Michèle Lutz, maire de Mulhouse, est tout sourire en ce 29 septembre. Sans doute se persuade-t-elle déjà que son conseil municipal sera expédié paradoxalement sans encombre, c’est à dire en l’amputant, comme de tradition, de la moitié des points à l’ordre du jour, tout en le rendant aussi long qu’un symposium européen (4h46 minutes pour le conseil du 29 septembre !). Caramba, « Speedy Lutz » ne serait-elle donc pas assez productive ?
Quoi qu’il en soit, son discours introductif sur l’actualité, aussi génériquement insipide que possible, aura pour seul mérite de faire sortir Loïc Minéry (élu EELV) de ses gonds (voir plus bas). Elle y multipliera les « nous ». Sans doute l’effet d’un hommage royalement inconscient à sa très disgracieuse majesté, Élisabeth Alexandra Mary, morte à 96 ans des conséquences de sa (longue) naissance, du côté d’Albion.
L’examen du premier point à l’ordre du jour déclenche chez Michèle Lutz une exclamation des plus illustratives quant à la méthode mulhousienne : « Nous allons pouvoir dérouler ». Et en voiture Micheline !
Ce faisant, le conseil ne semble plus en réalité qu’un théâtre d’ombre. S’il est constitué comme une chambre d’enregistrement, où l’on pratique la gouvernance par voie de fait accompli, c’est d’abord parce que les scrutins municipaux sont conçus politiquement pour instituer des majorités écrasantes, dont on suppose qu’elles seraient gage d’un bon fonctionnement technocratique.
Mulhouse, comme tant d’autres grandes villes françaises, pratique une collégialité institutionnelle qui respecte le droit, dans la lettre, mais le viole dans l’esprit. Bafouant ainsi des règles démocratiques élémentaires, comme nous le verrons.
Le tout dans un contexte où l’exécutif mulhousien est, et restera, jusqu’aux prochaines élections, le plus mal élu de France, devant les municipalités de Vénissieux (Rhône) et de Vaulx en velin (Rhône)…
Rappelons qu’à Mulhouse, les quatre listes en lice n’ont drainé qu’une participation d’à peine 24,57 % du corps électoral. De sorte que Michèle Lutz, maire sortante, arrivée en tête du second tour avec 38,61 % des voix, ne représentait que 9,25 % des inscrits sur les listes électorales…
Vote ( p )unique
Lors du compte-rendu d’un conseil municipal, le journaliste chargé d’en relater la substantifique moelle (ou l’os à ronger), se fait fort d’en venir rapidement aux points essentiels de l’ordre du jour, après avoir négligemment esquissé le climat général de l’assemblée ou la qualité moyenne des échanges entre élus.
Mais sortir du cadre d’examen ordinaire d’un conseil municipal peut-être nécessaire lorsque sa pratique démocratique interroge sans cesse, et qu’aucun élu membre d’une assemblée qui constate cette dérive s’apparentant rien moins qu’à un déni démocratique ne le dénonce, à chaque fois qu’il en a l’occasion.
Le conseil municipal, instance de délibération définit par l’article L2121-29 du Code général des collectivités territoriales est chargé de « régler, par ses délibérations, les affaires de la commune ».
Sa définition est suivie est par la fréquence de ses réunions. De droit, le conseil municipal doit se réunir au moins une fois par trimestre, ou sur demande motivée d’au moins le tiers de ses membres, mais factuellement, il se réunit le plus souvent une fois par mois.
Déterminer un volume de réunion d’assemblée n’a rien d’un gadget administratif. C’est en revanche un marqueur qualitatif du débat public au sein d’un espace démocratique donné, à supposer que la pratique délibérative ne s’exerce qu’à l’intérieur d’une chambre des représentants du peuple, et non par les moyens que celui-ci se sera attribué lui-même, sous une forme ou une autre.
En matière de collectivité territoriale, la municipalité est l’assemblée dans laquelle la population se reconnait le plus spontanément, celle en laquelle il a le plus confiance : le maire reste l’élu le plus apprécié, pour 83%) des Français, à en croire un sondage de l’IFOP, et cela quelle que soit la sensibilité politique à laquelle ils adhèrent.
A contrario, la population juge sévèrement la longueur de la carrière politique de ses représentants (à 70%), leur rémunération excessive (à 66%) ainsi que la concentration des pouvoirs dans leurs mains (à 55%).
Pis, la défiance s’installe toujours plus à l’endroit des élus en général : seuls 30% des Français les jugent compétents, 26% proches des préoccupations des citoyens… et 20% honnêtes !
A propos de transparence et d’honnêteté, qualificatifs qui reviennent souvent dans les propos de Jean Rottner, vice-maire de la ville, il est plus que loisible de s’interroger sur la pratique, désormais courante au sein de son conseil, d’occulter, au plein sens du dictionnaire, c’est à dire « passer sous silence », plus de la moitié des points de l’ordre du jour.
Ne pouvant être « oubliés », sauf à risquer l’annulation des décisions qui sont prises en conseil, ces points sont alors adoptés sous la forme d’un « vote unique ». Les exécutifs invoquant en général leur passage en revue lors des commissions précédant l’assemblée municipale plénière.
Cette procédure, dite du « vote unique », est tolérée par la jurisprudence du Conseil d’État, mais elle est clairement circonscrite. La haute instance administrative a en effet récemment rappelé qu’il résulte de l’article L. 2121–20 du code général des collectivités territoriales (CGCT), que le conseil municipal doit se prononcer par un vote formel ou donner son assentiment sur CHAQUE projet de délibération.
Par exception toutefois, des délibérations ayant un objet commun peuvent donner lieu à un vote unique, si nul conseiller municipal, en séance, ne s’y oppose. Source : CE, 5 juillet 2021, n° 433537.
On voit ci-dessous les points à l’ordre du jour du dernier conseil municipal à Mulhouse. Surlignés en orange, les points qui ont fait l’objet d’un seul et même vote, au nombre de 27, sur les 54 points à examiner, soit un total de 50% :
convocation-et-ordre-du-jour-CM-29–09-22On remarque surtout que ces points n’ont que peu de rapports entre eux, à rebours des exigences du Conseil d’Etat : « Indemnités », « dotation », « projets », « aménagements », etc. Autant de délibérations publiques auxquelles les citoyens et citoyennes de Mulhouse sont donc privés de fait.
Petites et grandes commissions
Comme on l’a dit précédemment, l’opposition peut en effet échanger sur des sujets en rapport avec l’ordre du jour fixé par la majorité municipale dans les commissions qui précédent la tenue de l’assemblée municipale plénière.
Mais ces commissions sont elles-mêmes verrouillées par l’exécutif municipal. Le règlement intérieur du conseil, dont la dernière mouture date de 2017, et signé de la main de Jean Rottner, dispose de quelques bornes significatives, ainsi qu’on le voit dans les élément surlignés en orange dans le document ci-dessous :
2017-reglement-interieur‑2L’article 59 du règlement intérieur stipule, par exemple, que « les séances des commissions ne sont pas publiques », et l’article 61 que les séances y font l’objet d’un « compte-rendu succinct ». Dont on n’a pas retrouvé trace, soit dit en passant, mais c’est peut-être l’effet d’une négligence de notre part.
De ce point de vue, il parait donc aberrant que les oppositions municipales ne prennent pas en défaut l’antienne « transparence et hauteur de vue », si chère à Jean Rottner, et ne réclame à la majorité municipale la pleine application du droit et des pratiques démocratiques élémentaires, en exigeant, par exemple, de réunir un conseil municipal mensuel, où l’ensemble des points de l’ordre du jour seront enfin abordés et délibérés en état de transparence effective, comme cela a été demandé par l’un ou l’autre élu de l’opposition à l’occasion des derniers conseils.
Violence des échanges en milieu tempéré
Le fait que le conseil municipal du 29 septembre ait été considéré par plusieurs observateurs comme violent n’est pas vraiment pour surprendre, au regard de ce qui précède.
Le climat y était à couper au couteau (à beurre), et Jason Fleck, conseiller municipal (France insoumise), l’exprime sans ambages sur sa page Facebook : « Jamais un conseil n’avait été, de mon point de vue, aussi violent ».
L’opposition de gauche se heurte effectivement à un mur brut. S’il est vrai que ses propositions de réformes sociales et initiatives écologiques sont régulièrement raillées ou brocardées par la majorité, elle pâtit pareillement de l’atmosphère de défiance, voire de paranoïa, qui semble envelopper régulièrement les échanges entre élus.
Ainsi le discours introductif de Michèle Lutz, qui renvoie aux faits divers mulhousiens de l’été, croit y voir la main de « certains politiques [qui] ont une part de responsabilité dans cette dérive : entre ceux qui attisent les haines et ceux qui exacerbent la haine envers les forces de l’ordre. », radote son credo néolibéral : « Nous assumons d’être pour une croissance écologique, raisonnée et responsable », et dénonce « des postures médiatiques ou sur les réseaux sociaux confondantes par leur vacuité ; et les professeurs qui pensent pouvoir dispenser bons et mauvais points sont bien en décalage avec les attentes réelles de nos concitoyens », a fait bondir Loïc Minéry, chef de file de Mulhouse cause commune, l’opposition de gauche.
« Je vous interdis de m’attaquer par le biais de ma profession ! », avant de faire marche arrière et décrier les implicites et allusions de la majorité, devant les « mais pas du tout », et « prenons de la hauteur, Monsieur Minéry, élevons le débat » qu’envoie Rottner à « l’homme de qualité » qu’il est, après l’avoir toutefois admonesté parce qu’il voulait interdire quelque chose à la première magistrate de la ville et accusé de faire montre d’ « une forme de mépris » !
Des accusations et questions fusent de part et d’autre.
La gauche décline ses priorités, et accuse l’exécutif de faire l’autruche en matière climatique. On demande quelles sont les missions et les moyens supplémentaires donné au CCAS, nouvellement constitué sur la ville. Quel est le plan contre la précarité énergétique des ménages mulhousiens alors que l’hiver profile, et comment croire en la bonne foi de la majorité en matière d’écologie quand elle préserve des « panneaux publicitaires numériques de 2 m² qui consomment à l’année chacun l’équivalent de la conso énergétique de quatre familles… »
Les atsem se rappellent au bon souvenir de l’exécutif alors que l’on ouvre des emplois permanents des collectivités territoriales à des contractuels. Joseph Simeoni (Mulhouse cause commune) y voyant le signe manifeste de la dégradation du service public.
On questionne encore des subventions arbitraires, et le devenir du quartier DMC, transformé en laboratoire « façon start-up nation », que Jean Philippe Bouillé (adjoint à l’urbanisme et Président de Citivia) affectionne tant, puisque Macrono-Philippard depuis son transfert vers le parti « Horizon ». Sa démonstration du bienfondé de l’opération suscitera une expectoration de joie chez madame la maire : « autant de positivité, moi je prends ! »
Alain Couchot, président du groupe majoritaire, incarnera le good cop ce soir là. Il est chargé de la synthèse idéologique : « Le point commun à nos oppositions, c’est une vision apocalyptique de la ville… On ne peut pas considérer que tout va mal à Mulhouse. M. Minery, avec vous, tout est simple, on donne de l’argent, c’est plus complexe que ça… ».
C’est si vrai. Et quand l’on représente 9,25% des mulhousiens et mulhousiennes, et que notre pratique du débat public nourrit la défiance politique et la violence sociale, on doit assurément s’y connaitre en matière d’apocalypse…
Les délibérations sont disponibles ici.
Elle ne mérite pas avec une voix de 9%. Où est elle la démos et la kracia ? Une nouvelle élection si c’est la démocratie ?