Le 9 février 2025 marquera probablement un tournant décisif pour l’engagement écologique chez nos voisins helvètes.
L’initiative populaire “Pour une économie responsable respectant les limites planétaires” cristallise de manière considérable les tensions sociétales et sociales entre impératifs environnementalistes d’une part, et pragmatisme néolibéral, sous la forme du continuum économique de vigueur en Suisse, comme dans l’ensemble des pays occidentaux.
Portée par une coalition progressiste comprenant Les Vert-e-s, Le Parti socialiste et Greenpeace, l’initiative référendaire représente une tentative significative de proposer une transformation radicale du modèle économique helvétique.
Elle est soutenue par ailleurs par plus de 80 scientifiques et a recueilli 105 940 signatures préalables (il en fallait au moins 100 000 sur 18 mois).
Le comité d’initiative qui soutient ce referendum propose une métamorphose environnementale aux objectifs spectaculaires :
- Une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 90% sur 10 ans
- Une réduction des atteintes environnementales liées à l’azote de 50% sur la même période
Transformations radicales
Les effets bouleverseraient l’ensemble du tissu économique et social suisse, et les conséquences en seraient multidimensionnelles.
En matière de consommation : avec une restriction drastique des modes de vie actuels, impliquant des changements profonds dans l’alimentation, le logement, la mobilité et les loisirs.
Sur les entreprises : avec l’obligation d’une mutation technologique et organisationnelle en moins d’une décennie, et des investissements massifs dans l’innovation verte.
Le patronat helvète a rapidement agité le chiffon rouge en apprenant la validation de l’initiative. Il pointe un risque significatif sur l’emploi, par la délocalisation des activités industrielles, et de potentielles restructurations des secteurs économiques traditionnels. Voyant en outre une augmentation probable des coûts de production, répercutée directement sur le consommateur, lesquels creuseraient potentiellement les inégalités sociales.
Le Conseil fédéral, autorité exécutive, composée de sept membres élus par le Parlement pour un mandat de quatre ans, qui assume les fonctions de chef de gouvernement et de chef d’État, a déjà manifesté son opposition au texte, anticipant des coûts considérables pour l’économie et la société.
Les autorités confédérales soulèvent également le souci de respecter des accords commerciaux, mais craignent d’abord, et surtout, un affaiblissement de la position économique helvétique sur les marchés internationaux.
Contexte environnemental préoccupant
Les données écosystémiques helvètes sont cependant aussi alarmantes que partout ailleurs en Europe :
- A peine 13,4% du territoire est consacré à la conservation
- Un tiers des espèces animales sont menacées
- La moitié des milieux naturels sont en danger
- La diminution de la biodiversité atteint les 75%
Pour autant, la Suisse n’est pas totalement aveugle aux enjeux écologiques. En juin 2023, le pays votait à 59,1% pour une trajectoire volontaire vers la neutralité carbone, avec :
- L’engagement d’atteindre zéro émission nette d’ici 2050
- Un budget de plusieurs centaines de millions de francs suisses annuels pour financer une “transition énergétique”
Toutefois, le rejet de l’initiative sur la biodiversité en septembre 2024 (63 % d’opposition, à l’exception des cantons de Bâle-Ville et de Genève), suggère un scepticisme croissant de l’opinion suisse sur ces enjeux.
Dilemmes partagés
Quoi qu’il en soit, cette initiative écologiste illustre on ne peut mieux le dilemme contemporain auquel fait face aujourd’hui l’ensemble du monde occidental : comment transformer radicalement un système socio-économique sans compromettre un principe de prospérité ?
Une équation qui semble relever de l’aporie, tant les moyens politiques et géopolitiques apportés à son étude et sa résolution demeurent indigents, voire gangrenés, par l’hubris technologique colporté dans le sillage des technocapitalismes-posthumanistes issus de la Silicon Valley, promettant des sociétés aussi autoritaires qu’ultralibérales…
A ce sujet, voyez l’excellent ouvrage de Thibault Prevost intitulé “Les prophètes de l’IA: Pourquoi la Silicon Valley nous vend l’apocalypse“.
Il est à craindre que le vote suisse du 9 février 2025 constitue un nouveau révélateur, ou fixateur, local, de l’incapacité globale des sociétés industrielles à s’affranchir de l’impasse creusée par son propre modèle de développement, et à pouvoir le repenser collectivement, face à des urgences écologiques multifactorielles, sans aucun précédent connu, dont l’anthropocène est le vecteur essentiel.