dans les premiers jours où l’épidémie de Covid-19 est devenue une réalité en France, on m’a rapporté l’existence de messages attribuant la responsabilité de la propagation du virus aux réfugiés et aux roms.
Puis, au fil des jours, est apparue la remise en question ou la dénonciation de la « mondialisation », tenue pour responsable de la carence actuelle en masques de protection, tests, respirateurs et plus généralement en moyens pharmaceutiques et, à l’occasion, considérée tout de go comme étant la cause de la pandémie elle-même.
Tentons de faire la part des choses et évitons de jeter le bébé avec l’eau du bain.
Il est bien évident que l’externalisation des productions, l’ouverture des marchés, la financiarisation planétaire de l’économie, la mise en concurrence des conditions de travail privilégiant le « moins-disant » social, qui, pour faire court, ont contribué à faire de la Chine l’« usine du monde », sont à l’origine des pénuries qui sont apparues au cours des derniers jours et semaines. Nommer ce phénomène « mondialisation », comme si elle était une loi intangible indépendante de la volonté de ceux qui nous gouvernent, c’est cependant aller un peu vite en besogne.
Nous avions, il y a quelques années, deux termes distincts, qui nous permettaient de distinguer la « globalisation », soit la main-mise du capitalisme sur l’ensemble de la planète soumise tout entière à l’exploitation des ressources et des hommes, et la « mondialisation ».
On utilisera ce dernier terme pour désigner le phénomène qui a fait, depuis toujours, se rencontrer les groupes humains, favoriser les échanges, commerciaux autant que culturels, échanges qui ont permis à l’humanité de prendre la mesure d’elle-même, de se développer et de s’enrichir au fil des contacts, de prendre conscience à la fois de sa diversité et de son universalité.
Pour aboutir au stade actuel de communications qui permet, certes, d’envoyer des ordres boursiers aux conséquences désastreuses en des fractions de secondes (il suffit pour éviter cela d’interdire les bourses et les marchés financiers), mais aussi de voir en temps réel les habitants de Hong-Kong pouvoir se dispenser de confinement parce qu’ils ont des masques, pendant que la porte-parole du gouvernement français cherche à nous convaincre de leur dangerosité…
Quant à la « globalisation », le volet « négatif » de la planétarisation (autre possibilité lexicale), n’oublions pas que les victimes en sont au premier chef les populations locales surexploitées (dont femmes et enfants). Leur sort n’est malheureusement pas la préoccupation majeure des organisations syndicales occidentales (quand je vois qu’il n’y a que 17 000 signataires sur une pétition de l’organisation mondiale Labourstart pour exiger la libération d’un syndicaliste pakistanais, j’ai honte) alors que la clef du problème serait précisément le renforcement de solidarités ouvrières qui ne se sont jamais vraiment remises de cette autre guerre d’ »union nationale » déclenchée en 1914.
Cette globalisation, qui participe aussi amplement aux changements climatiques dont on sait qu’ils sont à l’origine de l’apparition de nouveaux virus (ou plutôt inconnus), parce que les mers sont parcourues par un flux constant de cargos géants transportant des chaussures Nike et Adidas, du blé en attente des hausses des cours que provoquent les famines, ou des oignons (!) de Nouvelle-Zélande, est ravageuse dans les deux sens : cette même concurrence à tous crins qui permet au gros de manger les petits, a autorisé les méga-producteurs bretons de volaille à tuer dans l’oeuf toute velléité de développer une activité avicole d’ampleur au Mali ou au Burkina Faso.
Au « mondialisme » ne s’oppose d’ailleurs pas l’ « antimondialisme », mais l’ « alter-mondialisme », qui propose en place de la mise en coupes réglées de la planète par la grande finance la prise en considération prioritaire des problèmes sociaux (ainsi qu’écologiques, car ils vont de pair s’ils sont bien compris) et ce, universellement.
Globalisation, soit l’emprise planétaire du libéralisme capitaliste à combattre, versus mondialisation comprise comme le développement des échanges et des relations humaines : celle qui a permis, quelques jours avant le confinement, à un comédien camerounais de venir jouer à Mulhouse (malheureusement les représentations ont été annulées), comme elle m’avait permis de jouer moi-même autrefois dans son pays.
Si au contraire, les replis « nationaux », avec leur cortège de défiance et d’hostilité au reste du monde, devaient dorénavant primer, il sera désormais inutile autant qu’hypocrite de continuer à chanter que « l’Internationale sera le genre humain »…
« Chacun chez soi et les virus seront bien gardés » ?
Il est à craindre que la xénophobie, c’est à dire la peur, la méfiance engendrant la haine , de l’étranger, ne se renforce à la faveur de la période troublée que nous connaissons. Le glissement vers le racisme, étape distincte et néanmoins voisine, n’est pas automatique, mais la pente est glissante : la preuve par Trump, quand il qualifie de « chinois » le virus, suggérant qu’il serait caractéristique d’une « race », ou qu’elle en serait un vecteur privilégié (l’homme occidental colonisateur sait de quoi il parle, lui qui a exterminé des populations entières non immunisées à grand renfort de tuberculose, vérole, syphilis, ou de couvertures offertes aux Indiens d’Amérique du nord préalablement – et volontairement – infectées de variole )[1].
Les épidémies n’ont pas attendu la « globalisation » pour se répandre, notamment sur les continents eurasiens. Sauf qu’elles mettaient plus de temps, souvent des années, au rythme de contacts plus lents, celui des chameaux sur la route de la soie, de vaisseaux marchands à voile et non de vols Easy-Jet d’à peine quelques heures.
Et l’étranger bouc émissaire « mondialisateur » était déjà tout désigné comme cause de tous les maux : le Juif, le Tzigane, celui qui bouge d’un endroit à l’autre et qui charrie des « saloperies ». Les Juifs étaient accusés au 14è siècle d’empoisonner les puits pour répandre la peste (comme si eux-mêmes pouvaient en réchapper!). Rien d’étonnant à ce que le réfugié prenne aujourd’hui le relais.
Gare ! On est toujours l’étranger de quelqu’un : le journal « La Charente libre »[2] titrait le 29 mars dernier, à juste titre : « Le confinement n’arrête pas la bêtise ». En effet, l’annonce de l’arrivée de deux patients du Grand-Est à Angoulême avait suscité d’étranges réactions de la part de lecteurs qui valent le détour :
- « Les Alsaciens reviennent, comme en 14/18 et 39/45. »
- « Ils ne vont pas nous lâcher dans nos patelin tranquilles. Le principe de confinement c’est la distanciation sociale, on prend nos distances, ils nous poursuivent. Incroyable, ils veulent nous mettre dedans coûte que coûte. »
- « Du coup, quand les charentais auront besoin de places, ben y en aura plus… Quelle bande de gougnafiers ! »
- « On va être contaminé à cause du grand Est, c’est génial ça. Je suis d’accord de désengorger les hôpitaux mais pas chez nous. Si on ramène les contaminés ici, c’est nous nos enfants et nos familles qui allons être encore plus exposés. Quand nous serons malades qui nous accueillera ? Merci le gouvernement, c’est vous qui propagez ce virus. »
- « D’accord de les déplacer mais pas chez nous. Je reste déjà confinée chez moi étant enceinte de 8 mois. Ils n’ont qu’à rester dans les TGV alors en attendant. Si tout le monde respectait le confinement, on n’en serait pas là. »
Il n’est pas inutile de rappeler ici ce que nous disait le généticien Albert Jacquard[3], à savoir la nécessité pour l’humanité de multiplier les croisements entre groupes humains pour renforcer collectivement les défenses de nos organismes, en diluant notamment de la sorte les anomalies génétiques.
RING A RING O’ROSES
Une chanson enfantine avait accompagné la propagation d’une épidémie de peste de Russie jusqu’en Irlande : nous connaissons encore, pour les plus anciens, la comptine alsacienne « Reiha, reiha, Rosa ». Elle existe également en russe, en serbo-croate, en italien, en anglais. [4]
Les paroles semblent dépourvues de sens (« en ronde, les roses, jolis abricots, violettes et myosotis, tous les enfants s’asseyent ». Les enfants faisaient une ronde, se laissaient tomber à terre, puis se relevaient en sautant.
Nous sommes là aux sources des fonctions originelles du chant et de la danse, à savoir l’incantation et la magie. Les plantes évoquées font référence à des plantes médicinales. Quant à la chute suivi du saut, il s’agit d’un rite de mort et de résurrection, un geste prophylactique pour se prémunir du mal.
On se passait donc la maladie d’un bout à l’autre du continent, mais aussi les remèdes qui vont avec.
Solidarité dérisoire sans doute ‑on faisait avec ce qu’on avait – mais solidarité quand même.
Quand allons-nous grandir ?
[1]In “Les veines ouvertes de l’Amérique latine”, Eduardo Galeano
[2] https://www.charentelibre.fr/2020/03/29/arrivee-de-deux-patients-du-grand-est-a-angouleme-le-confinement-n-arrete-pas-la-betise,3580273.php?fbclid=IwAR0f-gmBXKzaMNaVhdTh1nuxahYtsj8ksiWWSrK4eNuPDV_Z0H1cvHuc6Q8
[3]“Éloge de la différence”, Albert Jacquard
[4] https://en.wikipedia.org/wiki/Ring_a_Ring_o%27_Roses