Emmanuel Macron continue dans sa rhétorique guerrière. Comme si le virus était semblable à une horde armée déferlant sur le pays en démolissant tout sur son passage, ce qui est le propre des guerres.

Pourtant, l’utilisation d’un vocabulaire de ce type est symptomatique non pas d’un état de fait, mais d’une vision d’avenir particulièrement sombre pour les libertés publiques. Les mots utilisés : « Pas facile d’avoir 20 ans de nos jours… », « instaurer un couvre-feu » et, auparavant, « mettre en place une distanciation sociale » alors qu’il s’agit d’un éloignement physique… dévoilent les objectifs que se fixe le gouvernement.

Mais cela est vrai dans quasiment tous les pays de la planète. Quelles en sont les raisons ?

Un « couvre-feu » de 21 h (pourquoi 21 h et pas 23 h par exemple) à 6 h pour éviter la propagation du virus… et éviter les engorgements des hôpitaux qui ont continué à subir ces derniers mois le plan de rationalisation avec la fermeture de lits et la réduction du personnel. Pourtant, selon un rapport de Santé Publique France, sur les 357 nouveaux foyers de contamination recensés en France la semaine du 5 au 10 octobre, ce sont les entreprises qui arrivent en tête des lieux où l’on attrape le plus le coronavirus. Une contamination sur quatre se fait en effet sur le lieu de travail. 

Arrive ensuite le milieu scolaire, et surtout les universités. En troisième position, on retrouve les établissements de santé, comme les hôpitaux ou les cliniques : ils représentent une contamination sur dix.

Ce faisant, peut-on comprendre que toutes les représentations théâtrales ou cinématographiques sont quasiment annulées de ce fait, mais que l’on peut se déplacer dans les transports, où la distanciation physique est improbable !?

Certes, l’impréparation du système de santé est un énorme caillou dans la chaussure du gouvernement et tôt ou tard, il paiera l’addition comme tous ceux qui ont, depuis deux décennies, on imposer des règles de rentabilité à l’hôpital public avec la complicité des élus locaux, n’est-ce pas M. Rottner…

Pourtant, tout cela ne semble pas satisfaisant comme réponse à des mesures qui vont, pour longtemps, impacter notre société.

M. Macron, comme tous les autres dirigeants politiques aux affaires dans tous les pays, met en avant l’obligation de sauver l’économie et favoriser l’accès au travail des salariés. Au détriment d’autres activités humaines comme celles de se cultiver, de se distraire…

Pourtant, cette dimension de la vie est aussi essentielle que celle du travail. Nous revenons à une époque où seul le travail semble être l’activité dévolue à l’individu, le reste n’étant qu’accessoire, voire inutile.

Quant à la vie sociale, le couvre-feu la réduit au seul cercle famille en un repli anxiogène : fini les réunions associatives, syndicales, amicales ou les rencontres fortuites autour d’un verre…

La même situation que dénonçait les milieux progressistes et la CGT fin du 19e siècle en revendiquant les 8 h avec le slogan : 8 h de travail, 8 h de repos, 8 h pour se divertir et se cultiver…

Dans la société voulue par Emmanuel Macron et de son gouvernement, l’individu n’a donc que deux horizons : le travail et la famille.

Il est d’ailleurs frappant que les dispositions imposées par le Président de la République trouvent grâce dans les milieux les plus réactionnaires qui défilent dans les médias.

Dans une récente émission sur France Culture, le sociologue Christian Salmon interprétait les mesures prises (en-dehors de tout débat avec la représentation nationale et les acteurs sociaux et à partir d’une discussion avec un « Conseil de défense sanitaire ») par le gouvernement.

Pour lui, nous sommes rentrés dans l’ère de la « Tyrannie des Bouffons », titre de son ouvrage publié aux éditions Les Liens qui Libèrent – un ouvrage qui revient sur les ressorts du « pouvoir grotesque » et ses mécaniques. A l’ère du discrédit qui semble caractériser notre époque, comment ce « pouvoir grotesque » est-il devenu un rouage essentiel de la souveraineté ?

La crise sanitaire, comme les actes terroristes en 2015, sont instrumentalisés pour opérer une manipulation des esprits : une opinion publique acceptera plus facilement des restrictions de ses libertés, y compris fondamentales, quand elle est mise en condition par une situation d’agression caractérisée et bien mise en scène.

D’où l’importance des médias. On sait qu’en temps de guerre, les médias sont aussi mobilisés à des fins de propagande. Dans ce cadre, peu importe la recherche de la vérité ou l’organisation du débat contradictoire : il faut asséner LA vérité et toute contestation de la parole et des mesures gouvernementales est suspecte. La trahison n’est pas loin…

Une bonne mise en condition permet même de préparer une majorité de citoyens à consentir à la censure voire même à dénoncer ou châtier les contrevenants. C’est ainsi que naissent les ruptures au sein d’une société et de potentiels conflits entre les individus. Arrivé ainsi à un morcellement de la société est un des buts systématiquement recherchés par les pouvoirs pour briser l’unité qui pourrait se forger entre les personnes prêtes à agir pour défendre leurs intérêts de classe.

Les médias « mainstream » sont mobilisés dans ce but. Un seul exemple suffit : la dérive de la radio du service public. Les émissions d’information de Radio France (à degré moindre à France Culture) sont orchestrées non plus par des journalistes, mais par des « animateurs » chargés de mettre en scène la communication gouvernementale en veillant avec beaucoup de soin de dispenser la parole aux « opposants » à dose homéopathique, juste assez pour donner un semblant de pluralisme.

Autre exemple frappant : le soutien sans faille apportée à la police par le gouvernement et les médias mainstream. Alors que les violences policières se multiplient lors de manifestations pacifiques, toute opposition aux pratiques policières est montée en épingle et la « dure condition de vie » des forces de l’ordre donne lieu à moult analyses et commentaires. La parole est donnée à profusion aux organisations corporatistes (abusivement appelée « syndicat ») policières dont la principale organisation, Alliance, est pourtant connue pour son positionnement politique très à droite…

Ce climat permet à l’exécutif de faire passer des lois d’exception garantissant une impunité de plus en plus flagrante aux policiers… légitimant ainsi le recours à des violences de plus en plus marquées contre les manifestants.

Les organisations corporatistes policières en appellent de plus en plus à la justice pour que les peines soient alourdies pour les manifestants et que leur propre violence soit absoute. On peut se demander si une chanson comme « Hécatombe » de Georges Brassens pourrait encore être diffusée de nos jours ! *

Déjà dans un livre publié il y a sept ans, qu’il vaut la peine de relire aujourd’hui attentivement (Tempêtes microbiennes, Gallimard, 2013), Patrick Zylberman avait décrit le processus par lequel la sécurité sanitaire, jusqu’alors restée en marge des calculs politiques, allait devenir une partie essentielle des stratégies politiques étatiques et internationales. 

Déjà en 2013 donc, il pose la question rien moins que la création d’une sorte de “terreur sanitaire” comme instrument pour gouverner suivant ce qui est défini comme le worst-case scenario, le scénario du pire des cas. 

Ce dispositif s’articulait en trois points :

1) construction, sur la base d’un risque possible, d’un scénario fictif dans lequel les données sont présentées d’une façon qui favorise les comportements permettant de gouverner en situation extrême ;

2) adoption de la logique du pire comme régime de rationalité politique ;

3) l’organisation intégrale du corps des citoyens de façon à renforcer le maximum d’adhésion aux institutions de gouvernement, en produisant une sorte de civisme superlatif dans lequel les obligations imposées sont présentées comme des preuves d’altruisme et le citoyen n’a plus droit à la santé (health safety), mais devient juridiquement obligé à la santé (biosecurity)

De toute évidence, l’auteur s’inspire des conséquences des théories de l’école de Chicago sur le néolibéralisme et la fin de l’État stratège et social appliqué par Ronald Reagan aux USA puis Margaret Thatcher en Grande-Bretagne.

Après 1990 et la fin de l’expérience socialiste, le capitalisme s’érige en vainqueur contre ce qu’il appelait le « communisme ». La forme néolibérale du capitalisme s’impose alors dans le monde entier comme le seul système économique et social.

Plus rien ne s’opposait à un déploiement mondial de cette théorie qui consiste à donner le pouvoir à l’économie et à ramener les États au seul rôle d’appui au néolibéralisme. Et depuis les choses ont évolué…

Après que la politique eut été remplacée par l’économie, maintenant même celle-ci, pour pouvoir gouverner, devra être intégrée dans le nouveau paradigme de biosécurité, auquel toutes les autres exigences devront être sacrifiées, résume Patrick Zylbermann.

 Cette politique économique a engendré d’énormes injustices sociales alors que le capital s’est enrichi d’une manière éhontée. La théorie du « ruissellement » chère aux tenants de l’école de Chicago, a été totalement disqualifiée au fil du temps. La disparition ou le fort amoindrissement de l’« État social » qui protégeait jusqu’alors les plus faibles, la liquidation par ces mêmes gouvernements des lois de protection du travail, suscitent des colères sociales.

Cela a conduit à de nombreuses mobilisations populaires, surtout dans la jeunesse. Des mouvements comme ceux des « indignés » ou d’Occupy Wall Street (OWS) ou Occupy New York (en français : « Occupons Wall Street/New York »), mouvement de manifestation de contestation pacifique dénonçant les abus du capitalisme financier, commencent à inquiéter les dirigeants économiques et politiques dans le monde entier.

Car c’est bien tout le système capitaliste qui devient l’accusé et les anciennes recettes pour redorer son blason (redistribution des richesses, élargissement des droits et libertés, législation sociale améliorant le sort des plus pauvres, perspectives d’évolution des classes moyennes…) ne fonctionnent plus. En outre, une prise de conscience que ce système économique conduit à une surexploitation des ressources de la terre (ce que Marx avait déjà dénoncé fin du 19e siècle !) a généré une prise de conscience politique inédite.

Pour l’heure, ces colères et ces volontés de changement n’ont pas encore trouvé les outils pour transformer concrètement les choses : ni les partis politiques ni les syndicats n’ont réussi à devenir l’outil de ces néo-militants qui recueillent une écoute de plus en plus forte dans la société.

Le déploiement de tout un arsenal (politique, policier, judiciaire, médiatique) pour, sinon tuer dans l’œuf, du moins amoindrir la portée de ces espoirs de changements fondamentaux et radicaux, est indispensable pour maintenir l’ordre aujourd’hui établi.

Et le plus important est bien évidemment de mettre cet arsenal en place avec l’assentiment d’une majorité de la population.

Cette équation se pose à tous les gouvernements de par le monde et cela explique la similitude des réactions et actions gouvernementales. Certes adaptée à la réalité sociale ou culturelle de chaque pays, mais sur le fond toutes les politiques publiques convergent vers le même but.

Si aujourd’hui la crise du Coronavirus permet de faire accepter l’application d’un couvre-feu (dont l’efficacité contre la propagation du virus est encore à démontrer) par 90% des personnes concernées, qui peut savoir quels seront les impacts dévastateurs sur des individus privés d’une partie essentielle de leur existence : une vie sociale ouverte vers l’autre.

Vivre masqué et bâillonné et reclus n’est pas un mode normal pour l’espèce humaine qui a besoin de l’ouverture vers l’autre et d’exprimer ses pensées et ses sentiments à tout propos.

Interdire cela d’une manière si violente ne peut que mal se terminer : la masse ne reste pas éternellement amorphe, et que pourra-t-il se passer quand elle se réveillera…

*Hécatombe (Georges Brassens)

Au marché de Briv’-la-Gaillarde
A propos de bottes d’oignons
Quelques douzaines de gaill ardes
Se crêpaient un jour le chignon
A pied, à cheval, en voiture
Les gendarmes mal inspirés
Vinrent pour tenter l’aventure
D’interrompre l’échauffourée

Or, sous tous les cieux sans vergogne
C’est un usag’ bien établi
Dès qu’il s’agit d’rosser les cognes
Tout le monde se réconcilie
Ces furies perdant tout’ mesure
Se ruèrent sur les guignols
Et donnèrent je vous l’assure
Un spectacle assez croquignol

En voyant ces braves pandores
Etre à deux doigts de succomber
Moi, j’bichais car je les adore
Sous la forme de macchabées
De la mansarde où je réside
J’exitais les farouches bras
Des mégères gendarmicides
En criant: “Hip, hip, hip, hourra!”

Frénétiqu’ l’un’ d’elles attache
Le vieux maréchal des logis
Et lui fait crier: “Mort aux vaches,
Mort aux lois, vive l’anarchie!”
Une autre fourre avec rudesse
Le crâne d’un de ses lourdauds
Entre ses gigantesques fesses
Qu’elle serre comme un étau

La plus grasse de ces femelles
Ouvrant son corsage dilaté
Matraque à grand coup de mamelles
Ceux qui passent à sa portée
Ils tombent, tombent, tombent, tombent
Et s’lon les avis compétents
Il paraît que cette hécatombe
Fut la plus bell’ de tous les temps

Jugeant enfin que leurs victimes
Avaient eu leur content de gnons
Ces furies comme outrage ultime
En retournant à leurs oignons
Ces furies à peine si j’ose
Le dire tellement c’est bas
Leur auraient mêm’ coupé les choses
Par bonheur ils n’en avait pas
Leur auraient mêm’ coupé les choses
Par bonheur ils n’en avait pas