La crise sociale frappe partout en Europe. Et durement. L’inflation est en train de ronger les revenus, les salaires, les retraites. Dans tous les pays, ou quasiment, les travailleurs se rebellent, mènent des grèves et trouvent des moyens d’actions originaux. En Allemagne, les deux plus grands syndicats du monde, Ver.di et IG Metall, exigent des augmentations de salaire au-delà de l’inflation annoncée et récusent fortement l’idée que les salariés devraient payer les conséquences d’une politique économique et sociale, identique dans tous les pays européens. Les mêmes causes produisant les mêmes effets : tous les pays sont concernés et, malgré une chape de plomb des médias pour ne pas en parler, les luttes sociales prennent de l’ampleur.
Cela a commencé dès janvier, en Espagne, où des millions de salariés sont entrés en action devant la paupérisation qui frappait la population espagnole, surtout les plus faibles. Les syndicats unis, CCOO et UGT ont arraché 6,7% d’augmentation, mais elle a été « mangé » par l’inflation et la mobilisation reprend de plus belle en cette fin d’été.
En Italie, les grèves se multiplient et la question sociale est au centre du débat préparant les élections du 25 septembre prochain qui risquent de porter l’extrême droite au pouvoir !
En Grande-Bretagne, les grèves se multiplient : du jamais vu depuis 30, voire 40 ans pour des secteurs comme le transport. Les postiers sont aussi prêts à lancer un large mouvement social.
Mais c’est en Allemagne que la pression se fait de plus en plus lourde sur le gouvernement et le patronat. Les grèves d’avertissement se succèdent et les discours lénifiants d’un pâle Olaf Scholz assurant que tout est sous contrôle ne rassurent pas les syndicats. Le chancelier s’est même aventuré sur un terrain glissant appelant les syndicats à « être responsable en modérant leurs revendications salariales » ! Avec un effet immédiat : les appels à la mobilisation se sont multipliés.
LA GUERRE A BON DOS…
Il y a aujourd’hui quelques économistes qui peuvent briser le silence et les « petits arrangements avec la vérité » des médias pour démontrer que l’origine de l’inflation n’a rien à voir avec la guerre en Ukraine. Même le prix des carburants était déjà en forte hausse avant le déclenchement du conflit.
Il faudrait chercher l’origine dans le « quoi qu’il en coûte » menée dans tous les pays européens (et pas seulement par Macron) durant l’épidémie du COVID où le libéralisme a endetté encore plus les États pour qu’ils soutiennent les entreprises. II était évidemment naturel qu’à un moment donné, les mêmes allaient présenter la facture aux citoyens. Les velléités guerrières de V. Poutine permettent aux gouvernements d’habiller les mesures d’austérité et de régression sociale… de l’argumentation de la « solidarité » avec l’Ukraine. Tout cela serait donc le prix à payer pour que cesse la guerre.
Les sanctions à l’égard de la Russie sont un élément supplémentaire justifiant la régression sociale. La guerre a bien évidemment aggravé la situation essentiellement pour le prix de l’énergie qui n’est pas près de s’arrêter de flamber.
LA FIN DE L’ABONDANCE !
On ne sait s’il faut en rire ou en pleurer. Le Président des Riches, fraichement (mal) réélu, se fend de paroles dont l’indécence frise l’irresponsabilité et devrait allumer les mèches d’un conflit social d’envergure. Comment peut-on utiliser le terme de « fin de l’abondance » quand on parle de personnes qui connaissent depuis des mois, voire des années, des reculs sociaux, une précarité de l’emploi, une peur de l’avenir… Abondance ? Pour qui l’abondance ? Pour les bénéficiaires du RSA ? Les indépendants de Uber Eat ? Quand le nombre de personnes descendu au seuil de la pauvreté augmente sans cesse ?
Ou bien parlait-il de ses amis, ceux qui aiment se déplacer en jet privé ou en yacht privé dont la location oscille entre 300.000 et 1.000.000 d’euros par semaine ?
Évidemment pas ! Ceux pour qui sonne le glas de l’abondance, c’est ceux qui devront réduire leur chauffage cet hiver, restreindre leur déplacement pour aller au travail (comment faire ?), pour se cultiver et se reposer… Voilà la cible de M. Macron…
Et de nous promettre quelques sucres d’orge supplémentaires : la réforme de l’assurance chômage et la réforme des retraites qui vont continuer à détricoter le filet de protection pour la majorité de la population…
L’EUROPE LIBÉRALE SUR LE MODÈLE ANGLO-SAXON
La vision du social développé par la culture anglo-saxonne est aux antipodes de nos pratiques peu ou prou inspirées du capitalisme rhénan dans lequel l’État assure une couverture sociale basée sur le principe collectif et solidaire.
Au contraire, la vision anglo-saxonne est caractérisée par la protection individuelle, et donc dans la mesure des possibilités de chacun. La solidarité ne peut être qu’œuvre de charités par lesquelles les plus fortunés se payent une bonne conscience. M. Gates peut bien amasser des milliards sans payer d’impôts… du moment qu’il crée une fondation qui finance quelques initiatives, la morale est sauve.
C’est contre cela que les luttes sociales du XIXe et XXe siècle en Europe ont lutté et ont réussi à imposer un autre modèle, financé sur une base solidaire.
C’est ce modèle qui est dans le collimateur de l’Europe libérale actuelle et les gouvernements nationaux sont sommés d’appliquer cette nouvelle doxa. Ce que M. Macron fait d’autant plus volontiers que cela correspond à ses propres principes.
LES ÉLECTIONS NE SUFFISENT PAS, IL FAUT PLUS…
Les élections dans tous les pays, ont chahuté les gouvernements sortants : la social-démocratie, pourtant un des promoteurs du capitalisme rhénan, s’est vautré dans la gangue financière et a perdu toute crédibilité. Certes, on peut considérer que les élections législatives françaises ont essayé de rétablir un semblant d’Assemblée nationale contre-pouvoir. Mais c’est évidemment un leurre ; Macron trouvera sa majorité pour les réformes qu’il veut faire auprès des LR, du Rassemblement national, et sûrement chez quelques écologistes et socialistes.
On ne peut donc pas compter sur une assemblée législative rejetant la fin du modèle social solidaire et collectif. Et tant que les règles démocratiques actuelles sont de mise, il n’y a aucune raison que la liquidation du Code du travail, des conventions collectives, des contrats solidaires, ne se poursuit pas.
Les syndicats français rejoignent les centrales syndicales des autres pays européens et même la Confédération européenne des syndicats (CES) multiplient les appels pour résister à ces opérations de liquidation de la dimension sociale (voir https://www.etuc.org/fr)
Mais le monde du travail n’a pas un rapport de force qui lui est favorable : certaines luttes aboutissent, bien sûr. Pourtant, la mobilisation des plus démunis est difficile avec les méthodes de luttes traditionnelles. Et on a vu que même le mouvement des gilets jaunes a pu être circonscrit par d’aimables paroles présidentielles et un relais médiatiques servilement au service du pouvoir.
DES MESURES CONTRAIGNANTES S’AMPLIFIENT
Une des armes les plus actives pour convaincre les populations de l’inanité des mouvements sociaux est bien évidemment les médias. Le matraquage dont ils font preuve, en répétant inlassablement les mêmes analyses, propos et éléments de langage servis par le pouvoir, ne laisse pas la population indifférente. L’idée qu’il n’y a pas d’alternative crédible à la politique libérale a fait son chemin… et a pour objectif de faire accepter leur sort aux plus démunis de notre société, ceux qui devraient être les premiers révoltés et résistants. Toute contestation dans les médias est bannie ou alors déconsidérée, voire traitée de « fausse nouvelle »… Et leurs auteurs sont cloués au pilori comme d’affreux complotistes.
Cette méthode a certes ses limites : plus de 50% des usagers des médias ne croient pas que ce qui est écrit, dit ou montré par les organes de presse soit la vérité !
Et de plus en plus de regroupements, de communautés, d’associations, se rebellent et cherchent des formes de luttes originales pour rassembler le plus de monde possible.
Le mouvement de désobéissance civile qui est en œuvre actuellement en Grande-Bretagne autour du refus du paiement des factures de l’énergie recueille un succès certain.
Les gouvernants craignent ces explosions de colères de ceux qui n’ont plus rien à perdre. Il faudra les ramener dans le droit chemin par la force s’il le faut. La répression guette et la promotion permanente des forces policières fait partie de cette volonté d’utiliser la violence et la force pour mater le peuple récalcitrant.
TROUVER LES PISTES D’UNE RENTRÉE SOCIALE RASSEMBLEUSE ET OFFENSIVE
Cette rentrée 2022 est essentielle pour l’avenir du modèle social de notre pays. L’avalanche de remises en cause des conquêtes sociales est justifiée par le pouvoir par la guerre en Ukraine. Il est de la responsabilité des mouvements syndicaux et associatifs de remettre l’église au milieu du village et d’ouvrir des perspectives à la population. Il y a suffisamment d’arguments pour démonter des propos assénant que cette crise est inéluctable, que l’heure est venue de se serrer la ceinture, que les jours heureux sont derrière nous.
Il est quand même fort de café d’entendre ces discours au moment où on peut lire :
- Les quatre compagnies qui dominent le marché des céréales ont vu leurs profits exploser avec l’augmentation des prix de l’alimentation à travers le monde, selon un article du Guardian, paru mardi 23 août 2022. Ces quatre grands acteurs, Archer-Daniels-Midland , Bunge, Cargill et Louis-Dreyfus, contrôlent 70% à 90% du marché. Leurs profits ont bondi de 17% pour Bunge, 23% pour Cargill et même 80% pour Louis-Dreyfus.
- Pour l’industrie pétrolière, le dernier trimestre a été particulièrement faste. Quinze des plus grandes entreprises du secteur ont réalisé des profits cumulés à 77 milliards de dollars, presque le triple par rapport à la même période l’an dernier. Pour l’ensemble du premier semestre 2022, leurs gains sont montés à 94 milliards. Une manne qui leur a permis de distribuer 30 milliards en dividendes et en rachats de titres (Le Temps, Suisse, aout 2022)
- Au premier trimestre 2022, les quatre premiers établissements bancaires français ont dégagé un profit net cumulé de 5 milliards d’euros, en dépit de la guerre en Ukraine. Bien qu’étant exposées à la guerre en Ukraine à travers leurs filiales à Moscou ou à Kiev, mais aussi par le biais des prêts accordés depuis Paris aux grandes entreprises russes, les banques françaises ont réalisé des résultats bien meilleurs que prévu au premier trimestre. (Le Monde)
- Industrie de l’armement : des lignes de production qui peinent à suivre la cadence, une envolée des cours en bourse et des demandes qui affluent de toute l’Europe: le réarmement mondial lié à la guerre en Ukraine est une aubaine pour les entreprises qui produisent des armes en Suisse (Swissinfor 29 avril 2022 )
- Le marché des armes ne connaît pas la crise. Les géants mondiaux du secteur ont été largement épargnés l’an passé par les effets de la crise économique provoquée par le Covid, avec un nouveau record de leurs ventes en hausse pour la sixième année consécutive, selon un rapport publié lundi 6 décembre 2021. Le chiffre d’affaires des cent plus grands groupes de la défense a atteint en 2020 un nouveau sommet de 531 milliards de dollars (470 milliards d’euros), dont plus de la moitié par les entreprises américaines (Les Crises 11 janvier 2022)
Le risque de lasser avec cette uniformité des informations quant à la santé des grands groupes capitalistes nous empêche de continuer cette litanie. Il est clair que la guerre enrichit le capital et appauvrit les peuples. Faut-il, une fois encore, l’accepter sans broncher ?