Pho­tos et prise de son : Michel Muller

LA GENEROSITE EN PROCES…

Tri­bu­nal de Grande Ins­tance de Col­mar, 15 mars 2024. Plus d’une cen­taine de per­sonnes apportent leur sou­tien à trois per­sonnes accu­sées d’odieux crimes aux yeux de la police fran­çaise : il y a là un réfu­gié came­rou­nais, Armand N’dount­sop, un res­tau­ra­teur de Kay­sers­berg Jean Ancel et l’ancien maire de cette même ville Hen­ri Stoll… Mais que viennent-ils faire en cette galère ?

Com­men­çons par le com­men­ce­ment. En 2014, un jeune gar­çon, Armand N’dount­sop , débarque en France venant de Yaoun­dé au Came­roun. Après un cer­tain temps sur le sol fran­çais, il est consi­dé­ré comme « sans papier » et donc expul­sable. Mais il s’est éta­bli dans la char­mante petite ville du vignoble, a trou­vé du tra­vail, est capi­taine de l’équipe de foot, ren­contre une jeune fille et tombe amou­reux. Pour l’épouser en 2021 et accueillir une petite fille en novembre 2023…

La per­sonne par­fai­te­ment inté­grée, sans his­toire. Bien au contraire, le res­tau­ra­teur qui cher­chait déses­pé­ré­ment du per­son­nel l’embauche en CDI… et tout bai­gne­rai s’il n’y avait pas cette sata­née affaire d’être « sans-papier ». Une soli­da­ri­té s’organise autour d’Armand ani­mée par Hen­ri Stoll et son épouse, qui lui trouve une asso­cia­tion pour l’aider à se régu­la­ri­ser, la CIMADE.

Jean Ancel, le patron du res­tau­rant au Lion d’Or à Kay­sers­berg, a besoin de main‑d’œuvre et pro­pose d’embaucher Armand. Oui, dit-il devant la cour, « je savais qu’il ne pos­sé­dait pas ses papiers pour res­ter, mais je me suis appuyé sur la cir­cu­laire Valls pour lui faire un contrat de tra­vail ». La cir­cu­laire Valls ?Car la situa­tion kaf­kaïenne pour obte­nir son per­mis de tra­vail : il fal­lait avoir un emploi mais comme les patrons ne pou­vaient pas embau­cher quelqu’un qui n’était pas en règle… la situa­tion était inex­tri­cable ou bien il fal­lait se mettre hors-la-loi pour obte­nir les papiers ! Donc le pre­mier ministre Valls pond une cir­cu­laire qui dit en sub­stance qu’un employeur peut embau­cher une per­sonne même sans les papiers néces­saires pen­dant deux ans pour lui per­mettre d’avoir des fiches de paie qui pour­ront ser­vir à étayer le dos­sier de régu­la­ri­sa­tion à la Préfecture.

M. Ancel fait les choses en bon ordre, déclare son sala­rié, les deux payent les coti­sa­tions sociales san­té, chô­mage, etc…

UN CONTRÔLE ET TOUT BASCULE

Mais entre-temps, Armand se fait contrô­ler par la police et n’étant pas en règle, il est condam­né à une « obli­ga­tion de quit­ter le ter­ri­toire fran­çais »… Comme nous sommes dans un état de droit, il y a des recours pos­sibles : mais ce n’est pas simple de se sor­tir des méandres des ser­vices admi­nis­tra­tifs de notre pays. Notre ami came­rou­nais a dépo­sé une demande de régu­la­ri­sa­tion étayée par les jus­ti­fi­ca­tifs four­nis par son employeur.

Sur­tout quand le mau­vais œil s’en mêle : dos­sier de l’employeur envoyé à l’administration bas-rhi­noise et non haut-rhi­noise, quand cette der­nière a enfin le dos­sier, il y a beau­coup de tra­vaux d’installation des bureaux, ça fait trai­ner les dos­siers… Et pour cou­ron­ner le tout, sur­vient le confi­ne­ment COVID… et le char­gé du dos­sier d’Armand doit res­ter chez lui sans son dos­sier qui est au bureau…

La Police de l’Air et des Fron­tières qui est char­gée d’appliquer l’obligation de quit­ter le ter­ri­toire ne relâche pas ses efforts : il faut du chiffre bon dieu, de bon dieu… Le gou­ver­ne­ment, la droite et son extrême veulent des preuves de l’efficacité du sys­tème d’expulsion… Armand est convo­qué pour être expul­sé mais manque de bol les pan­dores n’arrivent pas à mettre la main au col­let d’Armand.

L’AMOUR CONTRARIE

A Kay­sers­berg, Armand est bien connu, le foo­teux à du talent en plus, c’est lui la vedette du club de foot. Il appa­raît en pleine lumière… et tombe sous le charme de Car­la qui tient là son amou­reux qu’elle atten­dait depuis longtemps.

Et c’est au grand jour qu’ils se passent la bague au doigt en 2021…

Et là, se noue l’affaire qui mène nos trois com­pères devant le juge et ses assesseurs…

Pour des rai­sons obs­cures et donc pas très claires, la maman de Car­la n’apprécie pas par­ti­cu­liè­re­ment que sa fille soit tom­bée amou­reuse d’Armand… Et d’aller dénon­cer les deux tour­te­reaux en accu­sant le mari d’avoir obli­gé Car­la à l’épouser… pour obte­nir les papiers tant attendus…

La police de l’air et des fron­tières se frotte les mains : enfin on va pou­voir alpa­guer celui qui grâce à ses recours échappe à l’expulsion.

Bien que l’enquête prouve noir sur blanc que tout démontre la sin­cé­ri­té des sen­ti­ments entre les deux, le pro­cu­reur voit là matière à tra­duire Armand devant la jus­tice pour chef de mariage arran­gé pour obte­nir un titre de séjour, le res­tau­ra­teur Jean Ancel d’embauche sans auto­ri­sa­tion de tra­vail, Hen­ri Scholl, d’avoir sou­te­nu finan­ciè­re­ment le jeune couple (Armand avait per­du son tra­vail entre temps), de l’avoir héber­ger pen­dant 1 mois dans un appar­te­ment et de leur avoir prê­té une voi­ture (la leur avait été volée entre temps).

LE TRIBUNAL EMBARRASSE

Il est évident que ce ne sont pas les bonnes per­sonnes qui devaient être devant le juge. D’ailleurs devant les faits, le pro­cu­reur lui-même a consta­té que rien ne mon­trait que le mariage était frau­du­leux, ni que l’employeur avait com­mis une faute en quoi que ce soit : il demande donc qu’ils soient relaxés tous les deux.

Quant à Hen­ri Stoll, l’accusateur public trouve un article de la loi qui per­met de condam­ner ceux qui aident les clan­des­tins contre rému­né­ra­tion (en clair, les pas­seurs) pour consi­dé­rer qu’il est cou­pable. Mais comme la ficelle est un peu grosse, il demande… une dis­pense de peine !

L’avocat des trois accu­sés n’y a pas par quatre che­mins : pour lui tout le monde doit être relaxé et il estime que d’autres devraient se trou­ver dans le box des accusés.

La police de l’air et des fron­tières qui s’appuyant sur une dénon­cia­tion cra­po­teuse, cherche à tout prix à mettre Armand dans un avion direc­tion Yaoun­dé. En pié­ti­nant l’état de droit et les prin­cipes élé­men­taires des droits pour les per­sonnes de rési­der sur le ter­ri­toire natio­nal. Car la Pré­fec­ture du Haut-Rhin qui doit sta­tuer sur la demande de régu­la­ri­sa­tion d’Armand a sus­pen­du sa déci­sion dans l’attente du pro­cès qui vient d’avoir lieu. L’empêchant ain­si de pou­voir trou­ver un travail…

Les dif­fé­rentes admi­nis­tra­tions qui, tout en ayant encais­sé les coti­sa­tions patro­nales et sala­riales, ont refu­sé d’indemniser Armand quand il était malade… Et n’ayant pas d’emploi actuel­le­ment, il ne touche pas non plus d’allocation de chô­mage que devrait per­ce­voir chaque pri­vé d’emploi.

Enfin les ins­ti­tu­tions publiques : fal­lait-il ins­truire un dos­sier de 300 pages contre trois per­sonnes dont le seul tort est d’avoir fait preuve d’honnêteté et de géné­ro­si­té, de soli­da­ri­té même. La jus­tice n’a‑t-elle pas des dos­siers bien plus urgents à traiter.

Le tri­bu­nal a, en fin du compte, sui­vi les réqui­si­toires du pro­cu­reur en relaxant Armand et Jean Ancel, et dis­pen­sant Hen­ri Stoll de peine mais le jugeant cou­pable d’avoir aidé à sous­traire Armand à une inter­pel­la­tion. C’est donc tel­le­ment dur pour l’institution judi­ciaire de recon­naître qu’elle s’est four­voyer : il fal­lait faire un exemple, et Hen­ri Stoll est la par­faite per­sonne pour l’incarner.

On pour­rait conclure par un « tout cela pour si peu » ! Mais ce serait négli­ger que le cli­mat actuel, atti­sé par des groupes racistes et xéno­phobes, le pou­voir veut mon­trer qu’il est inflexible et don­ner un gage à tous ceux qui font de l’immigration leur fond de com­merce pour mas­quer leurs vrais pro­jets poli­tiques anti-sociales et liberticides.

Voi­ci l’his­toire résu­mée par Hen­ri Stoll, inter­ro­gé sur place par Michel Muller :