Notes et remarques suite à un entretien avec Roland Kauffmann, pasteur-animateur de Saint-Étienne Réunion
En septembre dernier, le Conseil presbytéral protestant de Mulhouse (l’instance qui réunit les paroisses protestantes calvinistes de la ville) dénonçait la convention qui confiait l’animation culturelle et spirituelle du temple emblématique de Mulhouse à l’association Saint-Étienne Réunion (SER), et qui, en vertu de cette décision, aurait à cesser ses activités dès avril prochain. La nouvelle aurait pu rester interne, mais elle a suscité rapidement des remous et des interrogations bien au-delà des tenants de la confession historique, un temps exclusive, de la ville.
UN BILAN CONSIDÉRABLE
Rien d’étonnant à cela : l’activité déployée par l’association depuis près de quarante ans n’est pas passée inaperçue, d’autant qu’elle s’exerce au cœur même de la ville. En terme de nombre de spectacles différents (essentiellement des concerts), elle égale la Scène nationale (la Filature), soit 70 environ annuellement, auxquels s’ajoutent des expositions et des conférences. SER s’est constitué au fil du temps un public conséquent, dont une bonne part s’était tenue jusqu’alors à l’écart des salles de concert.
L’idée d’ouvrir le lieu de culte à des activités culturelles avait germé chez quelques paroissiens au milieu des années 80, en convergence avec la volonté du maire de l’époque, Jean-Marie Bockel, de créer une offre de cette nature au milieu d’un environnement essentiellement commercial. D’autant que le principal lieu de diffusion culturel en ce temps était le Rallye Drouot, particulièrement excentré.
Après des débuts modestes (deux à trois concerts de chants sacrés par an), la programmation prend son essor en 1989 avec les « heures musicales » que propose Jean-Pierre Ballon, alors directeur du Conservatoire, avec l’intention de permettre aux grands élèves de l’école de faire leurs premières armes devant un public. Elles connaissent un succès régulier auquel le créneau horaire original retenu (les samedis à 17h) n’est pas étranger.
Jean-Louis Hoffet prend la direction de SER en 1989. Les quatre concerts du Festival de l’Avent sont reconduits d’année en année, et l’art contemporain fait son entrée dans le temple.
De la fin des années 90 à 2003, Sybille Klumpp devient animatrice de l’association, inaugurant, entre autres, des expositions sur les traditions religieuses mettant en avant l’œcuménisme, articulant le culturel et le cultuel.
Suit une longue période de vacances de quatre ans pendant laquelle quelques bénévoles maintiennent une activité néanmoins réduite.
Une brève tentative de reprise de direction de 2007 à 2008 échoue.
Puis, en 2009, Roland Kauffmann prend les rênes de l’association, dont Vincent Frieh est l’actuel président.
LE SPIRITUEL EST-IL SOLUBLE DANS LE CULTUREL ?
Il s’agissait, pour les membres fondateurs, d’ouvrir en grand les portes du temple à la population mulhousienne dans toute sa diversité. En faire un lieu « où je peux aller même si je ne suis pas protestant ». Mais « le projet d’une association culturelle en lien avec une Église et pleinement insérée dans son tissu social est quelque chose qui ne va pas de soi », dit Roland Kauffmann.
Si, en l’absence de l’assemblée des fidèles et au contraire d’une église catholique, le temple est un bâtiment neutre, un « hangar comme un autre », le pasteur-animateur entend néanmoins que les artistes tiennent compte de l’endroit où ils se produisent. Il est demandé à l’artiste « qu’il adapte son travail au lieu, soit un temple, d’en intégrer les dimensions symboliques ».
Le refus de tout prosélytisme n’écarte pas pour autant la volonté d’assurer une visibilité confessionnelle, de donner une image positive du protestantisme ; demeure, en toile de fond de l’offre culturelle, d’« une contribution historique et républicaine au pacte laïque », une préoccupation de dimension pastorale, celui de faire fonction de « sel de la terre »
« La culture française, européenne est imprégnée de christianisme », d’où l’accent mis sur les manifestations liées à la période de l’Avent conçues pour tenter de redonner du sens à la fête de Noël engluée dans le consumérisme.
« La culture pose toujours les mêmes problèmes existentiels indépendamment de l’appartenance confessionnelle ».
UN RÔLE SPÉCIFIQUE À JOUER DANS LE PAYSAGE CULTUREL MULHOUSIEN
Le choix d’une programmation populaire dans le bon sens du terme vise à la rendre accessible à tous. « On se situe dans la niche intermédiaire entre la proposition « Filature » et la proposition « Bangala » (ndlr : théâtre paroissial) ».
SER accueille des choses que la Filature ne prendrait pas. La différence de public entre celui d’un orchestre symphonique et d’un orchestre d’harmonie s’estompe : « à St-Etienne, on a les deux », avec le Collegium Musicum faisant l’interface.
Le temple accueille des choses qui ne se produiraient nulle part ailleurs. St Etienne est devenu un lieu où on peut aller quand on estime que la Filature, « c’est pas pour moi ».
La programmation de « valeurs sûres » permet d’alterner avec des prises de risque. Roland Kauffmann met en avant « la qualité d’écoute et le vrai silence » ressentis quel que soit le spectacle.
SER comble à sa manière, au moins en partie, le vide laissé par l’effondrement du réseau socio-culturel à Mulhouse, dont l’offre en terme de spectacles s’est réduite à peau de chagrin.
L’association privilégie la gratuité des concerts – avec plateau – et veille à ne pas dépasser 25 euros quand ils sont payants.
« L’équilibre financier doit venir de l’activité ». La Ville contribue au financement du fonctionnement de l’association à hauteur de 8000 euros, sur un budget annuel de 75 000 à 80 000 euros, soit environ 10 %. C’est peu en comparaison des 35 % que verse Strasbourg à l’association culturelle de l’église St-Thomas, mais cette contribution modeste est, selon Roland Kauffmann, un garant d’indépendance et de liberté de mouvement pour SER. « L’auto-financement est pour nous un indicateur de la pertinence de ce qu’on fait ».
Un point de vue que l’on peut comprendre dans le cas de figure, mais le rédacteur de ces lignes tient à préciser qu’il convient de ne pas ériger en modèle une aussi faible implication budgétaire des pouvoirs publics en matière de politiques culturelles, ce qui serait catastrophique.
« La SER est la Filature pour ceux qui n’en n’ont pas les moyens », sans doute, (réserve du rédacteur) mais il importe de s’interroger dans le même temps sur les raisons de cette absence de moyens, amplifiée par l’intimidation que suscite au sein des couches populaires la Scène nationale perçue comme réservée aux élites.
DEUX VISIONS DE L’ÉGLISE QUI S’AFFRONTENT
La crise ouverte en septembre par la décision du Conseil presbytéral de dénoncer la convention le liant à SER a des causes et des origines diverses.
Entre manifestement en jeu une vision ouverte et une autre fermée du « rôle social que doit jouer une Église ». L’organisation en 2016 au temple d’une manifestation autour du personnage de Harry Potter a provoqué des remous dans la communauté paroissiale, jusqu’à l’accusation de promotion de la sorcellerie (!)
Paradoxalement, le même Conseil s’oppose à l’organisation de cultes au temple Saint-Étienne alors que la convention stipule que Saint-Étienne est un lieu de culte à disposition des paroisses. Lors du décès du directeur du cabinet du maire, Roland Kauffmann a dû essuyer le reproche d’avoir « cédé aux riches et aux puissants » – en l’occurrence la municipalité -, alors que le défunt était légitime, en tant que protestant, à y être enterré.
Des reproches divers ont circulé, jamais formalisés. La résiliation de la convention aurait eu comme motif que SER aurait entrepris d’organiser, à l’horizon d’octobre prochain, l’inauguration du temple à l’issue des travaux de rénovation, ce en quoi l’association aurait « franchi la ligne rouge » : « c’était à la ville de le faire ». La Ville, par contre, outre les concerts et conférences prévus, n’aurait pas été habilitée à organiser un culte, indispensable pour garder la double nature du lieu, argue Roland Kauffmann.
En filigrane du conflit de visions, se trouve également un conflit de personnes, voire de personnalité.
Michel Cordier est pasteur de Mulhouse centre depuis 2004. Il n’a jamais caché son aversion pour le temple en tant que bâtiment architectural et s’en est récemment ouvert publiquement. Il semblerait qu’il soit très mal à l’aise avec la dimension du lieu, alors qu’il en est officiellement le pasteur.
Il a réussi à imposer ses vues dans un Conseil presbytéral en proie à la désaffection du corps électoral paroissial en désaccord avec leur pasteur qui ne supporte pas les divergences, le tout sur fond d’érosion du nombre de fidèles.
Le petit cercle fermé autour de Michel Cordier, alors que SER devrait rendre les clefs fin avril, a été dans l’incapacité d’élaborer un projet pour le temple. Rien n’est prévu, y compris pour la visite du public.
Roland Kauffmann s’interroge notamment sur l’avenir du projet de « Festival international de musique de Mulhouse ».
Les inimitiés de Michel Cordier n’ont pas que le temple et la franc-maçonnerie comme objets, elles ont également comme cible Roland Kauffmann en tant que personne, ce qui s’est concrétisé par des allégations à l’encontre de ce dernier aussi peu anodines qu’explicites : il aurait « fait des choses trop graves pour que je puisse vous le dire », jetant ce faisant une rumeur vague, vide de contenu et néanmoins diffamatoire en pâture aux paroissiens. Une lettre ouverte de Roland Kauffmann pour en savoir davantage n’obtiendra pas de réponse.
Derrière le flou des accusations, c’est évidemment aussi SER qui est visé.
UNE ISSUE QUI RESTE À ÊTRE CONSTRUITE
La Ville doit prendre ses responsabilités. Elle doit, a minima, assurer un arbitrage entre « le renard et la poule » et, dans un premier temps, réunir les protagonistes autour de la table et exiger du Conseil presbytéral un projet culturel cohérent.
Elle vient de voter une motion de soutien. C’est bien, symbolique, mais insuffisant.
SER remplit indéniablement une fonction originale dans l’animation culturelle de la ville et il importe qu’elle soit confortée et pérennisée.
Une solution, que SER est prêt à envisager, serait de rechercher dès à présent un successeur à Roland Kauffmann pour entamer une période de transition et assurer la continuité de l’animation culturelle et spirituelle du temple. Cela suffira-t-il à clarifier les rôles et obligations des trois partenaires ?
Il est significatif que l’initiative de la pétition de soutien à SER, qui, à ce jour a recueilli 2600 signatures, soit extérieure à l’association, émanant de Michel Wiederkehr, enseignant, dont une des activités consiste à faire visiter Mulhouse et pour qui le temple constitue une halte d’importance.
Un rôle plus moteur de la municipalité, pour consolider l’avenir de l’association, obligera à distinguer plus finement ce qui relève de la mission publique de ce qui appartient au registre confessionnel.
SER aurait dans la foulée probablement tout à gagner en coupant le cordon ombilical avec le Conseil presbytéral dont l’association est tributaire et qui vient de lui planter bien sournoisement un couteau dans le dos.
C’est toujours étonnant de lire un seul côté d’un conflit à deux personnes… manifestement en tant que media vous avez pris parti dans un conflit dont vous ne connaissez pas le contenu! Étonnant !
Il y a donc un conflit entre deux personnes seulement ? Et on ne peut régler un conflit entre deux personnes qu’en faisant disparaître une association active pour le bien commun ? Voilà qui est sans doute bien plus étonnant. Comme l’est la propension à tout de suite juger les médias indépendants, plus qu’étonnant, c’est étrange pour ne pas dire « sauvage » (sympa le pseudo, à moins que vous ne soyez la signataire d’un autre texte publié ici : https://www.alterpresse68.info/2022/02/20/mulhouse-des-complements-dinformations-et-prise-de-position-concernant-lavenir-du-temple-saint-etienne/ ? ) Dans ce cas, il est étonnant que d’un côté vous vous plaignez d’un parti-pris concernant et de l’autre publiez une prise de position unilatérale. Il est vrai que vous faites partie d’une Église dont les textes disent « que ta main droite ne sache pas ce que fait ta main gauche ». Dans d’autres milieux, ça porte un autre nom…
Salut,
Ce qui « m’épate », c’est qu’être croyant‑e et pratiquant-es ne dilue l’incompréhension volontaire, mais entretien la division, voire la haine, entre paroissien-nes. C’est bô la foi…
Mais ça, on le savait déjà, l’Histoire regorge d’égorgeurs « visiter » son voisin au nom de son dieu.
Il est vrai, que deux sons de cloches (les protagonistes) valent mieux qu’un, car le diable peut se cacher des les détails.