Description de l’animal politique, ses caractéristiques, et son milieu d’évolution
Commençons par rappeler à nos plus jeunes lecteurs et lectrices ce dont sont faites les diverses espèces de députés.
Lors des élections législatives organisées les 12 et 19 juin 2022, les électeurs désigneront les députés qui siègent à l’Assemblée nationale, deux mois après l’élection présidentielle.
Élu à l’Assemblée nationale, le député participe à l’exercice de la souveraineté nationale. Il vote la loi et contrôle l’action du gouvernement.
Son « indemnité parlementaire » est de 5 357,34 euros net par mois (correspondant à la moyenne des salaires les plus élevés des fonctionnaires). Il bénéficie aussi d’une « indemnité représentative de frais de mandat » (5 805 euros/mois), pour payer les frais liés à son mandat, et d’un « crédit collaborateur » (près de 10 000 euros/mois), pour rémunérer un ou plusieurs assistants en poste à l’Assemblée.
Il dispose également d’un bureau personnel et de divers avantages en matière de transports, comme la gratuité des trajets SNCF en 1re classe, d’une couverture sociale, d’une caisse vieillesse et d’une assurance chômage spécifiques.
Si les députés n’ont pas été réélus, ils peuvent prétendre à l’aide de retour à l’emploi (ARE), pour laquelle ils cotisent à hauteur de 28 euros mensuels (alors que pour un employé au SMIC la cotisation est de 35 euros !). Ils peuvent percevoir 100% de leur indemnité pendant 6 mois, puis elle est dégressive.
Toutefois, selon le site officiel de l’Assemblée nationale, le nombre de bénéficiaires de l’allocation est passé de 44 en 2012 à deux en 2015. On peut donc en déduire que les réseaux professionnels et sociaux, formels et informels, des anciens élus leur permettent de se recaser aisément ailleurs…
Il est vrai qu’alors que les employés et les ouvriers représentent la moitié de la population active, seuls 2 % des députés proviennent de leurs rangs. À l’inverse, les cadres et professions intellectuelles supérieures représentent 82 % des députés. La proportion d’ouvriers et d’employés élus à l’Assemblée nationale avait atteint son sommet historique en 1946, avec l’importance du Parti communiste français lequel facilitait les promotions sociales et professionnelles.
La proportion du nombre de députés d’extraction modeste a constamment décliné depuis l’après-guerre, ainsi que le montre l’observatoire des inégalités.
A ce sujet, le site internet de l’Assemblée pratique l’euphémisme à haute dose. A la page : « Les députés sont-ils à l’image de la société ? », on peut y lire que :
« Si l’Assemblée n’est pas une reproduction à l’identique de la répartition des catégories socio-professionnelles française, on y trouve 2,6% d’agriculteurs (la population française en compte 1,8%), 9% d’artisans et commerçants (ils sont 6,6% au niveau national). Les cadres (32%), les fonctionnaires (22,5%) et le les professions libérales (8,5%) sont davantage représentés tandis que les employés, les ouvriers ou les retraités sont moins présents ».
Assemblée Nationale
Moins présents ? Il suffit de le vérifier dans le délicieux camembert mis à votre disposition sur la page, à la condition qu’il ne vous coupe pas l’appétit :
L’Assemblée nationale est composée de 577 députés.
Chose particulière à retenir : bien qu’élu dans un cadre local et géographique déterminé, le député est supposé être le représentant de la nation tout entière.
Ainsi, à l’Assemblée nationale et dans sa circonscription, chaque député agit et parle au nom de l’intérêt général et non pas au nom d’un parti politique, d’un groupe d’intérêt ou d’une région. Les collectivités territoriales sont l’affaire des sénateurs, censés représenter les départements et régions… malgré l’existence d’élus départementaux et régionaux.
Et ne dites pas que le Sénat ne sert à rien ! Il peut, de temps en temps, prouver le contraire au public, en déclenchant des commissions d’enquête, comme celle concernant le scandale Mac Kinsey, lors de la « Commission d’enquête sur l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques ».
Donc, 577 députés est égal à 577 circonscriptions dans le cadre desquelles se déroule l’élection de chaque député. Elles sont délimitées par le code électoral à l’intérieur de chaque département, en fonction de l’importance de la population. Nous y reviendrons, notamment pour Mulhouse.
Pour pouvoir être élu député, il faut avoir 18 ans révolus, disposer de la qualité d’électeur et ne pas être dans un cas d’incapacité électorale ou d’inéligibilité. Il n’est pas nécessaire d’être inscrit sur la liste électorale d’une des communes de la circonscription législative dans laquelle le candidat se présente.
Quel mode de scrutin ?
Les députés sont élus au scrutin direct universel majoritaire uninominal à deux tours par circonscription. Depuis 1958, toutes les élections se sont déroulées selon ce mode de scrutin, à l’exception de l’élection de 1986, qui s’est déroulée au scrutin proportionnel plurinominal au suffrage universel direct, à un tour. C’est à cette occasion que 35 députés du Front National de Jean-Marie Le Pen furent élus.
Pour être élu au premier tour, il faut recueillir la majorité absolue des suffrages exprimés et un nombre de voix au moins égal au quart des électeurs inscrits. Au second tour, la majorité relative suffit.
Pour pouvoir se maintenir au second tour, un candidat doit obtenir au premier tour un nombre de voix au moins égal à 12,5% du nombre d’électeurs inscrits dans la circonscription.
Combien de députés ?
En valeur absolue (chiffre brut), la France est aujourd’hui le troisième pays de l’Union européenne à comptabiliser le plus de parlementaires. Comme le relève Le Figaro, le Royaume-Uni est le premier, avec 1410 parlementaires, suivi de l’Italie, avec 950, puis la France, avec un total de 925 parlementaires (577 députés et 348 sénateurs). En Allemagne, on en compte 778, 616 en Espagne, 560 en Pologne, 465 en Roumanie et 349 en Suède.
Une réforme du nombre de parlementaires avortée… en France
L’Italie vient de décider par référendum la réduction de 30% du nombre de députés et sénateurs. Le chiffre italien était aussi pléthorique que chez nous : on comptait en effet 945 députés et sénateurs (dont 5 à vie !). En France une idée symétrique, y compris quant au volume de réduction envisagé, fut exposée par le gouvernement Philippe en 2018, puis disparut des radars médiatiques.
On invoque le motif de l’échec à l’impossible accord du Sénat, tenu par la droite conservatrice. Mais l’essentiel n’est pas là, car une réduction du nombre de députés signifie d’abord la révision des 577 circonscriptions actuelles… Donc un redécoupage de la carte électorale.
Un travail à hauts risques entrepris par Alain Marleix, secrétaire d’État à l’Intérieur et aux Collectivités territoriales dans le gouvernement François Fillon II, en 2009. Objectif de ce redécoupage affectant 67 départements, rééquilibrer démographiquement les 577 circonscriptions dessinées par Charles Pasqua…
Le Haut-Rhin y perdra la 7ème circonscription, soit 1 député, mais nous aurons l’occasion d’y revenir dans un prochain article.
Un redécoupage, ça prend du temps. Il s’agirait de veiller aux équilibres entre les villes et les campagnes. Mais l’exercice est politiquement périlleux. Toute réforme de la carte électorale entraînant des accusations de tripatouillage, et offrirait un boulevard à l’opposition.
L’affaire Cahuzac entraine avec elle la fin du cumul des mandats, avec l’idée que les politiques usent et abusent de leurs avantages.
Mais le mouvement des gilets jaunes redistribuera les cartes, et va paradoxalement permettre d’enterrer la réforme. Car si l’oligarchie y est régulièrement dénoncée, elle l’était au même titre qu’un déficit de proximité politique, que la disparition des services publics, et l’éloignement de l’action publique en général.
Or supprimer des parlementaires signifie mécaniquement agrandir les circonscriptions, donc éloigner encore les députés des citoyens, et accroitre de fait les pouvoirs d’un Macron abhorré par les gilets jaunes, en lui permettant de piétiner davantage une chambre des représentants qu’il considère comme une chambre d’enregistrement d’Ancien Régime.
Au reste, le nombre de parlementaire français peut certes paraitre important, comme on le remarque dans le classement ci-dessous, qui projette également les effets de la réforme française qui n’a pas eu lieu :
Cependant, quand on projette le nombre de parlementaires par habitant, on voit que la France est de ce point de vue mal dotée, respectivement à nombre de ses voisins :
Régulation et autodétermination démocratique
Dans tout pays démocratique occidental, la fonction de régulation démocratique procède du pouvoir législatif. Dans le contexte de la cinquième République, dans lequel l’exécutif est très puissant, rien n’est moins vrai.
A contrario, les institutions démocratiques tendent à la dévitalisation en raison d’une sous-représentation du corps électoral, et notamment de l’effacement de l’électorat populaire au sein de la représentation nationale, comme on l’a vu plus haut.
Non seulement les institutions ne sont plus adaptées aux rapports de force électoraux consacrés par l’élection présidentielle de 2022, mais elles révèlent pleinement l’incapacité foncière et la cessité des élites politiques à prendre en compte la demande sociale d’un pouvoir largement partagé.
Contrairement à François Hollande, incapable de la moindre autocritique, l’ancien Premier ministre Jospin expliquait le 25 avril dans « Le Parisien » que « Le président réélu va retrouver un pays frustré, divisé et troublé à l’aube d’un second quinquennat incertain ».
Le scrutin majoritaire se traduit par une importante distorsion entre les suffrages exprimés par les électeurs et leur transformation en sièges à l’Assemblée nationale. Et l’inversion du calendrier électoral, plaçant les législatives après les élections présidentielles n’a rien arrangé.
Par ailleurs, la dernière présidentielle consacre une forme de tripartition politique du pays, qui ne peut qu’exacerber le sentiment de frustration des électeurs, puisque seul un tiers de ses représentants concentre le pouvoir, aussi bien au niveau du pouvoir exécutif que du législatif.
L’hypothèse de l’adoption d’un mode de scrutin proportionnel ne résoudrait guère de nombreux problèmes politiques, car les interactions entre ces trois pôles resteraient, quoi qu’il en soit, pour le moins compliquées, et la capacité à former un gouvernement n’aurait rien d’aisé, quand les idéologies des trois composantes sont adverses.
A cet égard, on observe en Italie une sorte de distorsion paradoxale. Le modèle transalpin permet pourtant bien a chaque sensibilité politique d’avoir voix au chapitre en matière de représentativité, car le mode de scrutin relève essentiellement du scrutin proportionnel.
Mais de ce fait, la composition des gouvernements (1 par an en moyenne depuis l’après-guerre) est aléatoire. La proportionnelle oblige de fait chaque composante politique au compromis, voire à la dilution pure et simple de ses prétentions, dans le cadre d’une coalition gouvernementale mise au service d’un « président du Conseil » supposément en position de surplomb par rapport à la mêlée politicienne (exemples des gouvernements « techniques » Monti, et aujourd’hui Draghi, tous deux issus de la technostructure européenne et de la banque d’affaire Goldman Sachs).
Le choix de ce mode de scrutin étant lui-même la conséquence du résultat des législatives italiennes de 2013. Le centre-gauche/centre-droit et le Mouvement 5 étoiles (M5S) se trouvaient en fractions de taille équivalente.
Le gouvernement représentait donc plutôt mal la population car une partie importante des électeurs se trouvaient exclus de toute représentation. En l’occurrence, le tiers représenté par la gauche non sociale-démocrate. Par ailleurs, le mode de scrutin italien comprenait alors une prime majoritaire qui débouchait sur une distorsion comparable au système à deux tours à la française, lequel fabrique de toute pièce une majorité absolue à partir d’une majorité relative.
Le problème de la sous-représentation d’une bonne partie du corps électoral se retrouve à l’identique en France. En considérant l’actuel mode de scrutin, les deux tiers de l’électorat ne plébiscite pas et ne se reconnait pas davantage dans les idées du Président et/ou de sa majorité potentielle, à l’orée de ce second quinquennat.
Cela se vérifie aisément par le graphique publié par notre confrère Elucid.media à partir des données issues de Ifop-Fiducial :
Seul un tiers des Français (32%) souhaite en effet que Macron obtienne une majorité aux législatives. 68% souhaiteraient au contraire une cohabitation...
Ce n’est pas le moindre des paradoxes : à partir d’institutions favorisant la distorsion politique, créée au nom de l’efficacité, et de la seule capacité à former facilement et durablement un gouvernement, on génère de la défiance politique. Contribuant ce faisant à renforcer ce dont l’économiste Jacques Généreux annonçait l’avènement dans l’un de ses ouvrages : « La dissociété ».
C’est à dire une « force centrifuge qui éclate en éléments rivaux les composants autrefois solidaires d’une société humaine. Un processus de destruction des liens sociaux, au profit du culte de la performance individuelle et de la compétition ».
Face à cette menace à laquelle le second mandat de Macron ne manquerait pas de nous exposer radicalement, et dans le sillage d’une bonne dynamique de campagne présidentielle pour Les insoumis, le moment était opportun pour se saisir de cette élection, afin de la subvertir fonctionnellement.
Les partisans de l’Union populaire transforment ainsi, l’air de rien, et tout en restant fidèle à la lettre de la Constitution, l’élection législative en un troisième tour par procuration, avec des airs de contre-pouvoir électif, dans un pays où l’ensemble des systèmes de régulation institutionnels semblent s’être effacés devant la volonté de l’exécutif, tout au long des cinq dernières années de mandat présidentiel.
A l’exception notable du « Défenseur des droits », resté droit dans ses bottes d’emmerdeur institutionnel à pas feutré, au prix d’un souverain mépris de toute la macronie.
Les chercheurs en sciences sociales confirment que la demande sociale en contre-pouvoirs est manifeste. Pour autant, la mécanique institutionnelle s’ouvrant à une lichette, dosette, noisette de proportionnelle, à l’intérieur d’un mécanisme politique aussi épuisé que celui de la 5ème République, ne servirait pas à grand chose.
D’autant qu’une proportionnelle appliquée à l’état du rapport de force politique actuel transformerait à coup sûr le champ politique national en Italie bis. Car comment rallier plus de la moitié d’un électorat sur la base d’un programme aussi ambitieux et radical écologiquement et économiquement, que celui proposé par « L’avenir en commun », soit « L’harmonie des êtres humains entre eux et avec la nature » ?
Moralité : agir par la petite porte législative, moyennant un accord avec les partis de gauche et en visant le bénéfice du scrutin majoritaire pour soi est certes un procédé tactique ou fonctionnel opérant, mais il n’a pas d’avenir politique, tant il procède du fait accompli antidémocratique.
Jusqu’à présent le scrutin majoritaire n’a profité qu’au clan Macron, qui risque de s’y lover une fois encore, et jusqu’en 2027, tant il ratisse ardemment et habilement les fonds de tiroirs du pire, jusqu’à en investir une personnalité aussi discréditée que Manuel Valls comme candidat à la députation…
Mais le système à la proportionnelle intégrale n’est pas plus désirable pour autant. Cette voie pourrait paradoxalement fabriquer de la résignation démocratique, c’est à dire de l’impuissance, via de permanents compromis, sinon des compromissions, comme on le voit encore aujourd’hui en Italie, ou l’attelage gouvernemental aux affaires, aussi funambulesque soit-il, va de l’extrême droite de Salvini (La Ligue), jusqu’au centre gauche (Parti démocrate, PD).
Face à ces menaces, les outils de la démocratie directe devraient prendre le pas sur les mécaniques institutionnelles, et l’on voit mal, compte tenu les contradictions et tensions démocratiques en cours, comment le bloc bourgeois néolibéral qui préempte l’ensemble des outils et leviers de pouvoirs depuis 50 ans pourrait y résister 10 de plus !
Il ne s’agirait plus seulement de garantir le bon fonctionnement d’organes de contres-pouvoirs formalisés, agissant sur demande expresse de groupes de citoyens s’estimant lésés par une option politique mise en oeuvre à leur détriment, à tort ou à raison, mais de rééquilibrage politique, permettant aux citoyens de se réapproprier la juste part de souveraineté effective qui leur revient.
En tant que sujet politique, libre de disposer et de délibérer, que ce soit par le moyen d’un référendum d’initiative citoyenne (RIC), ou des systèmes de désignation des représentants populaires, ainsi que des mandats dont ils sont pourvus effectivement.
Ce tour de force politique n’est sans doute pas à la portée d’un gouvernement de cohabitation, aussi résolu et bienveillant soit-il à cet égard.
Mais il figure une direction, et en escomptant un élan populaire, il permettrait peut-être de convaincre les classes moyennes paupérisées qui alimentent le vote pour l’extrême droite de manière pavlovienne, au point de lui concéder un tiers des suffrages, de lui en prodiguer plus de 50% dans certains bourgs, villages périphériques, ou même collectivités territoriales petites ou moyennes, de cesser de le faire…
Pourtant, assécher les raisons profondes du vote lepéniste dans l’électorat ouvrier s’annonce sans doute comme la tache la plus éminente, ardue et urgente à laquelle s’expose la gauche, qui aujourd’hui fait front commun le temps d’une élection, pour ne pas ruiner dès maintenant l’hypothèse d’une alternative sociale et écologique d’envergure, et son effet d’entrainement politique.
Dans une seconde partie à venir, nous porterons la focale sur un enjeu local, à savoir les deux circonscriptions de Mulhouse : la 5° et la 6° circonscriptions du Haut-Rhin.
Salut,
Que le Sénat sert à quelque chose grâce à son enquête sur les cabinets conseils, relève juste le moins pire.
La Chambre Haute doit sa survie – je le rappelle – lors de la constitution de la 3° république (notamment d’Adolphe Thiers) en 1871.
Seule solution imparable afin que les monarchistes votent avec la droite républicaine et éviter ainsi une majorité à gauche du Parlement. On constatera de plus que le Sénat est toujours majoritairement de droite.
Pour s’en passer, il n’est pas impossible de prévoir un pouvoir supplémentaire à la Chambre Basse.
Mais JLM n’avait-il pas lors d’un précédent scrutin promis d’en finir avec le système bicaméral, s’il était élu ?!