Le 24 avril der­nier, un ami m’envoie le SMS sui­vant : « Hôpi­tal de Mul­house : 294 soi­gnants malades, 20 hos­pi­ta­li­sés et 4 entre la vie et la mort. Silence des médias ». L’Alterpresse68 n’a pas l’habitude de taire de telles infor­ma­tions mais il était dif­fi­cile de trou­ver des confir­ma­tions et des per­son­nels soi­gnants prêts à en par­ler ouver­te­ment. De qui ont-ils donc peur ?

Les 6 et 7 mai, le jour­nal unique DNA‑L’Alsace (après s’être fen­du d’un démen­ti ember­li­fi­co­té), doit annon­cer la mort suc­ces­sive de deux pra­ti­ciens infec­tés par le Covid 19 dans le cadre de leur travail.

Pour­tant depuis le début, le per­son­nel soi­gnant se plaint de ne pas avoir les moyens : pas uni­que­ment un manque de lits et de res­pi­ra­teurs, mais éga­le­ment de masques et de blouses de pro­tec­tion… Et ces manques criants, consé­quence d’une poli­tique de démem­bre­ment de l’hôpital public menée suc­ces­si­ve­ment par les gou­ver­ne­ments ces trente der­nières années, sont à la base de l’infection de cen­taines, voire de mil­liers de soi­gnants. Il fau­dra bien qu’un jour, les res­pon­sables de ces choix poli­tiques devront rendre des comptes sur leur action devant la justice.

Les men­songes des masques

Ne reve­nons pas sur le scan­dale des men­songes autour de la néces­si­té des masques. Car aucun ministre ne peut faire état de son igno­rance en la matière. Depuis le début, dans le monde entier, l’importance des masques et des tests est avé­rée pour lut­ter effi­ca­ce­ment contre le virus. Le gou­ver­ne­ment et le Pré­sident de la Répu­blique ont en réa­li­té géré la pénu­rie : comme nous n’avions ni masques, ni tests, ni res­pi­ra­teurs en quan­ti­té suf­fi­sante, ils se sont empres­sés de nier leur utilité.

Et voi­là que, décon­fi­ne­ment oblige, la ver­tu des masques et des tests devient mani­feste… et est prô­née par tous nos experts pas­sant en boucle dans des émis­sions de télé-réa­li­té infor­ma­tion­nelle. On se demande quand ils soignent les malades !

Et comme par enchan­te­ment, les masques si rares aupa­ra­vant, sont annon­cés dis­po­nibles par cen­taines de millions.

La bonne opé­ra­tion pour la grande distribution

On doit évi­dem­ment s’en féli­ci­ter : grâce essen­tiel­le­ment à la Chine et à la reprise d’activité de quelques entre­prises tex­tiles, on pour­ra, semble-t-il dis­po­ser de masques pour aller au tra­vail ! Mais où étaient ces masques se demandent dans une tri­bune cin­glante des per­son­nels soi­gnants et des phar­ma­ciens ? Com­ment des entre­prises de dis­tri­bu­tion trouvent-elles en quelques jours des masques en quan­ti­té indus­trielle là où l’Etat s’avérait incapable ?

Il est éton­nant que le gou­ver­ne­ment rende les masques indis­pen­sables pile-poile au moment où la grande dis­tri­bu­tion dis­pose de ces stocks de masques. Et les grandes enseignes ne se privent pas pour en faire une publi­ci­té sur le dos de la san­té des citoyens ! Car pour­quoi faut-il aller ache­ter ses masques chez Car­re­four ou Cora ? Et que signi­fie le prix ven­du : 65 cen­times d’euros alors qu’on pou­vait ache­ter ces mêmes masques… 6 ou 7 cen­times avant l’épidémie. Et même si la grande dis­tri­bu­tion dit les vendre à prix coû­tant, elle en fait un pro­duit d’appel sachant que les clients rem­pli­ront leur cad­die en même temps. Et si de 65 cen­times est le prix coû­tant, qui se sucre au passage ?

Du rôle du ser­vice public

Résu­mons. Un : pour per­mettre de relan­cer l’activité, les masques deviennent indis­pen­sables et même obli­ga­toires, sur­tout dans les trans­ports. Deux : si vous vou­lez vous dépla­cer, il vous faut des masques. Et pas qu’un seul. Deux au mini­mum par jour. Un rapide cal­cul : les masques chi­rur­gi­caux en papier coûtent 65 cen­times pièce. Deux par jours pen­dant 30 jours, cela fait 39 euros. Pour une famille de 4 per­sonnes, le coût men­suel peut donc mon­ter jusqu’à près de 160 euros ! Dans une période où le chô­mage par­tiel ou l’inactivité totale grève les bud­gets fami­liaux, est-il nor­mal qu’un ménage doit payer 160 euros pour se protéger…

En cas de masques en tis­su, le prix d’achat est plus éle­vé mais la pos­si­bi­li­té de l’utiliser plu­sieurs fois minore l’investissement. Mais il faut le laver dans cer­taines condi­tions : il ne peut être lavé en com­pa­gnie d’autres effets, il doit être au mini­mum à 60 degrés, séché et repas­sé dans cer­taines condi­tions. Ne comp­tons donc pas le coût d’une les­sive pour un seul objet à laver !

La conclu­sion s’impose : les ménages les plus modestes devront se pri­ver d’autre chose pour ache­ter des masques… ou ils n’en achè­te­ront pas ! Au mieux, ils s’en fabri­que­ront un dont on peut s’interroger sur l’efficacité. Petit conseil : il sem­ble­rait que le masque est inopé­rant si vous pou­vez souf­fler la flamme d’une bou­gie en le portant…

Il faut donc exi­ger la gra­tui­té des masques et c’est l’Etat qui devrait être garant que chaque citoyen puisse en avoir suf­fi­sam­ment jusqu’à la fin de l’épidémie. Un pays comme le Luxem­bourg a adop­té cette solu­tion. C’est oné­reux pour la France ? Avec les 4 mil­liards d’euros don­nés à Air France, on pour­rait dis­tri­buer plus de 6 mil­liards de masques gra­tui­te­ment aux Fran­çaises et Français.

Dis­tri­buer par les réseaux de l’Etat, des col­lec­ti­vi­tés locales, la san­té et les associations

On nous objec­te­ra que des col­lec­ti­vi­tés ter­ri­to­riales ou locales ont déjà adop­té cette forme de dis­tri­bu­tion. Pre­nons deux exemples : les Mul­hou­siens auront droit à deux masques valables… à cher­cher dans des lieux dédiés. Lara Mil­lion n’a pas man­qué de dénon­cer l’absurdité de la manière de faire car on ima­gine la file qui s’allongera dès lun­di 11 mai au matin pour être sûr de pou­voir en récupérer !

Un cas par­mi d’autres : la muni­ci­pa­li­té de Sau­sheim est très géné­reuse : elle offre des masques de pro­tec­tion « aux per­sonnes âgées de plus de 65 ans » ! Mais, aver­ti-t-elle, « consi­dé­rant le nombre de masques en notre pos­ses­sion, toute (sic) le monde ne pour­ra être ser­vi » ! Alors non seule­ment les moins de 65 ans devront aller en ache­ter au prix fort, mais il n’y en a pas suf­fi­sam­ment pour équi­per toutes les têtes blanches sausheimoises…

Nous sommes bien dans l’inorganisation la plus totale, des muni­ci­pa­li­tés qui se dem… comme elles peuvent, un pré­sident de Région qui se pare des plumes du paon en fai­sant état de mul­tiples com­mandes et déro­bant à l’aéroport de Mul­house ceux ache­tés par la région Bour­gogne Franche-Com­té, une maire dépas­sée par les évé­ne­ments mais essayant de mas­quer son inaction…

En réa­li­té, ces masques gra­tuits devraient être dis­tri­bué sous l’égide de l’Etat, par ses ser­vices, par les col­lec­ti­vi­tés locales, évi­dem­ment par le réseau des phar­ma­cies et par les asso­cia­tions en équi­pant prio­ri­tai­re­ment les per­son­nels soi­gnants qui, aujourd’hui encore, manquent cruel­le­ment de moyens. Serait-il plus utile de prendre le métro pour aller faire tour­ner les usines que de pro­té­ger les méde­cins, infir­mières, aides-soi­gnantes, kiné­si­thé­ra­peutes, ortho­pho­nistes, den­tistes, etc…, qui sont au contact quo­ti­dien de la maladie…

C’est le choix que semble avoir fait ce gou­ver­ne­ment… Pour le mal­heur de notre pays.