schauble lagarde

Ils s’y mettent tous ! Il faut à tout prix empê­cher Alexis Tsi­pras de réus­sir à mettre en œuvre  le man­dat que lui a don­né le peuple grec. De la droite à la social-démo­cra­tie, les dis­cours sont exac­te­ment les mêmes. Il n’y a pas d’autre poli­tique pos­sible que celle que nous appli­quons, dites-le vous une fois pour toutes. Flo­ri­lège des copains et des coquins dont la ver­tu est à géo­mé­trie variable.

Il est dif­fi­cile de savoir par lequel ou laquelle com­men­cer. Manuel Valls, par exemple, qui dans une inter­view accor­dée au Dia­rio Eco­no­mi­co exhorte Syri­za d’adopter une liste de réformes plus pro­fondes. Il veut  impo­ser au gou­ver­ne­ment en place depuis les élec­tions du 25 jan­vier des « réformes » du mar­ché du tra­vail et de nou­velles réduc­tions des mon­tants des retraites, en clair aller encore plus loin que l’ancien gou­ver­ne­ment grec reca­lé par le peuple grec.

Wolf­gang Schäuble, le ministre des Finances d’Allemagne (et donc de la zone euro) veut la sor­tie de la Grèce de cette zone, la plu­part des obser­va­teurs alle­mands en sont convain­cus. Et voi­là qu’il pré­co­nise même qu’une Troï­ka vienne super­vi­ser la poli­tique fran­çaise pour que les réformes aillent plus vite et plus loin !  Ain­si, à l’occasion d’une confé­rence pro­non­cée à Washing­ton, où le FMI et la Banque mon­diale tiennent leurs réunions de prin­temps annuelles, se pré­va­lant d’une ami­tié avec les ministres fran­çais Michel Sapin et Emma­nuel Macron, Wolf­gang Schäuble a assu­ré que « la France serait contente que quelqu’un force le par­le­ment » à voter des réformes dures, en pre­nant comme exemple celles qui ont été accom­plies en Espagne. Il a ajou­té : « …mais c’est dif­fi­cile, c’est la démo­cra­tie ». Ah, ce qu’on serait bien sans cette fou­tue démocratie !

Quand Alexis Tsi­pras va en Rus­sie pour éta­blir une coopé­ra­tion entre les deux pays, les « euro­péens » s’étranglent. Mar­tin Schulz, l’inénarrable pré­sident du Par­le­ment euro­péen, qui bri­guait il y a quelques mois la pré­si­dence de la Com­mis­sion (en plai­dant pour une « autre poli­tique éco­no­mique et sociale contre l’austérité »), se fend d’une décla­ra­tion qui vous laisse aba­sour­di : « Il n’est pas accep­table qu’un chef d’Etat (Ndlr Tsi­pras) se déso­li­da­rise de la poli­tique euro­péenne à l’égard de la Rus­sie en contre­par­tie d’une aide ». Le soi-disant  com­mis­saire euro­péen aux Affaires éco­no­miques et finan­cières Pierre Mos­co­vi­ci lui, « met en garde» Alexis Tsi­pras « contre un un rap­pro­che­ment trop impor­tant avec Mos­cou. » Ces gens inter­disent donc à un pays sou­ve­rain de mener sa poli­tique étran­gère en toute indé­pen­dance. Mais à quoi bon élire un gou­ver­ne­ment dans chaque pays européen ?

LE POMPON NEERLANDAIS

3-format1

Les Pays-Bas ont un ministre des Finances qui est en même temps pré­sident de l’Eurogroupe, M. Jeroen Djis­sel­bloem. Il enjoint le gou­ver­ne­ment grec « de mener enfin les réformes néces­saires » et, grand sei­gneur, assure « qu’il sou­tien­dra le com­bat des Grecs contre l’évasion fiscale ».

Mais voi­là qu’on peut lire dans le « Tagess­pie­gel » du 9 avril der­nier (mais dans aucun jour­nal fran­çais), que le Centre d’études sur les entre­prises mul­ti­na­tio­nales d’Amsterdam dénonce que le gou­ver­ne­ment néer­lan­dais donne la pos­si­bi­li­té à des entre­prises trans­na­tio­nales de pra­ti­quer l’évasion fis­cale dans cer­tains pays… et sin­gu­liè­re­ment hors de Grèce !

Ain­si la mul­ti­na­tio­nale cana­dienne minière « Eldo­ra­do » qui exploite trois mines d’or à Hel­las (Grèce), a « éva­cué » 100 mil­lions d’euros du pays vers une filiale fan­tôme mais légale aux Pays-Bas.

ET LA CERISE SUR LE GÂTEAU DU FMI !

Mme Lagarde, direc­trice géné­rale du Fonds Moné­taire Inter­na­tio­nal (FMI) n’est pas en reste : elle aus­si s’est jointe au concert deman­dant à la Grèce d’accélérer le pas de l’austérité en péro­rant : « Ce que j’attends ce n’est pas seule­ment une accé­lé­ra­tion mais aus­si un appro­fon­dis­se­ment du tra­vail »… Ver­tueuse, Mme Lagarde ?

Jubi­lee Debt Cam­pai­gn (http://jubileedebt.org.uk/)  est une ONG qui dénonce les méfaits de la dette dans le monde. Dans un article paru le 10 avril der­nier, elle démontre que le FMI a déjà fait 2,5 mil­liards de pro­fits sur les prêts accor­dés à la Grèce depuis 2010 et ceci avant le der­nier paie­ment de 462 mil­lions d’€ que le pays a hono­ré le 9 avril 2015. Si la Grèce rem­bourse le FMI en tota­li­té, ce chiffre s’élèvera à 4,3 mil­liards d’euros d’ici 2024 !

Il n’y a pas de mys­tère : le FMI applique un taux d’intérêt effec­tif de 3,6% sur ses prêts à la Grèce. C’est beau­coup plus que le taux de 0,9% que l’institution a actuel­le­ment besoin pour cou­vrir ses frais. Si ce taux-là avait été appli­qué à la Grèce, elle aurait payé 2,5 mil­liards de moins au FMI… qui n’en serait pas plus pauvre pour autant !

D’ailleurs, le FMI pros­père grâce aux dettes des pauvres : sur l’ensemble des prêts qu’il a accor­dé aux pays en crise entre 2010 et 2014, il a réa­li­sé un béné­fice total de 8,4 mil­liards d’€, dont le quart vient donc de la Grèce. Cet argent a été affec­té aux réserves du Fonds qui tota­lisent 19 mil­liards d’euros…

EN QUOI LA SITUATION GRECQUE EST EXEMPLAIRE ?

Les décla­ra­tions de Wolf­gang Schäuble sur la situa­tion fran­çaise montre, s’il le fal­lait encore, que les diri­geants poli­tiques au pou­voir en Europe sont au ser­vice non pas des peuples mais bien de l’économie libé­rale. Les pro­tes­ta­tions de Michel Sapin relèvent de la mau­vaise comé­die et ne peuvent nous faire oublier que la poli­tique fran­çaise est inféo­dée à celle de l’Allemagne qui donne le ton en Europe. Schäuble rap­pelle tout sim­ple­ment qui est le maître.

Mais Schäuble n’est pas l’Allemagne à lui tout seul. Le pré­sident du puis­sant syn­di­cat DGB (Deut­scher Gewer­schafts­bund) Rai­ner Hoff­mann a ren­contre Alexis Tsi­pras à Athènes et n’a pas hési­té à mani­fes­ter un désac­cord total avec la poli­tique grecque de Mme Mer­kel. Il n’hésite pas à dénon­cer « l’arrogance popu­liste d’autant plus insup­por­table que le gou­ver­ne­ment est inca­pable de faire res­pec­ter chez lui les enga­ge­ments qu’il a pris en matière de salaire minimum ».

Rai­ner Hoff­mann a annon­cé que le DGB allait mon­ter au cré­neau contre les gar­diens du dogme de l’austérité qui emmènent l’Europe à sa perte.

Il y a bien deux mondes qui s’affrontent sur le plan éco­no­mique et social, sur les choix poli­tiques à faire pour l’Europe par­ti­cu­liè­re­ment. La Grèce illustre cet affron­te­ment et montre éga­le­ment les rap­ports de force en pré­sence. L’ultralibéralisme se sent le vent en poupe et veut pro­fi­ter de cet avan­tage avant que la ten­dance ne s’inverse.

Nous n’en sommes pas là. Il fau­dra encore de nom­breuses ini­tia­tives comme celles que L’Alterpresse va orga­ni­ser le 20 mai pro­chain avec une soi­rée-débat sur la situa­tion en Grèce et les réa­li­tés de la dette pour contri­buer à ce ren­ver­se­ment de ten­dance. Sinon, que va deve­nir cette Europe ?

Michel Mul­ler