Les élections régionales se préparent déjà. L’Alterpresse68 en fait un thème majeur dans ses publications d’ici décembre 2015. Et de commencer par essayer de mieux comprendre ce qui s’est passé aux élections départementales avec les résultats qu’on connaît dans notre région et que nous avons déjà maintes fois évoqués.
Nous nous sommes intéressés cette fois-ci au canton de Wittenheim : c’est le canton dans lequel le risque de voir un binôme Front National élu était le plus important puisqu’il arrivait en tête avec près de 40% des suffrages. Loin devant un binôme incertain Pierre Vogt (« Indépendant »)-Marie-Pierre Vallat (PS), avec une abstention de près de 55%.
Les candidats et responsables Front de Gauche du canton et de la ville, crédité de 5,33% des voix (7% à Wittenheim ville) ont refusé d’appeler à soutenir ce binôme malgré les appels de leurs instances et il nous a paru intéressant de leur demander pour quelles raisons.
Au second tour, Pierre Vogt et Marie-Pierre Vallat récoltent le nombre de voix suffisantes pour battre le FN… et Pierre Vogt, dès le lendemain, déclare qu’il siègera avec la droite dans le conseil départemental. Le pire opportunisme que l’on peut imaginer et de quoi alimenter les pires discours vilipendant la politique.
Rencontre avec des militantes et militants aux idées claires et avec de solides convictions. L’avenir s’écrira-t-il avec elles et eux ? Un espoir…
Nous avons rencontré Nadia Peter et Christophe Pouysegur, tous deux membres du PCF, qui formaient le binôme Front de Gauche ; ils étaient accompagnés d’Abdel Toumi, militant associatif, sans appartenance politique mais très au fait de la vie de sa cité et du canton.
L’Alter68 : Pourquoi avoir refusé d’appeler à voter Vogt-Vallat ?
Nadia : Nous l’assumons totalement et ne ressentons aucun regret. C’est ce que nous avons vécu et entendu lors de la campagne qui nous a motivés. Cette campagne était courte, intense, harassante même. Mais nous avons pu mener de très nombreuses discussions avec les électeurs. Ce qui fut dominant, c’est le rejet de la politique gouvernementale, c’est la mauvaise opinion à l’égard des politiques, le « tous-pourris » revenait très souvent dans des propos où apparaît souvent aussi un grand désarroi. « Vous êtes tous pareils, il ne nous reste que le FN pour exprimer notre mécontentement… »
Nous avons expliqué que le Front de Gauche n’était pas le Parti Socialiste, que la gauche était diverses et différente en son sein… La réponse fusait : oui, mais vous vous mettrez quand même d’accord avec eux au second tour…
L’A : C’est bien ce qui s’est passé partout ailleurs…
Nadia : Oui, l’exemple du Val de Marne nous le rappelle. Là-bas, cela a permis de sauver une majorité dans un département qui s’investit beaucoup dans le social et où la majorité de gauche, dirigée par le PCF, a un bilan apprécié par les habitants. Nous n’en sommes pas là dans le Haut-Rhin. D’autre part, présenter Pierre Vogt comme proche de la gauche est une imposture. Sa présence aux côtés de la candidate PS faisait sourire les électeurs puisqu’il était toujours marqué à droite.
L’A : Au risque de voir le FN avoir les seuls élus du département dans votre canton ?
Abdel : Marie-France Vallat et Jo Spiegel nous ont beaucoup aidés par le passé dans certains dossiers. Par exemple pour disposer de salle de réunion pour parler de la Palestine, ce que tout le monde nous refusait. Mais je suis un « déçu des socialistes ». J’ai posé la question à Marie-France Vallat : « Mais pourquoi un binôme avec Pierre Vogt ? ». « Pour se faire élire » fut la réponse… et d’ajouter que Vogt ne se présentait pas comme de droite mais « sans étiquette »… J’aurais personnellement envisagé de faire électoralement barrage au Front National si Marie-France Vallat s’était affichée à gauche.
Et quand Vogt dit : « Je ne suis ni de droite, ni de gauche » et qu’il rejoint la majorité de droite au Conseil départemental, c’est tromper les gens…
Christophe : Si les électeurs ont été trompé, le Parti socialiste, lui, a été stupide de s’associer à cet homme…
Nadia : Vogt avait annoncé sa décision de rejoindre la droite déjà entre les deux tours, alors pour nous ce ne fut pas une surprise et a beaucoup pesé dans notre décision…
Christophe : A Wittenheim, nous avons affaire à des socialistes très anti-communistes, le maire de la ville en étant l’archétype. La seule opposition réelle dans le conseil municipal, c’est l’opposition de gauche ! Il était difficile de soutenir Vallat au second tour quand on connaît les rapports exécrables entre le maire qui se réclame du PS et son opposition de gauche.
Le Front de Gauche a récolté 7% des voix sur la ville car dans nos discussions avec les électeurs, nous avons pu faire comprendre qu’il y avait une « autre » gauche. Un vrai intérêt a commencé à se manifester dans les discussions sur les alternatives politiques possibles.
Le fait de ne pas appeler à voter PS au second tour, a donné de la crédibilité à notre discours. C’est sur cela que nous voulons bâtir l’avenir…
La vraie information essentielle, ce sont les 42% du FN sur la ville, en constante augmentation. Tous les appels au « vote républicain » n’ont pas empêché le FN de progresser.
Et nous nous serions retrouvés en totale contradiction avec la bataille électorale que nous avons menée en appelant à voter Vogt-Vallat. C’était incompréhensible pour les gens après les discussions que nous avions eues avec eux lors du 1er tour.
L’A : Mais il faudra bien stopper la montée du FN. Leurs électeurs ne font pas que protester en votant pour des candidats quasiment fantômes puisque personne ne les a vus sur le terrain ?
Nadia : Le meilleur agent du FN, c’est la politique du gouvernement. Depuis que je fais de la politique, je combats la politique de droite même si elle est menée par un gouvernement qui se dit de gauche, je participe à toutes les manifestations par exemple contre la loi Macron, et je devrais voter au second tour d’une élection pour ceux qui mènent cette politique que je combats par ailleurs ?
Je ne me sens pas responsable de la montée du FN dans notre pays et notre région.
Je fais de la politique depuis toutes ces années non pas avec le seul objectif de me faire élire, mais pour tenter d’améliorer le sort des gens.
Il faudra bien se poser certaines questions aussi au sein de notre parti : dans les villes où nous étions forts, où en sommes-nous aujourd’hui ? A Staffelfelden, le FN est la première force, à Wittelsheim il est la première force de tout le canton ! C’est nous qui faisions ces scores avant ! La dégradation s’est faite au fur et à mesure : les difficultés économiques, une activité politique déclinante, notre électorat a comme disparu, l’abstention a monté, le FN s’est installé…
Abdel : Le PS croyait que le Front de Gauche voterait automatiquement pour eux quelles que soient les circonstances. Ce n’est plus le cas…
L’A : A vous écouter, on se trouverait dans un piège épouvantable : faire barrage au FN en votant pour ceux qui sont responsables de sa montée… Est-ce que cela remet en cause la « centralité » du jeu électoral, les décisions des « états-majors » qui devraient se décliner d’une manière similaire partout ?
Christophe : Oui, nous devons partir sur d’autres bases.
L’A : Mais est-ce possible de remettre cela en cause ? Peut-on construire autre chose ?
Christophe : C’est une demande qui vient des électeurs. Et ce courant commence à être majoritaire, beaucoup de camarades de notre parti pensent comme nous et le disent de plus en plus fortement.
Nadia : le taux d’abstention montre que de plus en plus de gens s’en vont… N’y croient plus. Il faut de nouvelles perspectives et de l’espoir, deux choses qui n’existent pas dans l’offre politique d’aujourd’hui.
Il faut nous adresser à tout le monde, s’adresser à la population sans exclusive. Un grand espoir naît avec ce qui se passe en Grèce mais nous voyons bien que l’Union Européenne et la BCE (Banque centrale européenne) font tout pour que cela échoue.
Christophe : Nous devons retravailler avec le monde associatif, les syndicats, toutes les organisations qui travaillent sur le terrain pour que la population soit entendue. La politique, cela ne peut pas être l’image des alliances opportunistes des responsables qui sont surtout en quête de popularité pour être élu.
L’A : Comment expliquer le relatif échec du Front de Gauche qui n’a pas su capter cette attente d’une autre politique comme a su le faire par exemple Syriza en Grèce et, en partie Podemos, en Espagne ?
Nadia : le Front de gauche s’est constitué dans la perspective des élections présidentielles, celle qui nous est la moins favorable puisqu’il s’agit d’une élection centré sur une individualité. Naïvement, Jean-Luc Mélenchon était porté au pinacle un peu comme l’homme providentiel. Un certain engouement s’en est suivi… qui est retombé comme un soufflé pour les législatives qui ont suivies. Le « rassemblement au sommet » ne correspond pas à ce qu’attendent les électeurs d’une action politique à gauche… Les alliances politiques type « Programme commun » n’ont eu des résultats positifs uniquement quand elles étaient portées par un fort mouvement social.
Syriza ou Podemos ? Je ne crois pas tellement, en France, à la possibilité de créer un nouveau mouvement en dehors des partis. Car l’action politique se mène avec des structures, des femmes et des hommes engagés sur le terrain, un réseau dont seuls les partis politiques disposent actuellement.
Christophe : Les gens ne se désintéressent pas de la politique, ils en sont dégoûtés ! La délégation de pouvoir ne marche plus, la population n’y croit plus. Au « vote utile », non plus. Aujourd’hui, le mouvement associatif attire plus de personnes, surtout des jeunes. Et il devient une force de proposition avec laquelle nous devons travailler et je souhaiterais que le PCF en soit la cheville ouvrière.
L’A : Les élections régionales se profilent. Le fait d’intégrer une dose de proportionnelle, fera que le FN pourra avoir cette fois-ci des élus. Aucune « tambouille » électorale ne permettra d’empêcher des élus d’extrême-droite d’obtenir des sièges. Comment sentez-vous la préparation de cette nouvelle campagne électorale ?
Nadia : les électeurs nous ont fait part de leur opposition à cette « grande » région créée de toute pièce sans concertation des populations. Nous avons aussi constaté que les Alsaciens se faisaient souvent beaucoup d’illusions sur la puissance de l’Allemagne voisine. Ils ne sont pas suffisamment informés de la réalité sociale de ce pays où tout n’est pas aussi brillant que cela apparaît, surtout dans notre presse.
Pour les régionales, deux choses me semblent importantes à développer : la défense du régime local alsacien avec l’objectif de l’étendre à toute la grande région, le maintien des deux départements alsaciens pour préserver des centres de décisions au plus près des populations. J’y ajouterai la défense d’instances comme le rectorat pour préserver les spécificités de l’enseignement en Alsace et le développement de la culture régionale.
L’A : Peut-on construire une plate-forme sur ces points avec les autres forces de gauche ?
Christophe : Quelles forces de gauche ? Rien de concret ne se dessine actuellement de ce côté-là.
Nadia : Il faut s’ouvrir largement vers la société civile. Mais rien n’est possible avec le PS, ni les Verts qui ne nous adressent même pas la parole. Les rapports au sein de « la gauche » affichent un encéphalogramme plat car ils estiment qu’ils n’ont pas besoin de nous.
L’A : L’apparition d’Unser Land dans votre canton (plus de 14% des voix) vous inquiète-t-elle ?
Nadia : Lors de la soirée électorale, c’est plutôt avec eux que nous avons pu échanger. Je pense qu’il faut prendre en compte le message que leurs électeurs ont voulu envoyer en votant pour eux.
Mais l’essentiel que nous retenons de cette situation se résume à une phrase : apprenons à réécouter les gens…
Propos recueillis par Bernard Schaeffer et Michel Muller