Existerait-il une corrélation entre le fait de se soustraire de l’actualité, et la capacité à s’en trouver plus heureux ?
La question se pose à la lecture d’une enquête menée par la fondation Jean Jaurès, en partenariat avec la chaîne franco-allemande Arte et l’Obsoco (Observatoire Société et Consommation), un organisme de recherche qui se concentre sur l’analyse des comportements sociaux et de consommation, vient de publier une seconde enquête relative au rapport des citoyens face à l’information, et plus exactement l’actualité.
Le document illustre une crise significative dans la relation des citoyens à l’information, caractérisée par une fatigue informationnelle croissante et, ce faisant, un désengagement civique proportionné à cet épuisement cognitif.
Malgré un intérêt pour des sujets d’actualité, une majorité des citoyens se sent en effet submergée par l’information, éprouvant des difficultés à comprendre et à agir sur les enjeux qui les concernent pourtant au premier chef.
Plus de la moitié de la population se déclare fatiguée de l’information, en l’assortissant à un sentiment d’étouffement dû à la répétition des mêmes informations et un trop-plein qui empêche de prendre du recul, et en rendant difficile, voire impossible, la hiérarchisation de l’information.
Le phénomène est exacerbé par des émotions négatives telles que l’angoisse et l’énervement, qui semblent dominer l’expérience informationnelle.
Les auteurs soulignent la nécessité d’un réengagement des citoyens avec l’information, en favorisant des formats plus accessibles et en renforçant l’éducation aux médias.
Et pour contrer cet exode informationnel, il leur parait crucial de privilégier la qualité de l’information sur la quantité, afin de restaurer un lien constructif entre médias et public.
Les chiffres paraissent accablants : 80 % des Français se sentent incapables de comprendre ou d’agir sur les évolutions du monde. Un mécanisme psychique de compensation se met alors en branle, entraînant des comportements compulsifs et un désespoir face à l’humanité,
83 % des Français exprimant ce sentiment de compulsivité souvent motivées par une anxiété ou un besoin de soulagement, comme le “binge scrolling” sur les réseaux sociaux (c’est à dire faire défiler de manière excessive et prolongée du contenu sur les réseaux sociaux ou d’autres plateformes numériques, souvent sans but précis.ou la recherche excessive d’informations).
Des comportements susceptibles d’entraîner une fatigue mentale et un stress accru, affectant la qualité de vie des individus, car il relève alors de phénomènes d’addiction, où la volonté de se déconnecter se heurte à une incapacité à le faire…
A l’égal de la souffrance de nombreux adolescents qui deviennent tributaires de réseaux sociaux jusqu’à en éprouver une sensation de nausée, voire des pulsions suicidaires.
Si l’accès à l’information engendre de la souffrance, comment alors escompter sur la capacité des citoyens à participer activement à la vie démocratique tout en préservant leur santé mentale ?
Ce que ne dit pas nettement l’étude, est que c’est d’abord la vacuité de l’information, sa répétition, et la propension qu’ont nombre de journalistes à considérer comme important ce qui ne l’est fondamentalement pas. En témoigne les études sur la confiance dans les médias, traduites par le baromètre La Croix-Kantar.
Il semble que les citoyens choisissent de se détourner alors des sources d’information traditionnelles, entraînant alors un “exode” (présenté négativement par les rapporteurs), vers des espaces alternatifs d’information, supposés nuire à la santé démocratique et à la capacité des individus à prendre des décisions éclairées.
Pour les auteurs, ces “espaces d’information alternatifs” sont constitués par des plateformes ou environnements dans lesquels les individus se réfugient pour consommer des informations en dehors des médias traditionnels, souvent en raison d’une méfiance envers ces derniers.
Ces espaces peuvent aussi bien inclure des réseaux sociaux, des forums en ligne, ou des groupes de discussion qui favorisent des points de vue non conventionnels, ou des théories du complot. Ils soulignent une tendance à la polarisation et à la désinformation, contribuant, selon les auteurs, à un exode informationnel et à une rupture du “pacte républicain”, sans que celui-ci ne soit clairement défini.
Les “pratiques actives d’information” désignent des comportements engagés dans la recherche, la discussion et le partage d’informations, tels que commenter des actualités ou échanger des opinions avec d’autres. Ces pratiques impliquent une participation active des individus dans le processus informationnel, plutôt qu’une simple consommation passive. Actuellement, ces pratiques de sociabilité par l’actualité sont en déclin.
Ainsi, le modèle de presse rémunérée par ses lecteurs, se réduit comme peau de chagrin, avec une baisse de 3 points en 2022, illustrant une diminution de la volonté des Français de payer pour s’informer. Cela reflète par ailleurs une perte de lien entre les médias et leurs audiences, ainsi qu’un désengagement général vis-à-vis de l’information.
Intérêt déclinant pour les médias constitués
Ce faisant, l’importance accordée à l’information s’érode, et c’est surtout la part de ceux qui la jugent « très » importante qui décroît (-3 points). Une des manifestations les plus tangibles en est la baisse du nombre de médias utilisés pour s’informer. En 2024, les Français utilisent en moyenne 7,4 canaux d’information différents, contre 8,3 en 2022.
Cette baisse se traduit par une consommation quotidienne moins diversifiée, avec 31 % des Français utilisant plus de trois canaux d’information quotidiennement, un recul significatif de 8 points par rapport à 2022.
Le journal télévisé perd 4 points, de même que tous les autres formats : radio (-5 points par rapport à 2022), chaînes d’infos (-11 points par rapport à 2022), émissions d’actualité (-6 points par rapport à 2022), émissions de divertissement-actu (-8 points par rapport à 2022), presse (-1 point par rapport à 2022).
Seuls les réseaux sociaux ne subissent paradoxalement pas de retrait, alors qu’ils sont à la source de cet exode informationnel. TikTok, Facebook, Instagram, X et YouTube continuent de générer du trafic – pour s’informer, et échanger, quand presque tous les autres canaux d’informations connaissent une forme de reflux.
Ce qui n’augure hélas rien de bien folichon pour nos modestes médias indépendants, structurellement déficitaires, car leurs soutiens sont insuffisants, eu égard à l’utilité publique qu’ils rendent aux citoyens soucieux de voir documenter les faits et circonstances de ceux qui desservent l’intérêt public démocratique, ou lui soustraient des informations de premier ordre…
L’émission “Rhinocéros” diffusée par le média Blast, et visible sur YouTube, rend compte de ce phénomène avec ce qu’il faut d’alacrité, perspicacité et perfidie, à propos de la situation politique actuelle :