Voici une radiographie politique exhaustive des élections du 25 octobre 2020 au Grand conseil bâlois. Des élections marquées par un rapport de force entre 2 principales formations, les rouges-verts et les partis bourgeois, dans un contexte favorisant l’élection de femmes (42% des membres), sans système de quota ou de listes binômes comme en France, et la jeunesse, avec une moyenne d’âge de 47 ans. Le plus jeune député n’ayant que 19 ans.
Gouvernement: des résultats contrastés au premier tour
Les deux partenaires de la majorité rouge-verte qui a gouverné Bâle depuis 16 ans ont connu un sort très contrasté lors du premier tour des élections des sept membres du gouvernement de la ville et du Canton de Bâle-Ville du 25 octobre: Tandis que la seule socialiste qui se représentait, la ministre des finances Tanja Soland (SP), a été réélue en tête de liste avec de loin le meilleur résultat – 33 000 voix, presque 10 000 de plus que la majorité absolue requise – la présidente verte du gouvernement, Elisabeth Ackermann, n’arrivait qu’à la neuvième place avec un peu plus de 20 000 voix.
Sa cuisante défaite n’est pas la suite d’un échec de son parti, les Verts (GP), qui a au contraire gagné 4 sièges au Grand conseil, le parlement du canton élu en même temps (voir plus loin), mais est liée à sa personnalité qui manque de charisme et de l’éloquence nécessaire à cette position équivalente au maire d’une ville française avec le même nombre d’environ 200 000 d’habitants.
En outre, la gestion de son dicastère (subdivision d’une administration communale en département), qui comprend entre autres la culture, facteur essentiel pour le rayonnement et le prestige de la ville, laissait à désirer, et elle a notamment souffert de son conflit prolongé avec le directeur du musée historique qu’elle limogea peu avant les élections.
Au lendemain de sa défaite, Madame Ackermann annonça qu’elle ne se représenterait pas au deuxième tour du 29 novembre.
La deuxième et la troisième place sur le podium électoral ont été gagnées par deux ministres sortants de partis bourgeois, le chrétien-démocrate (CVP) Lukas Engelberger et le libéral (LDP) Conradin Cramer. Le premier a “profité” de la crise du Covid-19 en tant que ministre de la santé et président de la conférence de ses homologues de tous les cantons suisses qui joue un rôle majeur dans le combat anti-corona, à côté du gouvernement fédéral.
Grâce à cette fonction sur le plan national, Engelberger a été très médiatisé les derniers jours encore avant l’élection, ce qui a certainement joué en sa faveur, ainsi que le fait qu’il a rempli sa double fonction d’une manière très crédible. Conradin Cramer, ministre de l’Éducation, a réussi à guider le système scolaire à travers la crise qui joue malheureusement les prolongations, en Suisse également.
Au quatrième rang du palmarès des candidats élus au premier tour figure le socialiste Beat Jans, homme politique bien connu et apprécié pour son approche pragmatique, qui a longtemps siégé au Grand conseil et depuis un an au Parlement fédéral à Berne.
Cinq candidatures pour trois ministères au deuxième tour…
Seulement quatre des sept sièges au gouvernement ont donc été reconduits au premier tour. Stéphanie Eymann, du parti libéral (LDP), arrivée à la cinquième place, une jeune femme de 41 ans, a manqué la majorité absolue de peu et a donc une bonne chance d’entrer au gouvernement au deuxième tour. Elle est néophyte en politique bâloise, mais elle provient d’une famille très politisée : son père était longtemps membre du Grand conseil et son oncle est le prédécesseur de Conradin Cramer en tant que ministre de l’éducation et siège depuis un an au Parlement fédéral.
Elle n’est pour autant ni “fille à papa” ni membre d’un clan familial, mais une personnalité avec une solide expérience professionnelle de juriste et de commandante de la police routière du canton voisin de Bâle-Campagne. Elle est suivie à la sixième place du podium par le socialiste Kaspar Sutter, réélu au Grand conseil, qui a donc une solide chance d’obtenir le troisième siège pour le PS. Il n’en va pas de même pour Baschi Dürr du parti bourgeois radical (FDP), le ministre sortant de la police et la justice, dont la gestion est critiquée tant par la gauche que par une partie de la droite, la première trouvant son action trop dure et la seconde trop molle.
En outre, Stephanie Eymann risque de lui faire de l’ombre avec son profil de cheffe de police. Une deuxième jeune femme, Esther Keller (36 ans), des verts libéraux (GLP), pourrait profiter de ce “duel” entre bourgeois. Elle siège au Grand conseil depuis une mandature et son parti, qui n’existe que depuis 13 ans, représente un courant écologique pragmatique et conciliable avec l’économie.
Les Verts “classiques”, qui considèrent le GLP comme un parti bourgeois, ont été tellement surpris par la défaite d’Elisabeth Ackermann qu’ils n’ont pas préparé une candidature alternative. Pour sauver tout de même la majorité rouge-verte, ils proposent, avec l’accord du Parti socialiste, Heidi Mück, une candidate du parti de gauche “Basta” (“Basels starke Alternative”), qui forme avec les Verts un groupe unique au Grand conseil.
Membre du parlement depuis longtemps et déjà candidate ayant échoué aux élections gouvernementales de 2016, Madame Mück est connue pour ses positions assez extrêmes : ainsi, elle réclame la nationalisation de l’industrie pharmaceutique, ce qui lui fera perdre beaucoup de voix d’électeurs et électrices bourgeois qui n’auraient pas hésité à donner leur soutien à une candidature verte. Une fois de plus, la verte libérale Esther Keller pourrait profiter de cette situation. Le camp rouge-vert a donc fait un choix qui risque de mettre fin à sa majorité au gouvernement.
Les autres candidates et candidats au gouvernement ont renoncé à se représenter au deuxième tour, dont celui du parti conservateur de droite SVP qui n’a obtenu que la moitié des voix nécessaires pour la majorité absolue. Son parti rate donc une fois de plus l’entrée au gouvernement, aussi parce que les autres partis bourgeois (LDP, CVP, FDP) n’ont pas voulu faire cause commune avec la SVP à cause de ses positions trop conservatrices et trop dures pour la politique plutôt pragmatique et conciliante des partis bourgeois bâlois.
…et trois candidatures pour la présidence du gouvernement
Les élections pour la présidence du gouvernement (cantonal) se font par scrutin simultané mais séparé, or nul ne peut prétendre à cette fonction s’il ou elle n’est pas en même temps élu(e) au gouvernement. Deux des candidates au premier tour, Stephanie Eymann et Esther Keller, avaient déjà simultanément brigué la présidence, sans y arriver à ce stade. Elles maintiennent leurs candidatures à ce poste, mais devront affronter une concurrence sérieuse de la part des socialistes.
Ceux-ci ont en effet désigné leur ministre déjà élu Beat Jans également comme candidat à la présidence, avec de bonnes chances d’obtenir ce poste, grâce à son expérience, sa personnalité conciliatrice et surtout son engagement écologique qui lui vaudra beaucoup de voix en provenance des Verts traditionnels, pour qui Stéphanie Eymann et même Esther Keller sont trop à droite. Pour souligner son côté écolo, Beat Jans a d’ores et déjà proposé que le service environnement, relevant actuellement du département de l’économie et des affaires sociales, soit transféré à la présidence qui chapeaute, en plus de la culture, l’urbanisme et les relations transfrontalières.
Cette proposition a causé un certain étonnement, même parmi les sympathisants de Beat Jans, car jugée inhabituelle en politique bâloise, et les deux candidates féminines à la présidence ont d’ores et déjà pris leurs distances avec ce transfert de compétence. La candidature présidentielle de Beat Jans contribuera donc beaucoup à rendre le deuxième tour encore plus intéressant que le premier !
Outre les considérations partisanes, le “facteur “féminin” jouera un rôle important, car, nonobstant la défaite d’Elisabeth Ackermann, nombre d’électrices – et d’électeurs – y compris parmi les bourgeois – préféreront avoir à nouveau une femme comme présidente de la ville et du canton, et non un homme, qui conservera son siège au gouvernement même s’il n’est pas élu président.
En présentant Beat Jans comme président, le parti socialiste a donc pris un deuxième risque, en plus de son appui à la candidature de Heidi Mück. Le deuxième tour promet donc de devenir encore plus intéressant – et plus imprévisible – que le premier. Affaire à suivre…
Les élections parlementaires en partie à contre-courant
Les élections au Grand conseil avec ses 100 membres ont eu lieu comme celles au gouvernement, simultanément et directement par vote populaire, mais sur des listes séparées sans lien institutionnel entre elles, de sorte que les résultats des élections législatives ne correspondent pas automatiquement à ceux des gouvernementales. Les différences qui en résultent entre les parlements et gouvernements sont une spécificité suisse qui permet d’éviter qu’un parti n’obtienne trop de pouvoir et de mieux contrôler les exécutifs cantonaux et municipaux (qui à Bâle, ville-canton, forment un seul gouvernement).
Un parti qui a gagné des sièges au gouvernement peut donc en perdre au parlement, et vice-versa. Ainsi, les socialistes qui ont obtenu un bon score au gouvernement lors du premier tour, perdent 4 sièges au Grand conseil, mais restent le plus grand parti dans cette assemblée, avec 30 sièges. D’autre part, les Verts, qui ont perdu la présidence du gouvernement, gagnent 4 sièges pour arriver à 18, de sorte que la coalition rouge-verte sortante est constituée à nouveau par les deux partis les plus forts au parlement, comme par le passé, à égalité avec les partis bourgeois, les deux sièges restants n’appartenant à aucun des deux camps.
Les partis chrétiens-démocrates CVP et libéraux LDP n’ont pas profité des bons scores de leurs représentants élus au gouvernement et gardent leurs sièges inchangés par rapport à la législature précédente, avec 7 et 14 respectivement. Le parti radical FDP, autrefois le parti bourgeois le plus fort, perd 3 sièges pour descendre à 7, à égalité avec le CVP, et le SVP conservateur de droite perd 4 sièges et descend à 11. Le parti vert-libéral GLP a doublé ses sièges de 4 à 8 et gagne ainsi autant que son “concurrent” vert.
On peut donc sans aucun doute parler d’une “onde verte”, car si les deux partis de cette couleur étaient réunis, ils arriveraient à 26 sièges, 4 seulement de moins que les socialistes. Mais pour le moment, il ne semble pas que les deux partis écologistes surmonteront leurs différences, comme l’avaient fait par le passé les deux tendances des Verts allemands, les “réalos” et les “fondamentalistes”. Et même si cette union se faisait un jour à Bâle, il resterait à convaincre les deux partis sur le plan national suisse.
Quoiqu’il en soit, le débat sur le climat, qui est vif en Suisse, n’est certainement pas non plus étranger à ce développement ! Dernier exemple de l’écart entre résultats législatifs et exécutifs : le parti évangélique (EVP) a triplé le nombre de ses sièges de 1 à 3, mais sa candidate au gouvernement est arrivée loin derrière, à la 11è place sur un total de 13 candidatures.
Pour résumer, on peut donc dire que les élections parlementaires n’ont pas changé le rapport de forces entre les partis rouge-verts et les partis bourgeois, mais bien celui à l‘intérieur des deux camps, les Verts gagnant aux dépens des socialistes, et les Verts libéraux aux dépens des partis bourgeois. Bâle sort donc de ces élections comme une ville encore plus “verte” qu’auparavant, même si les résultats du deuxième tour des élections gouvernementales ne devaient pas confirmer cette tendance. Les élections au gouvernement prouvent une fois de plus qu’à Bâle, la personnalité d’une candidate ou un candidat compte plus que son affiliation partisane.
Le Grand conseil bâlois avec un quart de nouveaux membres est d’ailleurs le parlement le plus féminin de Suisse avec 42% de femmes, et ceci sans aucun système de quota ou de listes binômes comme en France. Trois partis, CVP, SP et Verts comptent même une majorité féminine dans leurs groupes parlementaires. Le parlement bâlois est aussi parmi les plus jeunes de Suisse, avec une moyenne d’âge de 47 ans. Le plus jeune député n’a que 19 ans, un an de plus que le droit de vote, et sept autres – dont quatre femmes – ont également moins de 30 ans. L’âge moyen des membres du gouvernement après le deuxième tour devrait aussi se situer en dessous de 50 ans, car tous les élus, sauf Beat Jans qui va vers la soixantaine, ont moins de 45 ans, tout comme les candidates et candidats au deuxième tour, à l’exception de Heidi Mück qui est de la même tranche d’âge que son colistier Jans.
Seul bémol de ces élections : la participation au vote de seulement 41 %, à peu près la même que lors des élections de 2016. Mais il en va comme le verre à moitié vide ou plein : on peut interpréter ce pourcentage de deux manières : soit que ceux qui ne votent pas sont contents avec ceux qui les gouvernent, soit qu’ils s’abstiennent pour protester contre ceux-ci. Dans les deux cas, les absents ont toujours tort…
Hans-Jörg Renk
SP : Sozialdemokratische Partei
GP : Grüne Partei
CVP:Christlich-demokratische Volkspartei
LDP : Liberal-Demokratische Partei
FDP : Freisinnig-Demokratische Partei
GLP : Grünliberale Partei
SVP : Schweizerische Volkspartei
EVP : Evangelische Volkspartei