La vigi­lance sur le sens des mots nous paraît un enjeu impor­tant du moment. Notre glos­saire ins­talle une veille per­ma­nente. Après les mots Blas­phème, Boucs émis­saires, Cen­sure, Com­mu­nau­té, Impru­dence, Liber­té de la presse, Liber­té d’expression, Terrorisme/ ter­ro­riste : USA Patriot Act, Union sacrée dans la pre­mière par­tie et Char­lie dans une seconde, c’est au tour du mot laï­ci­té. D’autres suivront .

Loi de séparation des églises et de l'état

Fac-simi­lé de la page 1 de la Loi de sépa­ra­tion des églises et de l’é­tat conser­vé aux Archives Nationale

Vers une redéfinition ?
Désor­mais vou­lue «posi­tive et d’ouverture», «apai­sée» ou «res­tric­tive», décla­rée «fal­si­fiée», «rigou­reuse» ou «de com­bat», «d’intégration stricte» et som­mée de l’être encore plus et donc «moins accom­mo­dante», qua­li­fiée d’ «arme anti – reli­gieuse», convo­quée dans ses ver­sions «laï­ci­té point final» ou «laï­ci­té à la fran­çaise», voire simple faux – nez  de dis­cours pour par­ler en fait d’islam et de fou­lard, le mot est déci­dé­ment un «concept valise» (J.L Bian­co, pré­sident des l’Observatoire de la laïcité).

La laï­ci­té est-elle « une valeur uni­ver­selle, plus que jamais  neuve » (l’ «Huma­ni­té» du 17 sep­tembre 2013) ? Elle est en tous cas deve­nue cen­trale dans les affron­te­ments et ten­sions actuelles, insé­pa­rable des enjeux socié­taux que nous connaissons.

Rap­pel :
Un des ins­pi­ra­teurs des lois laïques de la troi­sième Répu­blique défi­nis­sait la laï­ci­té, terme alors nou­veau, comme dési­gnant la sécu­la­ri­sa­tion des ins­ti­tu­tions poli­tiques d’un État, à savoir que cet État ne s’adosse à aucune reli­gion offi­cielle, ni ne sup­pose quelque onc­tion divine ; le prin­cipe de sépa­ra­tion des pou­voirs poli­tique et admi­nis­tra­tif de l’État en est une appli­ca­tion ; croyances qui ont rap­port à la reli­gion et reli­gions sont donc stric­te­ment pri­vées, sans rap­port direct avec la marche de l’État, dans les limites de l’ordre «public»

Le terme même de «laï­ci­té» est contem­po­rain de la Com­mune de Paris qui vota la sépa­ra­tion des Églises et de l’État en 1871.

La loi du 9 décembre 1905 rela­tive à la sépa­ra­tion des Églises et de l’État consa­cra ces prin­cipes de non – ingé­rence et de sépa­ra­tion avec les ins­ti­tu­tions religieuses.

Ces prin­cipes ne se sont appli­qués qu’en France métro­po­li­taine, ce qui a pu poser quelques pro­blèmes d’intégration à par­tir des années 60 lorsque les immi­grés des anciennes colo­nies ont décou­vert en métro­pole qu’il n’était pas d’usage d’exercer publi­que­ment sa religion.
Le prin­cipe de laï­ci­té connaît des par­ti­cu­la­ri­tés en Alsace – Moselle en rai­son du concor­dat conser­vé et à Mayotte pour les prin­cipes du droit (où s’applique la loi isla­mique ou « charia »).

Aujourd’­hui :
L’État ne peut donc dis­tin­guer des per­sonnes sur la base de cri­tères reli­gieux; les fonc­tion­naires ne peuvent por­ter de signes reli­gieux durant leur ser­vice ni affi­cher des signes osten­ta­toires reli­gieux dans les écoles de la Répu­blique ; la for­ma­tion reli­gieuse (ensei­gne­ment de la foi) ne fait pas par­tie du cur­sus sco­laire, mais l’expression des croyances à l’intérieur des éta­blis­se­ments publics peut être tolé­rée si elle ne per­turbe pas le fonc­tion­ne­ment et n’est pas du pro­sé­ly­tisme (pas d’interruption de la classe pour cause de prière, pas de port de signes reli­gieux «osten­ta­toires»….), pas de menu spé­ci­fique à la can­tine, (par contre un tri­bu­nal a pu récem­ment condam­ner l’administration péni­ten­tiaire à ser­vir des repas halal à des déte­nus musul­mans) ; une école a pu envi­sa­ger de pri­ver les enfants de Père Noël lors de fêtes de fin d’année, une fonc­tion­naire été sanc­tion­née pour avoir dis­tri­bué des calen­driers por­tant le logo de son église, des mères «voi­lées» sont régu­liè­re­ment inter­dites de sor­ties sco­laires avec leurs enfants, des muni­ci­pa­li­tés ont créé des horaires d’ouverture pour femmes de pis­cines muni­ci­pales pour satis­faire aux demandes de com­mu­nau­tés musul­manes ou juives, per­mis l’ouverture de com­merces d’alimentation com­mu­nau­taires, des éta­blis­se­ments de soins ont refu­sé l’accès à l’hôpital à des femmes deman­dant une,  et pas un,  gynécologue…

Cet inven­taire à la Pré­vert révèle la dif­fi­cul­té d’a­dap­ter le concept à la réa­li­té d’une socié­té multiculturelle !

Mais le prin­cipe de laï­ci­té auto­rise cha­cun à vivre sa reli­gion quelle qu’elle soit et ce dans ce qui relève du pri­vé. Il garan­tit la liber­té de croyances et appelle à la tolé­rance. Son appli­ca­tion elle-même exige la prise en compte de la tolé­rance : un dog­ma­tisme laïc ne com­bat pas le dog­ma­tisme reli­gieux, il risque de l’attiser.

L’instrumentalisation du fait reli­gieux à des fins poli­tiques n’est pas nou­veau : les guerres de reli­gions, les affron­te­ment reli­gieux en Irlande, masquent des pro­blèmes qui sont avant tout éco­no­miques, sociaux ou politiques.

Quoi qu’il en soit, l’i­déal répu­bli­cain de laï­ci­té ne sau­rait en aucun cas ser­vir d’idéal de sub­sti­tu­tion aux enjeux sociétaux.

Et veillons à ce que notre laï­ci­té soit fac­teur de lien et non d’ex­clu­sion au seul pro­fit des inté­grismes de tous bords, au risque de dés­in­té­gra­tion de notre société !

Chris­tian RUBECHI